Le groupe de recherche sur la copropriété (GRECCO), réunissant des praticiens et des universitaires, a pour objectif de développer une réflexion pérenne sur l’application et l’évolution du droit de la copropriété. Après débats, le GRECCO rédige des propositions destinées à faciliter l’interprétation des textes du droit de la copropriété, à suggérer des pratiques professionnelles et à susciter des modifications législatives et règlementaires. Préconisation n° 13 du 16 septembre 2021.
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 673 de novembre 2021
Point d’attention
La mise en conformité des règlements de copropriété, à laquelle le GRECCO a d’ores et déjà consacré deux préconisations, engendre de nombreuses difficultés relevées tant par les praticiens que la doctrine.
C’est la raison pour laquelle, l’article 24 du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (dit 3DS), dans sa version votée par le Sénat le 21 juillet 2021 en première lecture, prévoit de réécrire l’article 209 II de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite ELAN, comportant les mesures transitoires relatives à la mise en conformité des règlements de copropriété existants.
Ce texte, qui a déjà fait l’objet d’un amendement sénatorial (amendement 1620 : http://www.senat.fr/amendements/2020-2021/724/Amdt_1620.html), a été transmis à l’Assemblée nationale. Néanmoins compte tenu du calendrier parlementaire prévisible, il est très improbable que le projet de loi 3Ds puisse être adopté avant la date du 23 novembre 2021. En conséquence, la présente préconisation est publiée en l’état, et fera l’objet, si nécessaire, d’un complément, après publication du texte.
En l’état actuel du droit, l’article 209 II de la loi ELAN du 23 novembre 2018 précise que les syndicats des copropriétaires disposent d’un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi, soit jusqu’au 23 novembre 2021, pour mettre, le cas échéant, leur règlement de copropriété en conformité avec les dispositions de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
À cette fin et si nécessaire, le syndic inscrit à l’ordre du jour de chaque assemblée générale des copropriétaires organisée dans ce délai de trois ans la question de la mise en conformité du règlement de copropriété.
La décision de mise en conformité du règlement de copropriété est prise «à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés» (art. 206 II, al. 2, de la loi ELAN). Compte tenu de la modification, postérieure à la loi ELAN, de l’article 24 I de la loi du 10 juillet 1965, il apparaît pouvoir être compris qu’il s’agit de «la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance».
I.- Le champ d’application de la mise en conformité au regard de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965
L’article 209 II de la loi ELAN impose de mettre le règlement de copropriété en conformité avec les dispositions de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965.
L’article 6-4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 dispose que «l’existence des parties communes […] à jouissance privative est subordonnée à leur mention expresse dans le règlement de copropriété».
La «mention expresse» s’entend de l’identification de ces parties communes à jouissance privative dans le règlement de copropriété. La mise en conformité est nécessaire si la mention des parties communes à jouissance privative figure dans tout autre document que le «règlement de copropriété», étant précisé que l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965, confirmé par l’article 3 du décret du 17 mars 1967, distingue le règlement de copropriété de l’état descriptif de division. Ce sont donc deux actes juridiques distincts, même s’ils sont inclus dans le même document.
Rappel.- Les parties communes à jouissance privative sont, ainsi, définies à l’article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 :
«Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité exclusifs d’un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires. Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot. Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte».
Il en résulte que :
> Il peut être délicat de distinguer entre une partie commune à jouissance privative et une partie privative définie par l’article 2 de la loi du 10 juillet 1965 : «sont privatives les parties de bâtiments et des terrains réservés à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé». Pour régler cette question, il convient de se reporter au règlement de copropriété qui définit les parties privatives, les parties communes ainsi que les parties communes à jouissance privative qui doivent désormais y être expressément mentionnées.
Par exemple, s’il est fait état d’un «appartement avec terrasse» dans l’état descriptif de division, il est nécessaire de se référer au règlement de copropriété pour déterminer si la terrasse constitue une partie commune ou une partie privative. Si le règlement de copropriété stipule que les terrasses sont parties communes, il faut considérer que le copropriétaire n’est titulaire que d’un droit de jouissance privative sur la terrasse. Il faut procéder à la mise en conformité.
A défaut de toute précision dans le règlement, ce sont les présomptions prévues par les articles 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1965 qui doivent guider l’interprétation.
> Les parties communes peuvent être des parties communes générales ou spéciales. Bien que le texte dispose que les parties communes à jouissance privative «appartiennent indivisément à tous les copropriétaires», il paraît raisonnable de considérer qu’il vise les parties communes appartenant aux seuls copropriétaires ayant des droits indivis dans les parties communes concernées.
> Le texte vise le droit de «jouissance privative» sur parties communes. Toutefois, dans la pratique, les états descriptifs de division ou règlement de copropriété mentionnent souvent un «droit exclusif de jouissance sur parties communes» ou «une jouissance exclusive», ce qui peut être considéré comme une formule équivalente.
