[N° 576] - Les finances de la copropriété : La banque, le syndic et le syndicat - Entretien : «Faute d’incitations, les copropriétaires ne seront pas enclins à capitaliser en vue d’assurer l’entretien de leur bien»

par Paul TURENNE
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Entretien : «Faute d’incitations, les copropriétaires ne seront pas enclins à capitaliser en vue d’assurer l’entretien de leur bien»

Jean-Pierre Désir, directeur Progedi*

Quel constat portez-vous aujourd’hui sur le financement des travaux en copropriété ?
Trop peu de copropriétés font contrôler périodiquement l’état des composantes structurelles de l’immeuble telles que la toiture, les canalisations ou bien encore le chauffage. Qui plus est, très peu d’entre elles ont constitué des provisions pour financer sur une longue période les gros travaux d’entretien permettant aux copropriétaires de gérer dans le temps leur financement. Cet état de fait est aggravé par la conjoncture actuelle qui n’incite pas les copropriétaires à faire l’effort nécessaire pour assurer la pérennité d’un état général satisfaisant des parties communes. Or, ces dernières vivent et vieillissent, elles aussi ! A cela s’ajoute les exigences imposées par l’article 7 de la loi Grenelle 2 qui prévoit que pour tout immeuble équipé d’une installation collective de chauffage ou de refroidissement, le syndic inscrive à l’ordre du jour de l’assemblée générale qui suit, l’établissement d’un diagnostic de performance énergétique ou d’un audit énergétique, la question d’un plan de travaux d’économies d’énergie ou d’un contrat de performance énergétique. Il ne fait aucun doute que dans les immeubles d’avant 1990, ces contraintes vont entraîner des travaux importants auxquels les copropriétaires devront faire face. Face à tous ces défis, la systématisation de la constitution de provisions permettant de financer des travaux et l’entretien conséquent des immeubles me semble indispensable.

Comment articuleriez-vous cette mise en place de fonds «travaux obligatoires” ?
Il s’agit, sur la base d’un plan pluriannuel de travaux, de constituer progressivement une réserve financière permettant le moment venu de financer la plus grande part du coût des travaux incombant aux copropriétaires, une fois déduits les aides et financements obtenus. Cependant, force est de constater que nombre de copropriétaires sont réticents à l’idée d’engager des frais supplémentaires et ne vont pas d’eux-mêmes anticiper, mais préférer faire des économies à court terme. A l’image de l’exemple québécois, il faudrait donc rendre obligatoire cette réserve qui, dans un premier temps, pourrait se limiter à des montants équivalents à 5 % du budget des charges courantes avant d’ouvrir la voie à des provisions plus importantes. Des aménagements, tant au niveau de la législation que de la copropriété**, de la fiscalité ou de la garantie de fonds mandants, seront toutefois nécessaires pour favoriser la constitution de ces réserves financières. Il faut donc que tous les acteurs se mettent autour d’une table pour disposer d’une analyse globale et approfondie de la situation et déterminer quelles sont les solutions les plus efficaces pour pérenniser l’entretien des parties communes. Faute de quoi, le risque de se retrouver avec des copropriétés décrépies va aller croissant.

Quelles mesures concrètes préconiseriez-vous ?
Des propositions concrètes ont d’ores et déjà été formulées par des groupes de travail du “Chantier Copropriété” pour le plan bâtiment Grenelle. Il s’agit tout d’abord de l’instauration d’un éco-plan et d’un fonds “travaux énergétiques” versé sur un plan d’épargne énergétique copropriétés. Mais également des mesures d’ordre fiscal telles l’exonération des produits financiers générés par le plan d’épargne énergétique copropriétés, ainsi qu’une durée minimum d’abondement du plan de trois ans. Lors de sa libération, une prime pourrait alors versée pour aider à financer les travaux prévus dans le plan d’économie d’énergie voté en assemblée générale. Les sommes provisionnées par certains copropriétaires pourraient également ouvrir droit à un crédit d’impôt, en fonction de leur situation fiscale.
Ce plan de travaux d’économies d’énergie serait alimenté par une contribution annuelle égale au minimum à 5 % du budget annuel de charges courantes, mais l’assemblée générale, pourrait décider à la majorité absolue de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965, d’augmenter cette contribution dans une limite maximale de 15 %. Les sommes recueillies à ce titre ne pourraient être utilisées à d’autres fins qu’au financement des études et travaux ayant fait l’objet d’un vote spécifique en assemblée générale. Il conviendrait également que les sommes recueillies ne soient pas concernées par la garantie des fonds mandants visés à l’article 3 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970. Enfin, les sommes rendues exigibles auprès des copropriétaires devraient être considérées comme des provisions et, comme telles, être définitivement attachées aux lots. Un décret pourrait enfin préciser les modalités de déblocage des fonds et de suspension provisoire éventuelle de l’abondement de ce fonds dès lors que les travaux correspondant auront été votés. Autant de gardes fous nécessaires pour que les fonds ne soient pas utilisés pour compenser, par exemple, le non paiement des charges par certains copropriétaires en difficulté.

Au delà de ces souhaits, les prêts collectifs vous semblent-ils actuellement un outil efficace ?
Lorsque plusieurs copropriétaires n’ont pas accès à des taux avantageux, voire au crédit tout court, les prêts collectifs peuvent être vraiment utiles pour de gros travaux. Toutefois, la plupart du temps, les copropriétaires négocient directement avec leur banque afin d’emprunter à un taux plus faible, ce qui fait que cela ne passe pas à tous les coups. En ce qui me concerne, les prêts collectifs ne représentent que 10 % de tous les prêts consentis, bon nombre de copropriétaires préférant, gérer leur épargne eux-mêmes lorsqu’ils en ont la possibilité. Les prêts collectifs permettent cependant de pouvoir emprunter à des conditions moins draconiennes que pour les prêts classiques, que ce soit au niveau de l’apport personnel, de la capacité d’endettement ou de l’âge. Le syndic doit juste attester que chaque copropriétaire est à jour de ses charges.
J’ai récemment eu le cas d’une réfection de toiture où la majorité ne pouvait pas assumer la dépense. L’ensemble des copropriétaires, y compris ceux qui pouvaient s’en passer, ont donc voté la souscription à un prêt collectif, afin de rendre possible les travaux. Sans cette solidarité, plusieurs d’entre eux n’auraient pas pu faire face à leur obligation de financement, ce qui aurait menacé la bonne exécution des travaux. Dans ces cas là, l’intérêt collectif prévaut. ●


*Progedi : cabinet d’administration de biens à Beausoleil
** Lire l’étude de Yves JOLI-CŒUR en p. 23.