[N° 543] - Fibre optique : en est-on ?

par Paul TURENNE
Affichages : 31376

Index de l'article

Le développement croissant de la fibre optique dans les copropriétés annonce une révolution technologique pour les particuliers. Le point sur les offres actuelles et à venir, sans oublier les dernières évolutions législatives concernant son installation dans les parties communes.

Paul TURENNE

« Ca y’est, la fibre c’est parti ! » Le secrétaire d'Etat chargé du Développement de l'Economie numérique, Eric Besson, a confirmé que le mouvement pour un déploiement rapide de la fibre optique dans l'hexagone était bien lancé. L'objectif du gouvernement est ambitieux : desservir quatre millions d’abonnés en très haut débit d’ici 2012. Pour l’heure, l'offre fibre reste encore réservée à une poignée de privilégiés. Selon les derniers chiffres, Orange compte seulement 14 200 abonnés sur Paris, l’Ile de France et dix villes françaises. Bien loin du million de clients raccordables sur lesquels tablait le groupe pour la fin de cette année! Free en revendique seulement
« un petit nombre », quant à SFR, il ne fournit plus de chiffres…
Seul Numéricable dont 40 % du réseau est déjà en fibre optique tire un peu son épingle du jeu avec 100 000 abonnés « puissance fibre » (de la fibre jusqu’au bas de l’immeuble relayé par un câble coaxial).
Principale raison de ce retard, un cadre juridique flou et de nombreuses incertitudes techniques concernant les fibrages dans les copropriétés. Les conseils syndicaux de copropriétés sollicitées par des opérateurs qui souhaitaient installer un réseau de fibre optique étaient bien souvent tentés de freiner des quatre fers, en l’absence de garanties.

Plus de monopoles locaux dans les copropriétés

Depuis cet été, la situation a bien changé avec le vote du volet numérique de la Loi de Modernisation de l’Economie (Cf. encadré) qui impose la mutualisation des réseaux de fibres à tous les opérateurs. En effet, rien n'obligeait jusqu'alors un opérateur qui avait fibré une copropriété à partager ses fourreaux de câbles. Les copropriétaires pouvaient ainsi être liés à un opérateur sans pouvoir bénéficier d’une offre concurrente. Des situations potentielles de monopoles locaux particulièrement gênantes pour Edouard Barreiro, chargé de mission nouvelles technologies à l’UFC-Que choisir :
« Avant, chaque fois qu’un opérateur demandait à fibrer, nous avions systématiquement des appels de personnes inquiètes. Maintenant, le cadre législatif rassure. »
Ainsi, même si aujourd’hui un opérateur tire un réseau qui n’est pas tout de suite mutualisable, son concurrent pourra interpeller l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP). En s’appuyant sur la LME, le « gendarme des Télécom » pourra sanctionner l’opérateur en faute et l’obliger à ouvrir son accès au réseau fibré de l’immeuble.


La fibre, en bref : Quels intérêts pour les copropriétaires ?

Simple fil de verre ou de plastique souple de l’épaisseur d’un cheveu, entouré d’une gaine de protection, la fibre a pour propriété de pouvoir conduire une onde sur des distances équivalant à plusieurs milliers de kilomètres. Elle bat ainsi à plates coutures l’actuel fil de cuivre, en terme de débit (5 fois plus rapide), avec une quasi-absence de déperdition du signal.
Une révolution technologique pour les particuliers, comparable au passage du bas débit à l’ADSL et qui ouvre la voie à de nouvelles utilisations : télévision haut débit par Internet, envois et téléchargements de fichiers ultrarapides, visio-conférence…

 

 

 

Accès résidentiel à la fibre optique - Estimation à fin 2013 /
Source Tactis
janvier 2008

 

 

 

 

 

 

 


LME : un cadre législatif plus clair

Voté par le Sénat, le 23 juillet dernier, l’article 109 de la Loi de Modernisation de l'économie prévoit que tous les logements neufs devront être préalablement fibrés à partir de 2010 et la mutualisation des réseaux. La législation française s'accorde ainsi sur le partage des réseaux par l'ensemble des opérateurs, sans toutefois trancher sur sa localisation. C'est l'ARCEP, qui, le 9 octobre dernier, après une consultation publique, a clairement affirmé que celle-ci devait se situer sur le domaine public, autrement dit hors des bâtiments.
Autre point capital : la loi prévoit que les opérateurs signent une convention avec les syndicats de copropriétaires avant de débuter tous travaux et que ceux-ci ne puissent dépasser six mois.
L’adoption du décret qui va imposer les clauses types de cette convention devrait être effective avant la fin de l’année, en même temps que quatre autres décrets relatifs au déploiement des réseaux à très haut débit.

 

 

 

 

 

Pose de câble optique dans une rue de Nantes - Credit Groupe ANT - CETE de l'Ouest

 


Les différentes étapes pour fibrer une copropriété

En premier lieu s'assurer que la copropriété se situe bien dans une zone desservie par la fibre optique d'un des quatres opérateurs qui assure ce service (Orange, SFR, Free, Numéricable). Si tel est le cas, la copropriété a très vraisemblablement été déjà démarchée.

