«Le premier des membres de la Curie ... et le curé de campagne»
Les experts judiciaires sont depuis fort longtemps désignés dans des litiges touchant à la copropriété. Mais, avant 1965, leurs missions étaient relativement simples : telles que l’examen des conséquences des dégâts des eaux en copropriété ou le contrôle de la comptabilité des syndics. Les missions de ces experts vont être considérablement diversifiées et devenir beaucoup plus lourdes avec la publication de la loi du 10 juillet 1965.
En effet, la loi du 10 juillet 1965 est extraordinairement riche et complexe tant en ce qui concerne ses principes mêmes qu’en ce qui concerne son formalisme, sans rien sacrifier des principes généraux du droit des obligations.
Pour bien comprendre la loi de 1965 les experts judiciaires vont solliciter de ses acteurs principaux des informations et des explications. C’est ainsi qu’à l’initiative de Lucien Arnaud, ingénieur civil, de Marcel Morand, HEC, de Peynet, architecte, sera créée la Chambre nationale des experts en copropriété.
Effectivement, la Chambre nationale des experts en copropriété suscitera l’intérêt des plus hautes autorités : de Jean Foyer, le père de la loi de 1965, du conseiller à la Cour de cassation Jean Guillot, de M. Paucot, avocat général à la Cour de cassation ... ainsi que des auteurs les plus éminents tels madame Kischinewsky-Broquisse, le professeur Giverdon ou encore Daniel Sizaire… Dès cette époque également M. Capoulade, alors directeur du Bureau du droit immobilier de la Chancellerie et le principal rédacteur de la loi de 1965, acceptera d’apporter son concours aux manifestations de la Chambre.
Ce concours sera de plus en plus actif, notamment sous la présidence de Me Bernard Boussageon, qu’il retrouve régulièrement aux séances de la Commission relative à la copropriété : sans avoir dirigé la Chambre nationale des experts en copropriété, M. Capoulade n’en deviendra pas moins le principal acteur de ses manifestations, non seulement en y faisant de remarquables exposés mais également en acceptant de présider nombre de réunions. M. Capoulade ne contrôle pas seulement le temps de parole des orateurs, mais après chaque intervention, il rebondit sur les points essentiels qui ont été traités et amène les auditeurs à poser, voire même à se poser, les bonnes questions.
M. Capoulade nous a également rappelé un point essentiel : il n’existe pas de synonyme dans la langue juridique. En sorte que pour être bien compris, il convient d’utiliser le terme même de la loi et d’éviter toute paraphrase.
Egalement, et bien avant que cela devienne une mode, M. Capoulade nous a appris à lire correctement un arrêt de la Cour de cassation : par exemple ce rappel constant, que la Cour de cassation ne répond que dans la limite des questions qui lui sont posées (le «moyen», rien que le «moyen») ou encore cette remise en cause de l’idée reçue selon laquelle un arrêt de cassation aurait nécessairement plus de portée qu’un arrêt confirmatif, alors qu’il ne faut pas négliger l’approbation chaleureuse des juges suprêmes qui se traduit par l’emploi d’expressions telles qu’à “bon droit”, “la cour a justement...” ou encore “la cour à fait une exacte application du droit”.
Certes, les praticiens de la CNEC ne sont pas toujours totalement séduits par certaines positions de la Cour de cassation défendues par M. Capoulade, les trouvant parfois trop abruptes : il en est ainsi du déni de toute valeur contractuelle à l’état descriptif de division, seul document pourtant, qui définisse avec précision l’étendue des parties communes et des parties privatives.
De même, nous regrettons parfois la rigidité du formalisme de la loi et plus encore du décret sur certains points et nous souhaiterions que le juge puisse appliquer la loi avec plus de souplesse notamment pour éviter l’annulation d’actes ou de décisions ne respectant pas scrupuleusement la règle sans que cet irrespect ait compromis les intérêts du copropriétaire plaignant.
Parfois même, M. Capoulade peut paraître bien sévère, lorsqu’il reprend certains intervenants ayant usé d’une expression juridiquement inadéquate. Mais il convient de ne pas oublier que le président Capoulade est également un enseignant ayant porté l’Institut d’études économiques et juridiques appliquées à la Construction et à l’Habitat (ICH) sur les fonts baptismaux aux côtés du professeur Liet-Vaux et les enseignants savent bien qu’une idée fausse a la vie longue, si on ne l’étouffe pas dès sa naissance. Mais quelque soit le fond de sa pensée, Monsieur Capoulade l’exprime systématiquement avec courtoisie et avec le sourire.
Certaines réunions de la CNEC ont été un festival pour l’esprit : je pense notamment à son intervention avec le Professeur Giverdon au congrès d’Angers au cours de laquelle ces deux auteurs d’un traité unique s’étaient opposés sur l’interprétation de plusieurs arrêts de cassation, nous apprenant de la sorte qu’une même ligne éditoriale n’impliquait pas une pensée unique.
Pour autant, l’entente entre les deux hommes était parfaite, comme j’ai pu le constater lors d’un déplacement en Guadeloupe auquel j’avais été associé. Ce voyage s’était fait dans le cadre d’une formation pour l’ICH. J’en ai conservé un souvenir s’apparentant à la hiérarchie ecclésiastique : il y avait le pape de la Copropriété, le premier des membres de la Curie ... et le curé de campagne. Ce sentiment s’est imposé lorsqu’à la suite de nos interventions, les élèves me réservaient toutes leurs questions, n’osant s’adresser directement ni à Monsieur Capoulade ni au professeur Giverdon !
Aujourd’hui, la CNEC, sans négliger l’aspect technique du travail de ses adhérents se veut un lieu de réflexion multidisciplinaire sur toutes les questions juridiques touchant à la copropriété et par ricochet sur un ensemble de problèmes de société : c’est ainsi qu’elle consacrera son prochain congrès au thème des libertés en copropriété.
La CNEC bénéficie d’un intérêt renouvelé dans le milieu des praticiens de la copropriété qu’elle doit à la qualité et au sérieux de ses travaux. Elle est considérée comme un laboratoire d’idées susceptible de mettre en perspective les interrogations des professionnels et parfois de suggérer des solutions juridiquement pertinentes. C’est en grande partie au président Capoulade qu’elle doit cette renommée flatteuse.
Patrice LEBATTEUX
Avocat à la Cour
Président honoraire de la CNEC
Photo : Crédit Guillaume HECHT
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