[N° 570] - Les besoins en ressources humaines pour des professionnels de la copropriété

par Paul TURENNE
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Très demandés sur le marché de l’emploi de l’immobilier, les professionnels de la copropriété restent difficiles à recruter. En cause : un métier aux conditions d’exercice relativement difficiles et qui nécessite une formation solide, une remise à niveau constante et des compétences aussi bien juridiques et techniques que sociales.

Paul TURENNE

Voilà maintenant plus de dix ans que la tendance est lancée et elle ne cesse de se confirmer. Le recrutement de personnels spécialisé dans la gestion de copropriété reste difficile, en particulier pour les gestionnaires de biens. «Il faut bien voir que le métier en tant que tel est fatigant, voire épuisant, et ne jouit pas d’une grande reconnaissance, dans la mesure où il est impossible de satisfaire toutes les attentes», constate Antoine Labruyère, directeur de Labord-Consultants, cabinet de recrutement pour les métiers de l’immobilier. «D’autre part, les pratiques de certains groupes qui ont oublié qu’il s’agissait d’un métier de service et ont orienté leurs prestations vers une forme de financiarisation excessive, ont pu générer un effritement de l’offre en décourageant un certain nombre de candidats à exercer cette profession.» Ajoutez à cela un discours enseignant pas toujours très incitatif pour les étudiants dans l’immobilier, selon Antoine Labruyère, des rémunérations plus faibles que dans la transaction, un travail sur la durée, et vous obtenez un accroissement de la rareté des profils rendant le recrutement de personnels qualifiés relativement complexe.

«Le syndic est un métier qui n’effraie plus les jeunes aujourd’hui», tempère cependant Thierry Cheminant directeur pédagogique de la FNAIM et de l’Ecole Supérieure de l’Immobilier (ESI), qui propose des formations de Bac à Bac + 5, en formation initiale ou continue, courte ou longue. «Depuis la crise financière, beaucoup d’étudiants se dirigent plus facilement vers les métiers de syndics car l’appétence pour les métiers liés à la transaction n’est plus du tout la même qu’auparavant.» D’autant que les besoins sont également très importants du côté des bailleurs sociaux qui sont en recherche de compétences de bac+2 bac+5. «Au vu de l’importance du parc social, il est clair qu’il y a de nombreux débouchés de ce côté là.» Un constat partagé par un enseignant en BTS Professions immobilières dans l’académie de Paris : «La demande est très forte en syndic ou en gestion locative, car même en temps de crise, il faut bien continuer à gérer les immeubles.» Et si la gestion de biens reste un métier difficile et qui demande de l’engagement selon les professionnels qui le pratique ou l’enseigne, il est pourtant, à les croire, l’un des plus riches et complets du secteur. Car le meilleur moyen d’évoluer vers un poste de direction d’un centre de profit dans l’immobilier, passe souvent par la gestion de copropriétés, véritables micro-entreprises.


Plusieurs types de profils recherchés

En copropriété, trois grandes familles principales se distinguent : les gestionnaires, les assistant(e)s et de les comptables. Au sein de ces familles, les compétences des professionnels leur permettent d’assumer, soit de la direction de service (gestionnaire), soit de la gestion un peu plus complexe (gestionnaire confirmé), soit de la responsabilité d’un service comptable (directeur administratif ou chef comptable). A cela peut s’ajouter un certain nombre de profils périphériques comme la gestion technique, profil assez rare et recherché, ou la paie gardien – les employés d’immeubles et les gardiens concierges répondant à une législation particulière de la convention collective des gardiens concierges. On trouve également des profils concernant la gestion du contentieux, en particulier les impayés de charges, et d’autres concernant la gestion de sinistres, principalement pour les dégâts des eaux qui représentent une part importante de ce type de dossiers en copropriété. «Même si tous les profils sont demandés, ceux que nous avons le plus de mal à pourvoir sont les gestionnaires, du fait notamment d’un coefficient d’exigence particulièrement élevé, à juste titre d’ailleurs», observe Antoine Labruyère. Reste que les profils de comptables et d’assistant(e)s, restent aussi demandés de façon régulière. «Il s’agit, à chaque fois dans les métiers de la copropriété, de profils atypiques. L’employeur doit donc bien creuser son sujet, déterminer et sélectionner les traits de personnalité utiles en adéquation avec son projet» conseille-til. Problème : à l’effritement de l’offre évoquée ci-dessus, s’ajoutent des problématiques économiques, directement causées par la rareté de l’offre. «Les candidats sont, en effet, chers et tous les employeurs ne peuvent pas se permettre de payer 40 ou 50 000 euros par gestionnaire, par exemple.» Enfin, les niveaux de compétences ne sont pas toujours à jour. Or, les cabinets de recrutement recherchent des professionnels qui maîtrisent vraiment leur sujet.