Dans un second temps, la copropriété intéressée par la fibre, doit en faire part avant l'AG afin que la demande soit inscrite à l'ordre du jour.
Une convention-type (disponible sur le site de l'ARCEP) entre le syndicat de copropriétaires et l'opérateur en question doit alors obligatoirement être signée à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés. Y sont précisées les conditions d'installation, de gestion, d'entretien et de remplacement des lignes à haut débit, intégralement à la charge de l'opérateur.

À la demande du gestionnaire de l'immeuble, une étude technique est alors réalisée pour déterminer l'emplacement des câbles et des boîtiers empruntant les parties communes.

Les travaux d'équipements de l'immeuble peuvent alors débuter et doivent être terminés avant la date limite indiquée sur la convention-type.


Attention JURISPRUDENCE Jugement du TGI de Paris du 25 juin 2008

(...) Le Tribunal a condamné des câblo-opérateurs, pour avoir installé, dans deux copropriétés sans l’accord formel des assemblées générales, et sans vouloir acquitter de redevances annuelles, des équipements de vidéocommunication dans les sous-sols, destinés à desservir, en réseau câblé, plusieurs quartiers de Paris. 
Le TGI a d’abord rejeté plusieurs exceptions d’irrecevabilité soulevées par lesdites sociétés.
Celles-ci, prétendant bénéficier d’un régime de servitude légale, et se prévalant des dispositions de la loi du 30/09/1986 relative à la liberté de communication, avaient, en effet, conclu à l’incompétence du TGI au profit soit du juge de référé, soit des juridictions de l’ordre administratif, soit du juge de l’expropriation. Le TGI a rejeté ces exceptions d’incompétence au motif que le câblo-opérateur ne bénéficiait d’aucune  servitude dans les copropriétés, ni d’aucun droit propre d’initiative, ni d’une concession de service public de la communication audiovisuelle, ni d’aucun privilège de juridiction. Sur le fond, le TGI a jugé qu’en « l’absence de servitude légale et de législation spécifique, il appartient aux copropriétaires d’un immeuble non câblé à l’origine, de donner leur accord au raccordement en application des dispositions générales de la loi du 10/07/1965 ».
Dès lors, le TGI, constatant que l’implantation des armoires de câblage caractérisait une annexion des parties communes, a jugé abusive cette annexion sans autorisation de l’Assemblée Générale et a condamné les câblo-opérateurs à supprimer ces installations litigieuses sous astreinte.
Ces sociétés sont aussi condamnées, envers les copropriétés, à une indemnisation pour le préjudice subi.
Il est vraisemblable que ces deux jugements feront jurisprudence. À ce jour, les câblo-opérateurs (aujourd’hui Numéricable) n’ont pas encore exécuté les jugements les condamnant, mais continuent à percevoir auprès des abonnés le prix de prestations qu’ils ne fournissent plus.
(...)
Christian ROCHEBILIERIE - Docteur d’Etat en Droit - Administrateur Civil Hors Classe - Président du Conseil Syndical


3 questions à Edouard Barreiro, de l’UFC-Que choisir

Tout risque de monopole d’un opérateur dans une copropriété est-il définitivement écarté ?

Aujourd’hui, la LME, constitue un cadre juridique de bonne qualité, et l’adoption de cinq décrets en décembre  (Cf. encadré sur la LME) devrait rajouter encore une couche de solidité, notamment en précisant le contenu de la convention entre la copropriété et les opérateurs. Mais une petite inquiétude subsiste, car les opérateurs discutent encore entre eux des conditions de mutualisation. L’UFC-Que choisir approuve le choix de l’ARCEP du “multifibre” pour les opérateurs. Free le fait déjà de manière automatique. Orange et SFR ont annoncé qu’ils allaient tester cette solution sur le XVe arrondissement de Paris. Nous espérons qu'elle s'étendra rapidement à toute la France, car les technologies utilisées par Free d'une part et Orange et SFR d'autre part ne sont pas tout à fait compatibles.

Quels conseils donneriez-vous aux copropriétaires qui souhaitent fibrer ?

L’opérateur avec lequel le syndicat de copropriétaires signe, doit garantir que l’installation qui sera mise en place sera compatible avec tous les opérateurs. Si par exemple, je signe avec Orange, je peux leur demander s’ils sont certains que Free peut venir chez moi, et réclamer un document des opérateurs concurrents certifiant que la mutualisation est possible dans la copropriété.
Même si la convention type de l'ARCEP n'est pas encore sortie en décret, le document a en tout les cas une valeur juridique s’il est cosigné par les deux parties. Attention toutefois à ce qu'un opérateur ne fasse pas passer un de ses contrats pour cette convention...

Dans l'attente de l'adoption du décret de la LME concernant la convention-type, la version disponible sur le site de l'ARCEP est-elle satisfaisante ?

