[N° 607] - Entretiens croisés: Un an après la promulgation de la loi, à quelle allure va le statut de la copropriété ?

par Edilaix
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Index de l'article

Un an après sa promulgation, la loi ALUR n° 2014-366 du 24 mars 2014, attend toujours ses décrets d’application pour les dispositions régissant le régime de la copropriété.*
La rédaction a sollicité les réactions des professionnels et des acteurs de la copropriété en France. Voici les questions posées : que vous inspire ces retards ? Quels sont vos commentaires ? Quelles sont vos attentes ? Nous vous livrons les réponses de cinq acteurs ayant répondu à notre demande. Interrogée et relancée à plusieurs reprises, l’Association des responsables de la copropriété (ARC) ne nous a pas retourné sa réponse. [Les titres attribués à chaque intervention ont été selectionnés par la rédaction. Le classement des réponses est effectué par ordre alphabétique en référence au nom de l’organisation].

 

 

 

Point de vue de l’Agence nationale de la copropriété et des copropriétaires (ANCC) :

«La loi ALUR va bientôt fêter sa première année de mise en application et les premiers résultats sont déjà là. D’une part, les premiers impacts restent mitigés, d’autre part, il reste encore de grandes zones d’ombres qui ne sont pas à l’avantage des copropriétaires.

Le premier impact constaté par l’ANCC est un ralentissement des ventes du fait de la communication des informations financières dès la promesse de vente. Les premières rétractations ont permis de constater l’efficacité de ces dispositions. Les acheteurs mieux informés n’hésitent pas à renoncer à un coup de cœur après réception des trois derniers procès-verbaux d’assemblée générale et des annexes. La loi ALUR a donc apporté une meilleure prise de conscience des charges de copropriété  et de leur  intégration dans le budget d’achat.»

«Le second impact réside dans le retard apporté au contrat-type qui a conduit, au regard des nouvelles obligations (extranet, compte séparé, futur DTG, fonds de travaux, assurance responsabilité civile obligatoire) à une augmentation des honoraires, jusqu’à 17 % dans certaines copropriétés. Allant plus loin, de nouveaux documents non contractuels sont apparus comme le «pré-état daté» non prévu au contrat et non exigé par la loi ALUR mais facturé à chaque promesse de vente.»

«Le troisième impact réside dans la difficulté d’application de certaines dispositions :
La mise en concurrence des contrats de syndics fait surgir de nouvelles questions : comment la réaliser lorsque les syndics ne répondent pas aux sollicitations ? Pourquoi être dans l’obligation d’y procéder lorsque l’on est satisfait de son syndic ? L’obligation de mise en concurrence du contrat de syndic ne peut être imposée au syndic lui-même. Il semblerait plus judicieux de confier au conseil syndical la mission de rechercher des devis afin d’assurer cette obligation.

De même, la création d’un extranet ne résoudra pas la question de la transparence si elle reste confiée au seul syndic.

Enfin, l’obligation faite au syndic de se substituer à l’assemblée générale en contractant en son nom mais sans son accord, une assurance responsabilité civile, est une violation du principe démocratique qui régit la copropriété depuis 1965. Cette nouvelle obligation sera source de conflits supplémentaires dans les  copropriétés,  si elle n’est pas abrogée.»

«Par ailleurs, des contradictions persistantes et des définitions imprécises neutralisent l’efficacité de la loi ALUR. Ainsi, l’absence de compte séparé obligatoire pour les moins de 16 lots s’oppose à l’obligation d’un compte séparé obligatoire pour les fonds de travaux. Ces derniers seront-ils, comme aujourd’hui, placés sur un sous compte du syndic ?

L’uniformisation de la terminologie de «charges», «sommes» ou «cotisations» simplifierait la compréhension globale des acteurs de la copropriété.
Les règles de représentation instituées pour les syndicats secondaires et les syndicats compris dans le périmètre d’ASL (art. 22-II de la loi) mériteraient que le législateur précise l’articulation des mandats avec la contestation des décisions d’ assemblée générale (délais et protagonistes), ainsi que l’articulation des assemblées générales entre elles.

L’obligation désormais faite au syndic d’établir le budget prévisionnel en concertation avec le conseil syndical n’est pas assortie de sanction, ce qui atténue considérablement son effet.

Les notions d’«empêchement» et de «carence» devraient être définies (art. 17-B 2° pour les syndicats coopératifs, art. 18-V pour la convocation d’une AG par le président du conseil syndical).»

R.ALLAIN, présidente nationale

Le contrat-type de syndic enfin publié !


