[N° 596] - Encadrer les nuisances d’un local professionnel

par Paul TURENNE
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Clientèle, déchets, émanations, bruits… Les désagréments propres à la présence d’un ou de plusieurs locaux professionnels peuvent se révéler extrêmement pénalisants au sein d’une copropriété. Le point sur les sources potentielles de contentieux et sur les solutions pour y faire face.

Le jugement du «caractère anormal des nuisances» reste à l’appréciation exclusive du juge. Crédit : ©DR

Bien que fréquents en ville, la présence d’un commerce ou le déroulement d’une activité professionnelle sont susceptibles d’entraîner des nuisances sonores, visuelles et/ou olfactives. Avec, parfois, des troubles qui peuvent être considérés comme anormaux par les copropriétaires ou le voisinage. Le jugement du «caractère anormal des nuisances» reste, en revanche, à l’appréciation exclusive du juge, dans la mesure où le droit de propriété est bien loin de primer systématiquement sur la liberté du commerce et de l’industrie. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs donné une valeur constitutionnelle à cette dernière, dans sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 (cf. J.-M. Roux, Les troubles de voisinage en copropriété immobilière, Inf. Rap. Copr., nov. 2000, p. 18).
Le juge s’appuiera donc tout particulièrement à évaluer chaque situation au cas par cas, en s’appuyant sur les nombreuses jurisprudences en la matière.

 


Magasins d’alimentation : de très nombreux troubles potentiels

Les désagréments potentiels d’un commerce d’alimentation situé au rez-de-chaussée d’une copropriété sont nombreux. Mais à quel moment ces derniers deviennent-ils des troubles anormaux de voisinage ? Un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, le 10 décembre 2009 – quasi-exhaustif en la matière – apporte des éléments de réponse très clairs : «Les désagréments, liés aux bruits d’un broyeur compacteur d’emballages de déchets et d’un moteur de ventilation frigorifique, aux va-et-vient permanents des camions de livraison, aux concerts répétés de klaxons, les déclenchements intempestifs de l’alarme du magasin d’alimentation, aux odeurs nauséabondes des déchets alimentaires en putréfaction, à la présence d’ordures répandues aux abords du magasin par des tiers ou personnes nécessiteuses, excèdent par leur nature, leur fréquence, leur permanence et leur importance les troubles admissibles de voisinage auxquels on peut s’attendre en zone urbaine, même à proximité d’un magasin d’alimentation de moyenne importance.»

 


Les commerces de restauration

Par sa nature même, un restaurant va dégager des odeurs de cuisine. Mais, là encore, tout est question de proportions et le juge devra toujours «constater le caractère anormal des nuisances constatées» et le montant du préjudice. Le trouble a d’autant plus de chance d’être reconnu s’il résulte d’une modification non réglementaire des locaux.
Il peut également être sonore, avec les bruits provenant, par exemple, des terrasses, des cuisines ou bien encore des extracteurs d’air, notamment si ces derniers donnent sur une cour intérieure ou une rue étroite. Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 janvier 1993 a rappelé que «l’exploitant d’un restaurant est responsable des troubles excessifs dépassant les inconvénients normaux de voisinage émanant de son commerce».
En revanche, un arrêt de la Cour de cassation, du 14 décembre 2010 a condamné la décision d’une assemblée générale des copropriétaires qui avait décidé de refuser l’autorisation d’exploiter un restaurant dans le local du rez-de-chaussée, au motif que le règlement de copropriété stipulait : «il ne pourra y être exercé aucune profession ni aucun métier bruyant, insalubre ou exhalant de mauvaises odeurs». Or, le règlement de la copropriété, composée de deux bâtiments à usage mixte d’habitation et de commerce, n’interdisait pas expressément une activité de restauration. L’arrêt a donc acté que l’interdiction devait viser des professions ou des activités précises pour être valable.


Enseignes lumineuses

Luminosité excessive, désagréments visuels, parasites avec de vieux néons… Les enseignes sont susceptibles de causer des troubles non négligeables pour les riverains situés à proximité directe. A commencer par les pharmacies et leurs fameuses croix vertes, dont les animations lumineuses n’ont fait que s’accroître au fil des ans. De quoi motiver quelques copropriétaires situés notamment au premier étage à intenter des actions en justice. Pour autant, la plus grande prudence est de mise en la matière. Ainsi, la cour d’appel de Paris n’a pas considéré qu’une pharmacie du centre-ville, ouverte du matin jusqu’à 20 heures 30, constituait une nuisance anormale.
En revanche, pour l’enseigne d’un commerce d’ameublement, un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 1976 a constaté «l’importance et le sérieux des désagréments résultant de la pénétration dans une pièce d’habitation d’une vive lumière, de couleur, émise par l’enseigne allumée le soir jusqu’à 21 heures, ainsi que le jour par temps sombre».

Par ailleurs, un bailleur qui, pour une quelconque raison, interdirait à son locataire d’apposer son enseigne en façade de l’immeuble où s’exerce son activité commerciale, manquerait à son obligation de délivrance, comme l’a rappelé la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 20 septembre 2011. Ce dernier précise ainsi que «l’enseigne qui est un signe par lequel le commerçant informe la clientèle de sa présence à l’emplacement des locaux loués dans lesquels il exerce son activité, indispensable à l’individualisation de son commerce, est un attribut du fonds de commerce. Le bailleur, qui doit permettre au preneur l’exercice paisible de son activité lorsqu’il est commerçant, ne doit en conséquence pas porter atteinte au signe distinctif reconnu par sa clientèle que constitue son enseigne, sans qu’il y ait besoin d’aucune stipulation particulière dans le bail».

 

Photo : Le droit de propriété est loin de primer systématiquement sur la liberté du commerce et de l’industrie. Crédit : ©DR


Quelques références d’importance

• L’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 reconnait un intérêt collectif à agir en copropriété.
• Un arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2005, deuxième chambre civile, indique que «le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage s’applique à tous les occupants d’un immeuble en copropriété, quel que soit le titre de leur occupation». En cas de trouble causé par un locataire, le copropriétaire qui loue le bien à ce dernier, partage également la responsabilité de ses actes et peut donc lui-même être assigné.
• L’arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage, paru au Journal officiel du 20 décembre 2006, précise pour chacune des catégories (bruits liés au comportement de voisinage, d’une chose, bruits provenant des activités professionnelles...), les critères permettant d’apprécier si un bruit de voisinage porte atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme.
• Voir la jurisprudence commentée dans ce numéro 596 pour les parties privatives.


A retenir

Les procédures juridiques en la matière se révèlent longues et hasardeuses. Mieux vaut donc privilégier la discussion en vue d’apaiser la situation et de préserver les rapports de voisinage qui pourraient, dans le cas contraire, être amenés à se dégrader très rapidement.