> L’article 209 II de la loi ELAN ne renvoie pas à l’article 6-3, alinéa 3, de la loi du 10 juillet 1965. En conséquence, la constitution de charges spécifiques n’entre pas dans le champ d’application de la mise en conformité au regard de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965. Cependant, concomitamment à la mise en conformité du règlement, le praticien ne peut ignorer que la question des charges ne manquera pas de se poser en application de l’article 6-3, alinéa 3, de la loi du 10 juillet 1965.
II.- Les hypothèses de mise en conformité du règlement de copropriété
1.- L’existence de la partie commune à jouissance privative est expressément mentionnée dans le règlement de copropriété.
Dans cette hypothèse, aucune mise en conformité du règlement de copropriété n’est nécessaire en application de l’article 209 II de la loi ELAN. Le règlement de copropriété est d’ores et déjà conforme à l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965.
2.- L’état descriptif de division comporte des lots qui comprennent des parties privatives auxquelles il est attaché un droit de jouissance privative sur une partie commune de l’immeuble. Par ailleurs, le règlement contient une clause aux termes de laquelle les titulaires de droit de jouissance privative supportent certaines charges.
L’on peut s’interroger sur le point de savoir si cette clause relative aux charges répond à l’exigence d’une mention expresse prévue par l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965.
Par précaution, il est recommandé d’identifier la partie commune à jouissance privative dans le règlement de copropriété. Cette mention peut prendre la forme d’un paragraphe «parties communes à jouissance privative» s’ajoutant aux paragraphes «parties communes» et «parties privatives».
3.- L’état descriptif de division comporte des lots qui comprennent des parties privatives auxquelles il est attaché un droit de jouissance privative sur une partie commune de l’immeuble (sans aucune mention dans le règlement de copropriété).
Par exemple, l’état descriptif de division mentionne dans la description du lot, des parties privatives avec un droit de jouissance privative sur une partie commune : un jardin, une terrasse, un balcon, un W.C., etc. En revanche, aucune mention ne figure dans le règlement de copropriété.
Dans cette hypothèse, la mise en conformité doit conduire à identifier les parties communes à jouissance privative dans le règlement de copropriété par une mention expresse. Cette mention peut prendre la forme d’un paragraphe «parties communes à jouissance privative» s’ajoutant aux paragraphes «parties communes» et «parties privatives».
4.- Les parties communes à jouissance privative sont mentionnées dans un autre document que l’état descriptif de division et le règlement de copropriété.
Cette mention peut résulter notamment :
- d’une résolution d’assemblée générale qui n’a pas donné lieu à une modification du règlement de copropriété, soit que le procès-verbal n’ait jamais été publié, soit qu’il ait été publié sous la forme d’un dépôt de pièce ;
- d’un autre acte, tel un acte de partage.
Dans ces hypothèses, la mise en conformité s’impose, afin d’intégrer dans le règlement de copropriété la mention expresse des parties communes à jouissance privative. Cette mention peut prendre la forme d’un paragraphe «parties communes à jouissance privative» qui s’ajoute aux paragraphes «parties communes» et «parties privatives».
Point de vigilance : Lorsqu’aucune publication n’a été effectuée au service de publicité foncière, se pose avant toute mise en conformité un problème d’opposabilité aux tiers. S’agissant, par exemple, d’une décision d’assemblée générale figurant dans un procès-verbal non publié, cette décision n’est pas opposable aux copropriétaires ayant acquis leur lot postérieurement à la décision, sauf s’ils ont explicitement adhéré, dans leur acte, à la décision de l’assemblée.
A défaut d’opposabilité de la décision à tous les copropriétaires, il n’est pas possible de réaliser une simple mise en conformité du règlement de copropriété ; il est nécessaire de confirmer la décision en assemblée générale à la majorité requise, laquelle pourrait être a minima celle de l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965 s’il s’agit de créer des parties communes à jouissance privative.
L’absence de confirmation de la part de l’assemblée générale (défaut de majorité, refus), pourrait engager la responsabilité du syndicat ou être contestée sur le fondement d’une atteinte aux droits acquis ou d’un abus de majorité.
5.- Le droit de jouissance privative figure uniquement dans les plans, annexés au règlement de copropriété ou à l’état descriptif de division.
Aucun document (état descriptif de division, règlement de copropriété, etc.) ne mentionne l’existence du droit de jouissance privative.
Pourtant, par une identification graphique (couleur, numéros, flèches etc.), il résulte des plans annexés au règlement de copropriété ou à l’état descriptif de division qu’un droit de jouissance privative sur une partie de l’immeuble (par ex., balcon, portion de couloir, etc.) est attaché au lot.
Dans cette hypothèse, la mise en conformité doit conduire à identifier les parties communes à jouissance privative dans le règlement de copropriété par leur mention expresse, en précisant sous quelle forme ces parties communes à jouissance privative sont identifiées sur le plan. Cette mention peut prendre la forme d’un paragraphe «parties communes à jouissance privative» qui s’ajoute aux paragraphes «parties communes» et «parties privatives».