Point de vue de la confédération pour le logement et le cadre de vie (CLCV) :

«La loi ALUR va fêter son premier anniversaire et nous sommes toujours en attente de ses décrets d’application. L’histoire semble se répéter : on se souvient que les décrets de la loi SRU du 13 décembre 2000 n’avaient été publiés qu’en mai 2004, soit trois années et demi plus tard. Le secteur de la copropriété n’est d’ailleurs pas le seul concerné puisque de nombreuses dispositions concernant les relations locataire-bailleur sont toujours en suspens.»

«Pourtant, nous aurions légitimement pu penser qu’il en irait autrement : une volonté ferme des pouvoirs publics d’aller vite et la création d’une nouvelle instance regroupant les représentants des professionnels et des consommateurs sont autant d’éléments qui auraient dû permettre une certaine célérité. L’écoute des principaux acteurs du secteur est d’ailleurs primordiale.»

«Différents textes sont attendus : parmi les principaux, nous avons bien évidemment ceux concernant le contrat de syndic type, la liste des prestations exceptionnelles et le décret d’encadrement de certains honoraires des syndics, notamment l’état daté. Les conséquences en sont très importantes pour les copropriétaires puisqu’il s’agit de faciliter la comparabilité des contrats de syndic entre eux, de mettre fin aux abus consistant à multiplier les prestations exceptionnelles au détriment de la gestion courante et de «moraliser» certains tarifs.»

«Nous ne pouvons qu’être extrêmement déçus de la tournure que prennent les évènements : à ce jour, nous sommes absolument sans nouvelles de l’éventuelle publication de ces textes, ce qui est très préjudiciable pour les consommateurs. Pire, comme les décrets ne seront pas applicables aux contrats en cours, leur entrée en vigueur ne sera réellement effective que dans deux ou trois années, selon la durée du mandat du syndic… Ce statu quo pénalise fortement les copropriétaires, lesquels d’ailleurs ne comprennent pas pourquoi un texte, publié déjà depuis une année et fortement médiatisé, ne s’applique toujours pas.»

«Par ailleurs, il ne faut pas oublier que de nombreuses dispositions de la loi ALUR s’appliquent selon un certain calendrier : mars 2015 pour le compte séparé, janvier 2017 pour le fonds travaux obligatoire, l’immatriculation des copropriétés… L’étalement dans le temps voulu par le législateur risque de perdre tout intérêt si les textes se télescopent pour une application finalement simultanée. En terme de pédagogie, on ne pouvait faire pire.
Il nous paraît indispensable que ces textes soient publiés le plus rapidement possible, en tenant bien évidemment compte des avis émis par les représentants des professionnels et des consommateurs. En effet, l’exécution par le syndic de son mandat est souvent source de litiges ou d’incompréhensions entre les copropriétaires et leur gestionnaire.»

David RODRIGUES, service juridique

Le contrat-type de syndic enfin publié !


Point de vue de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) :

«Entre toutes les innovations introduites par la Loi ALUR, c’est sans doute le monde de la copropriété qui aura été le plus bouleversé. Un an après sa promulgation, qu’est ce qui a changé et à quoi s’attendre encore ?

Trois séries d’évolutions, celles que la loi a inscrites d’emblée dans la vie des copropriétaires, sans besoin de textes d’application, celles qui ne seront tangibles qu’au prix de décrets ou d’arrêtés, et celles qui sont déjà en cours de modification parce qu’elles ont été mal pensées dans l’ALUR.»

«Dans le dernier lot, l’obligation d’appel à concurrence à la fin de chaque mandat de syndic. Le projet de loi Macron mettra du réalisme là où il y avait de l’idéologie : les copropriétés ne sont pas toutes avides de se séparer de leur syndic. La plupart sont satisfaites, et il faut passer de l’obligation à la faculté, par exemple sur demande exprès du conseil syndical. L’exigence d’immatriculation des copropriétés ressortit aussi de la pesanteur administrative et il serait bon de la remettre en question. Enfin, si renforcer l’information des acquéreurs de lots de copropriété était louable, la loi a heurté l’écueil de la complexité et de l’indigestion : des discussions avancées entre la FNAIM et le gouvernement vont conduire à une simplification de la mesure.»

«Pour le reste, l’ALUR a fait souffler un vent favorable sur la copropriété. L’abaissement des majorités pour faciliter le vote des travaux de valorisation et de modernisation des immeubles, en particulier pour la transition énergétique, la création d’un fonds de travaux fondé sur l’épargne collective systématique, la possibilité de souscrire un emprunt collectif avec remboursement par prélèvement sur le compte de chaque copropriétaire, l’instauration d’un plan pluriannuel de travaux sur la base d’un diagnostic technique global de l’immeuble, tout cela va dans le sens d’une approche patrimoniale vertueuse. Le métier de syndic s’en trouve sans doute compliqué, mais sa valeur ajoutée en est majorée considérablement.»