L'UFC s'est prononcée pour qu'un engagement daté concernant la fin des travaux de fibrage figure dans la convention-type. Si aujourd’hui, une copropriété a des propositions d’Orange et de Free par exemple, les deux opérateurs vont avoir tendance à proposer un délai très court d’installation pour remporter le marché. Or, les opérateurs peuvent très bien avoir menti et annoncé un délai de deux mois, alors qu’au final, ils vont se « contenter » du délai légal de 6 mois. Si une convention est signée avant la sortie de ce décret d'ici la fin de l'année, il faut donc bien vérifier qu'un délai d’engagement y figure.

 


Trois manières de distribuer la fibre optique aux particuliers

Le point-à-point passif (utilisé par Free)

Chaque habitation est reliée au central optique (NRO ou Nœud de Raccordement Optique) via une ou deux fibres dédiée. La ligne est disponible totalement ce qui garantit un débit élevé et un ciblage précis pour l’opérateur. En revanche, les infrastructures n’étant pas mutualisées, cette installation se révèle plus coûteuse à installer pour l’opérateur, d’où un déploiement plus lent.

Le point-multipoint passif (utilisé par Orange ou SFR)

La fibre optique part du NRO et est partagée entre plusieurs clients, via un coupleur, sorte de multiprise placée à proximité de la zone à desservir. La mutualisation des infrastructures est ainsi favorisée, ce qui permet des
économies sur la quantité de fibres à poser et donc de réduire la taille des infrastructures d’accueil. En revanche, les performances sont moindres en terme de débit.

Les solutions mixtes (utilisé par Numéricâble)

Le point de desserte optique est plus ou moins proche de l’utilisateur. Placé au niveau de l’immeuble (FTTB : Fiber To The Building), ou au niveau de la rue (FTTC : Fiber To The Curb) Le restant de la connexion s'effectue jusqu'au logement par des fils de cuivre, comme ceux utilisés pour l'actuel haut débit. Ce type d'installation évite provisoirement d'intervenir chez les usagers tout en leur
permettant d'accéder à la technologie fibre optique.

© CETE de l'Ouest


Une entente entre opérateurs ?

Le déploiement de la fibre optique représente un enjeu capital pour les opérateurs.
La concurrence a ainsi été très rude, surtout avant que la mutualisation ne soit effective, donnant parfois lieu à des fibrages abusifs dans les copropriétés sans l'accord formel des assemblées générales. Le premier « installé » n'étant jusqu'alors pas obligé d'ouvrir ses fourreaux de câble aux concurrents. Un constat qui cache peut être un autre problème : les opérateurs feraient l'objet d'une enquête pour entente illégale. Ils se seraient entendus pour ne pas rémunérer les syndicats de copropriétaires lors des fibrages. Contactée, la DGCCRF (Direction Centrale du Commerce de la Concurrence et de la Répression des Fraudes) a refusé de confirmer, ou d’infirmer cette affirmation.

Affaire à suivre, donc.

 


Dernière minute : Plan numérique 2012 le haut débit pour tous

Eric Besson a dévoilé le 20 octobre dernier ce plan en 154 mesures pour développer le numérique en France d'ici à 2012. Parmi les mesures-phares figure,  la création d'un nouveau « droit opposable » à l’accès Internet haut débit qui « constitue, comme l'eau et l'électricité, une commodité essentielle » selon Eric Besson. Début 2009, le gouvernement lancera ainsi un appel d'offres pour un service d'accès à Internet haut débit accessible à l’ensemble des Français. Il sera disponible dès janvier 2010 à un « tarif abordable, inférieur à 35 euros par mois », équipements d'accès inclus.
Parallèlement, le plan prévoit la généralisation du très haut débit, porté par la fibre optique, avec un budget prévu de dix milliards d'euros sur dix ans.


Comparatif des offres fibre optique


Les points à retenir

- L’installation, la gestion et l’entretien du réseau de fibres sont intégralement à la charge de l’opérateur
- Toute convention signée entre un syndicat de copropriétaires et un opérateur « non conforme » au décret clauses types qui sera adopté en décembre, n’aura plus de valeur et devra être mise en conformité.
- En cas de problème de mutualisation, la copropriété n’aura pas à effectuer des démarches pour favoriser la concurrence. Les opérateurs qui souhaitent profiter du réseau très haut débit dèjà en place pourront saisir l’ARCEP le cas échéant.

Pour aller plus loin :

Le site de l’ARCEP : www.arcep.fr

Observatoire Tactis du très haut débit : www.tactis.fr

Offres fibre des opérateurs :

Orange : www.avoirlafibre.com
SFR : http://fibre-optique.sfr.fr
Free : http://ftth.free.fr/offre_fibre.html
­Numéricable : www.numericable.fr/offre/fibre_optique.php

À suivre : un tableau de bord du très haut débit sera édité par l’ARCEP d’ici la fin de l’année afin de « suivre l’avancement des déploiements et de la mutualisation »