Compétences élargies

Le niveau des compétences techniques demandées a fortement évolué ces dernières années. Outre le fait de disposer de portefeuilles panachés avec du bâti à la fois ancien et neuf pour lesquelles les problématiques ne sont pas les mêmes, les gestionnaires ont du faire face à une augmentation globale des charges sur tous les postes. Eau, électricité, énergie, primes d’assurance… Cette inflation généralisée n’a pas été sans conséquence sur la capacité des copropriétaires à dégager des ressources pour entretenir leur patrimoine. Tout comme l’accélération du coût d’entretien des immeubles, des diagnostics immobiliers obligatoires, mais aussi de la mise aux normes des ascenseurs. Les gestionnaires doivent donc, plus que jamais, isoler les priorités, identifier les coûts avec des intervenants de la meilleure qualité possible et aller conseiller les gens sur les solutions les plus adaptées à leur recherche. Un important travail de veille technique et juridique, notamment en ce qui concerne les économies d’énergies, est donc nécessaire pour remplir cette mission.

«Ce métier est en train d’évoluer et va nécessiter de plus en plus une technicité et une compétence de l’ensemble des paramètres qui impactent la vie d’un immeuble, au sens large du terme», affirme Thierry Cheminant. «On assistera certainement à des segmentations de compétences sur ce qu’est la technicité d’un immeuble, ce qui commence à être le cas, notamment sur les problématiques énergétiques. » Les professionnels doivent donc se tenir assez régulièrement au courant des différentes techniques qui existent, sans forcément se substituer aux architectes ou aux maîtres d’oeuvre, pour pouvoir ensuite orienter les copropriétaires sur un certain nombre de sujets techniques et financiers, tous deux intimement liés. Sans compter une solide connaissance du système de prise en charge de la dépense et des différentes techniques permettent de répondre aux préoccupations des copropriétaires. «Un bon gestionnaire doit être force de propositions, ce n’est pas une boîte aux lettres» rappelle Antoine Labruyère. «Il va plus loin que ce qu’on lui demande et que le simple constat. Par ailleurs, il doit adapter son discours au type de copropriétaires qu’il a en face de lui.» Autant de compétences directement liées à la qualité des formations dispensées au préalable.


Des formations qui misent sur la pratique

De fait, les formations sont-elles bien toutes en adéquation avec les besoins du marché ? S’il est très difficile de généraliser, force est de constater qu’un grand nombre de formations tentent actuellement de s’adapter à ces évolutions. «Si l’on regarde les choses de manière pragmatique par rapport à la qualité des réponses aux tests de recrutement que nous proposons, on constate que les professionnels qui disposent d’un niveau de connaissances supérieures à la moyenne, sont ceux ayant effectué un cursus universitaire de type licence juridique associé à une formation de type Institut d’études économiques et juridiques appliquées à la construction et à l’habitation (ICH).» Mais depuis cinq ou six ans, un certain nombre de formations dédiés à la copropriété allant du BTS au master montent en puissance. De quoi professionnaliser davantage la filière grâce à une orientation assez forte sur la gestion patrimoniale. «Il y a bien une meilleure densité, mais je trouve que parfois cela manque de pratique», regrette Antoine Labruyère. «Le cadre législatif et réglementaire pour les métiers de la copropriété est complexe et ces connaissances théoriques ne permettent pas, sur le terrain, de résoudre tous les sujets pratiques.» Face à ces critiques et pour répondre au mieux aux besoins, les organismes de formation misent à fond sur la mise en situation au cours des études. Sans compter, les systèmes de cours du soir qui sont un bon moyen de renforcer la valeur des professionnels sur le marché du travail. Ces derniers peuvent ainsi se mettre à jour et accroître leurs connaissances à partir de cas pratiques qu’ils ont eux-mêmes rencontrés.

«La bonne nouvelle pour les syndics est que les jeunes sont motivés pour travailler», conclut Thierry Cheminant. «Mais il faudra attendre encore quelques mois qu’il y ait suffisamment de flux de sortie pour que tous les besoins soient assouvis et que les professionnels de la copropriété puissent renforcer leur équipe.»


ENCADRE : Le point de vue de Jean-Paul Daveau, responsable pédagogique à l’ESPI (Ecole Supérieure des Professionnels de l’Immobilier) et professionnel de l’immobilier

«La formation doit se situer aujourd’hui à trois niveaux. Tout d’abord du point de vue comptable, avec la maîtrise d’un logiciel immobilier. A partir du moment où celui-ci est connu du gestionnaire qui rentre ses données financières conformément au plan comptable, la relation est parfaitement transparente. Une nécessité, surtout aujourd’hui, où le contrat de syndic doit être uniforme. Les copropriétaires seront ainsi à même de comparer les choses comparables et de voter un budget prévisionnel pour faire face aux dépenses courantes de maintenance, de fonctionnement et d’administration des parties communes et équipements communs de l’immeuble. (article 14-1 de la loi 1965)

Deuxième niveau : la connaissance de l’humain, et des gestions humaines, afin d’entretenir des relations privilégiées avec les copropriétaires et le conseil syndical. Le gestionnaire est l’interlocuteur privilégié du conseil syndical qui, lui même, doit être à l’écoute de tous les autres copropriétaires. Une compétence humaine indispensable, sachant qu’aujourd’hui, le service attendu est souvent exigeant, de qualité, mais qu’il n’est pas rémunéré à sa juste hauteur. Il faut être un caméléon des relations sociales pour pouvoir s’adapter à ses clients.