«Le législateur a aussi voulu plus de lisibilité et de transparence. Le compte séparé des copropriétés alourdit la gestion, et cela aura un coût. Pour autant, il rassure les copropriétaires. L’obligation pour les professionnels de proposer un extranet aux syndicats de copropriétaires est un réel progrès. La transmission des informations en est déjà fluidifiée, et la confiance s’en trouve renforcée.»

«Désormais porteurs d’une carte professionnelle spécifique les autorisant à exercer, les syndics gagnent en respectabilité en donnant des gages multiples de leur sérieux. Un Conseil national (CNTGI) consulté sur toutes les évolutions règlementaires touchant la copropriété, et bientôt une Commission nationale de contrôle, chargée de trancher les différends entre particuliers et professionnels, voilà deux instances qui vont réhausser l’honorabilité des syndics.»

«Et puis certaines dispositions de la loi ALUR n’entreront en vigueur qu’au prix de textes d’application. Les plus importants sont le contrat-type de syndic et le nouveau mode corollaire de facturation : le forfait va suppléer à la pratique des honoraires de base augmentés, parfois à l’excès, par des honoraires annexes. Le CNTGI a éclairé le gouvernement sur le meilleur équilibre contractuel. On attend le décret d’un jour à l’autre. Quoi qu’il en soit, il refondera les relations commerciales entre syndics et copropriétaires : un contrat et une facturation lisibles, mais un prix qui devra prendre en compte le passage d’une structure avec des options à une structure simple intégrant tous les services, ainsi que les missions ajoutées par l’ALUR aux syndics.»
«Tout aussi attendus, le code de déontologie qui engagera les syndics professionnels, ainsi que le mode d’emploi de l’obligation de formation continue qui garantira l’actualisation des compétences des gestionnaires.

Bref, la loi ALUR vit sa vie. Elle aura au bout du compte transfiguré l’univers de la copropriété et le travail des syndics. Elle aura du même coup rendu l’autogestion quasi-impossible, en réhabilitant les professionnels et en leur donnant une chance d’être mieux reconnus et mieux rétribués.»

Jean-François BUET, président national

Le contrat-type de syndic enfin publié !


Point de vue de l’UFC Que Choisir ? :

«La question des conditions contractuelles et tarifaires des syndics est une question qui préoccupe beaucoup les copropriétaires. Cette situation est avant tout due à la multiplication de prestations dites «particulières» – prestations qui peuvent être facturées en plus du forfait annuel – et qui n’apparaissent que tardivement dans les contrats, de manière disséminée, intitulées de manière très différente d’un cabinet à un autre rendant la mise en concurrence des offres complexe.» 