Remarque : Il est fréquent que le syndic ne détienne pas ces plans annexés au règlement de copropriété ou à l’état descriptif de division. Il doit alors être pris contact avec le notaire dépositaire du règlement de copropriété.
6.- Le droit de jouissance privative sur une partie commune de l’immeuble a été acquis par prescription.
Dès lors qu’il est démontré que le droit de jouissance privative a été préalablement acquis par prescription en application de l’article 2261 du Code civil (et constatée par acte de notoriété, décision d’assemblée générale, décision judiciaire), la mise en conformité doit conduire à identifier les parties communes à jouissance privative dans le règlement de copropriété par leur mention expresse.
Cette mention peut prendre la forme d’un paragraphe «parties communes à jouissance privative» s’ajoutant aux paragraphes «parties communes» et «parties privatives» du règlement de copropriété.
7.- L’état descriptif de division mentionne, comme constituant la partie privative d’un lot, un droit de jouissance privative, sans autre mention dans le règlement de copropriété.
Ces lots sont usuellement décrits comme exclusivement constitués d’un droit de jouissance («privatif», «exclusif», etc.), par exemple, le «droit de jouissance sur un emplacement de stationnement (ou d’un parking)», ou «la jouissance exclusive d’un jardin», etc.
Ainsi décrits, ils ne semblent pas réguliers au regard de l’article 6-3, alinéa 2, qui dispose que «le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot».
Pour autant, littéralement l’article 209 II de la loi ELAN ne prend pas expressément cette situation en considération, en ce qu’il ne vise que la mention expresse dans le règlement de copropriété des parties communes à jouissance privative.
Eu égard aux conséquences possibles qu’une telle situation pourrait engendrer, il convient donc d’envisager sa régularisation au regard de l’article 6-3, alinéa 2.
III.- La méthodologie de la mise en conformité du règlement de copropriété
1.- Le délai de la mise en conformité du règlement de copropriété
En vertu de l’article 209 II de la loi ELAN, le syndicat des copropriétaires dispose d’un délai de trois ans à compter de la promulgation de ladite loi. Les règlements de copropriété doivent donc être mis en conformité avec les dispositions de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965, au plus tard, le 23 novembre 2021.
En conséquence, l’assemblée générale doit avoir approuvé le modificatif du règlement de copropriété avant cette date.
En revanche, le texte de l’article 209 II de la loi ELAN ne semble pas imposer une publication du modificatif avant cette date.
2.- Les modalités de la mise en conformité du règlement de copropriété
2.1. Préconisations au syndic
L’approbation par l’assemblée générale du modificatif du règlement de copropriété suppose, au préalable :
• De procéder à une analyse des documents de la copropriété, afin d’identifier les règlements de copropriété qui doivent être mis en conformité. À cette fin, pour éviter de réunir une assemblée générale préalable, le syndic peut proposer au conseil syndical de solliciter «un professionnel de la spécialité», dans les termes de l’article 27 du décret du 17 mars 1967, couvert par une assurance de responsabilité civile professionnelle.
• D’inscrire à l’ordre du jour de chaque assemblée générale des copropriétaires organisée avant l’expiration du délai, la question de la mise en conformité du règlement de copropriété.
2.2. Préconisations au rédacteur de la mise en conformité du règlement de copropriété
Le rapport réalisé par le «professionnel de la spécialité» devra distinguer clairement les mises en conformité rendues obligatoires par l’article 209 II de la loi ELAN, des adaptations «optionnelles» pouvant être proposées à l’assemblée.
2.3. Préconisations aux copropriétaires
En vertu de l’article 209 II de la loi ELAN, le syndicat des copropriétaires a l’obligation de mettre en conformité le règlement de copropriété. L’assemblée générale ne peut rejeter, sans engager la responsabilité du syndicat des copropriétaires, une mise en conformité, dès lors qu’elle répond aux exigences de l’article 209 II de la loi ELAN.
La décision de mise en conformité du règlement de copropriété est prise à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés. Compte tenu de la modification, postérieure à la loi ELAN, de l’article 24 I de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, il apparaît pouvoir être compris qu’il s’agit de «la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance».
3.- La sanction de l’absence de mise en conformité
Si aucune sanction spécifique n’est prévue par l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965, l’absence de mise en conformité des droits de jouissance privative dans le délai imparti les fragilisera (risque d’inexistence, de réputé non écrit, etc.).
Au surplus, il est établi que des actions en responsabilité peuvent naître de l’inapplication, par le syndic ou par le syndicat des copropriétaires, de l’article 209 II de la loi ELAN, pour autant qu’un préjudice soit caractérisé. D’ores et déjà, ce préjudice peut se matérialiser par la perte de chance de vendre un bien ou de réaliser certaines opérations, ou en raison des coûts exposés en vain par certains copropriétaires en vue d’obtenir une mise en conformité, et ce, indépendamment de ce que les tribunaux pourraient décider sur la portée de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965.