Le troisième aspect est celui de la gestion comptable, juridique, mais surtout technique, en particulier, au niveau des travaux. Il faut être à même d’expliquer un devis de ravalement, de peinture, de plomberie. Or, ces compétences ne sont pas données à tout le monde. Certains cabinets possèdent des services “travaux“, avec des professionnels disposant d’une formation technique, des maîtres d’oeuvre ou des économistes de la construction. Lorsque ces compétences sont intégrées, le syndic peut donc suivre les travaux, ce qui lui permet au passage de disposer d’une rémunération supplémentaire.

Il y a aussi une technique prospective d’avenir avec l’enjeu croissant que constitue le développement durable. Cela va coûter cher, il y a des audits d’immeuble à mettre en oeuvre, pour pouvoir expliquer et chiffrer, il faut donc avoir recours à une fonction technique. Et cela manque un peu dans les cabinets. Enfin, concernant l’entretien et les travaux quotidiens, on reproche souvent aux syndics, le manque de rapidité de leurs interventions ou leur mauvaise qualité. Il est donc important que les formations comportent à la fois un enseignement pratique et théorique.»


ENCADRE : Les textes

Formation : une obligation légale

Contribution conventionnelle à la formation professionnelle

Art. L.6331-1 et suiv. du code du travail – Loi n°91-1405 du 31.1.91 et Loi n°2004- 391 du 4.5.04

Tous les employeurs occupant moins de 10 salariés sont dans l’obligation de contribuer à formation professionnelle continue à hauteur de 0.55 % de la masse salariale brute de l’ensemble des salariés. Le versement de la contribution s’effectue auprès d’AGEFOS-PME avant le 28 février de chaque année. Les syndics de copropriété ou administrateurs de biens doivent donc verser cette contribution pour le compte des copropriétés qu’ils gèrent et qui emploient des gardiens, concierges ou employés d’immeubles.

Formations obligatoires en matière de sécurité

Loi du 6/12/76 – Art. L. 4142 et suiv. du code du travail – Circulaire N° 80-199 du Groupe National de contrôle.

Tout employeur a l’obligation d’organiser des formations pratiques et appropriées en matière de prévention d’accidents du travail, d’hygiène et de sécurité afin d’avertir ses salariés des risques attachés à leur activité professionnelle.

Les syndics de copropriété ou administrateurs de biens doivent donc former les gardiens et employés d’immeubles sur les risques qu’ils encourent dans le cadre de leur activité professionnelle. Il s’agit notamment de les former :
- sur les risques électriques (habilitation électrique « HOBO »),
- à la manipulation des charges (formation sur les « gestes et postures »).

Ces formations peuvent être financées par AGEFOS-PME si elles sont intégrées dans un programme de formation plus large relatif au métier d’employé ou de gardien d’immeuble.


ENCADRE : Concierges et employés d’immeubles : stabilisation des effectifs après un fort déclin

Parmi les professions rencontrées en copropriété, celle d’employé d’immeuble occupe une place un peu particulière. «Le marché en lui-même est plutôt ambigu dans le sens où ce métier n’est pas forcément perçu en tant que tel, par les résidents d’un côté, et par les administrateurs de biens de l’autre», affirme Lionel Lopes, directeur général délégué d’ATPatrimoine, organisme de formation spécialisé dans la branche professionnelle des gardiens et employés d’immeuble. Par ailleurs, la profession est très hétérogène du fait de la disparité de niveaux rencontrée, avec du personnel parfois diplômé et parfois pas, ainsi qu’une maîtrise parfaite ou partielle de la langue française. Autant de situations qui peuvent rendre complexe les échanges entre le syndic et l’employé.

Autre caractéristique propre à ce métier : le flou sur l’identité de l’employeur. «Très souvent, les employés d’immeubles ne comprennent pas toujours qui les emploie. Il y a alors un amalgame entre le syndicat de copropriétaires qui est juridiquement reconnu en tant qu’employeur, et le syndic qui est l’employeur mandaté par le conseil syndical pour exercer la gestion complète de la copropriété.». Le salarié pense ainsi souvent que son patron est le syndic et que ce dernier ne l’entend pas quand il demande, par exemple, une augmentation. Or, la décision revient au syndicat de copropriétaires, d’où des malentendus qui peuvent être sources de tensions.

Après une période de 2007 à fin 2009, où le déclin de gardiens à temps plein, et encore plus à temps partiel, a été très important, leur nombre s’est à peu près stabilisé depuis l’an dernier. «Les syndicats des copropriétaires votaient d’une année sur l’autre la suppression des postes d’employés pour les remplacer par des prestations de sociétés de nettoyage», affirme Lionel Lopes. «Mais à l’heure du bilan bon nombre d’entre eux ont souvent tendance à réaffecter ces temps partiels supprimés uniquement sur la base de considérations financières.» En cause : une qualité de prestation la plupart du temps en baisse. «A nombre d’heures égales, une société de nettoyage revient plus cher qu’un employé. Il est donc logique qu’il y ait une dépréciation de la qualité de la prestation, au moment de la suppression du poste.»