«Ainsi, la loi dite ALUR  a décidé de rétablir une transparence des contrats, en limitant le nombre des prestations particulières, et mettre fin aux abus les plus criants. Trois points majeurs d’application de la loi étaient donc très attendus par le milieu consumériste : celui listant de manière limitative les prestations particulières (assurant la fiabilisation du forfait annuel) ; celui fixant un contrat-type (assurant la comparabilité des offres de syndic) ; ainsi que celui plafonnant les honoraires du syndic en matière d’état daté. Bien sûr, c’est le décret sur le contrat type qui allait être la pierre angulaire de cette réforme de l’activité des syndics de copropriété.»
«La date de sortie de ce décret reportée plusieurs fois, ce n’est que très récemment que le gouvernement a transmis le projet au Conseil d’État, dont l’examen est en cours à l’heure où ces lignes sont écrites. Alors quels sont les enjeux portant sur le contenu du décret ? Bien sûr les points sont nombreux et techniques, autant que la tâche d’un syndic dans une copropriété, mais voici trois exemples emblématiques autour desquels se cristallisent le débat sur le contenu du contrat type :
1. La présence du syndic en assemblée générale en dehors des heures ouvrables du cabinet : Est-ce que cela doit être compris dans le forfait annuel ou est-ce que le syndic peut les facturer en sus ? Derrière cette question, se cache en réalité deux visions du métier de syndic : est-ce qu’il est un professionnel comme un autre ? Peut-il proposer des offres standardisées auxquelles doivent ou non adhérer les consommateurs ? Ou est-ce qu’au contraire ce métier doit savoir se recentrer sur la seule gestion patrimoniale des immeubles gérés ? Car un montant annuel forfaitisé ne laissant que peu de place aux prestations supplémentaires imposera de facto au syndic de s’enquérir des besoins des copropriétaires, de la situation concrète de l’immeuble.»
«2. L’inclusion des photocopies d’assemblée générale dans le forfait : Les copropriétaires n’ont eu de cesse de dénoncer le prix des photocopies - imprimées en recto à 0,30 centimes d’euro la page - que le syndic leur faisait payer lors des notifications liées aux assemblées générales. L’arrêté Novelli permettait que soient facturées en sus du forfait, les photocopies mais au prix réel, c’est-à-dire au prix payé par le syndic lui-même, ce qui était rarement respecté ! L’enjeu dans le projet de décret est donc de mettre un terme à ces abus, qui malheureusement étaient légions dans ce secteur d’activité.»
«3. La facturation de frais de syndic dits “privatifs” en matière d’impayés : ce sont les honoraires du syndic, qu’il perçoit lorsqu’un copropriétaire ne règle pas en temps et en heure ces charges. Est-ce que le syndic est en droit d’exiger du copropriétaire défaillant des honoraires pour les actes qu’il peut être amené à effectuer pour le compte du syndicat en matière d’impayés de charges ? L’enjeu du décret est de trancher entre une lecture littérale de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, qui consisterait à ce que seul l’état daté donne droit à des «honoraires» pour le syndic, car c’est uniquement pour cette prestation que le terme «honoraires» apparaît dans la loi ou est-ce qu’au contraire une interprétation extensive est retenue, et le syndic serait en droit de multiplier les prestations dites privatives ? Dans ce dernier cas de figure, les actes en matière d’impayés comme ceux relatifs aux mises en demeure ou aux relances permettraient une rémunération spécifique du syndic. Là encore les visions sont divergentes. Pourtant, plus le syndic fait peser des honoraires soit de mise en demeure (jusqu’à 60 € dans certains contrats) ou encore de relances postérieures successives (jusqu’à 56 € chacune) plus le copropriétaire défaillant aura des difficultés à faire face à la dette. Surtout, s’il n’y a pas de solidarité formelle entre copropriétaires ; en revanche, il faut bien s’acquitter des factures des prestataires ou fournisseurs de la copropriété ! Ainsi, c’est toute la copropriété qui risque de pâtir de telles pratiques dans la profession, si le décret n’y met pas un terme.»

«Bref, autant de questions qui ont été débattues mais qui ne trouvent pas de consensus entre professionnels et consommateurs…le gouvernement a tranché ; reste à savoir comment.»

Frédéric BLANC, département juridique

En photo : Alain BAZOT, président de l’UFC, Que choisir ?

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Point de vue de l’Union nationale des syndicats de l’immobilier (UNIS) :

«Les décrets d’application de la loi ALUR passent nécessairement par le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), créé par ladite loi.

Rappelons que le CNTGI est composé de sept membres représentant les syndicats professionnels (dont deux sièges octroyés à l’UNIS) et de cinq membres représentant des associations de consommateurs agréées.»

«Le CNTGI a un domaine de compétence exclusif, par exemple pour fixer la nature et les modalités de la formation continue, ou pour fixer les règles constituant le futur code de déontologie.
Dans les autres cas, le CNTGI est le plus souvent saisi par l’un des trois ministères de tutelle (chancellerie, logement, consommation). Il en est ainsi notamment pour les décrets d’application de la loi ALUR ; mais il peut également s’autosaisir et être force de proposition, comme cela s’est passé pour l’aménagement par la loi Macron de l’obligation de la mise en concurrence des contrats de syndic.»

«Les décrets d’application de la Loi ALUR sont d’une importance extrême, car ils impactent de manière directe l’exercice des professions immobilières, et donc leurs clients et les citoyens.
Citons le contrat de syndic, le bail d’habitation, l’extranet, la formation, les cartes professionnelles, la liste des documents à transmettre en cas de vente ... »

«Sur chaque thème, les membres du CNTGI constituent des groupes de travail, composés de leurs experts respectifs. Ces groupes de travail consultent également des experts (indépendants ou associatifs) non membres du CNTGI, pour recueillir leurs avis. Outre cette procédure, l’importance de ces thèmes et le souhait d’arriver à une position commune entre professionnels et consommateurs nécessitent un travail sérieux et une réflexion poussée, justifiant ainsi des délais assez longs. Précisons pour terminer que certains avis du CNTGI peuvent avoir été rendus et que nous sommes dans l’attente du processus administratif (saisine du Conseil d’Etat, etc) .»

Christophe TANAY, président national
 

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