II.- Les limites au droit de vote
Seule la loi peut, le cas échéant, priver le copropriétaire de son droit de vote mais dans une situation définie et sous le contrôle du Conseil constitutionnel lequel vérifiera si l’atteinte portée aux droits du copropriétaire est justifiée ou non.
Dans sa décision n° 2014-691DC du 20 mars 2014, rendue à propos de la loi ALUR du 24 mars 2014, le Conseil constitutionnel est venu préciser « qu’il appartient au législateur compétent, en application de l’article 34 de la Constitution, pour fixer des principes fondamentaux de la propriété et des droits réels, de définir les droits de la copropriété d’un immeuble bâti sans porter d’atteinte injustifiée aux droits des copropriétaires. »
La loi limite ainsi le droit de vote dans certaines circonstances, le plus souvent dans l’intérêt de la collectivité, recherchant l’équilibre entre les droits fondamentaux du copropriétaire et l’intérêt général des copropriétaires.
L’intérêt général peut commander de faciliter la gestion de l’immeuble, de favoriser la démocratie au sein de la collectivité des copropriétaires, ou de donner priorité à l’équilibre financier et économique du syndicat.
• Le droit de vote limité : les assemblées spéciales
L’article 24-III de la loi du 10 juillet 1965 dispose que : « Lorsque le règlement de copropriété met à la charge de certains copropriétaires seulement les dépenses d’entretien d’une partie de l’immeuble ou celles d’entretien et de fonctionnement d’un élément d’équipement, il peut être prévu par ledit règlement que ces copropriétaires seuls prennent part au vote sur les décisions qui concernent ces dépenses. Chacun d’eux vote avec un nombre de voix proportionnel à sa participation auxdites dépenses. »
Seules les décisions relevant de la majorité de l’article 24 de la loi peuvent être prises par cette assemblée spéciale.
Il est fait exception au principe de l’article 22 suivant lequel chaque copropriétaire dispose d’un nombre de voix correspondant à sa quote-part de parties communes, le critère de répartition de charges prédomine sur la quote-part de parties communes.
L’assemblée spéciale peut aussi être composée à raison de l’existence de parties communes spéciales à certains copropriétaires, lesquels seront alors seuls à décider, exception faite de certaines situations.
Par exemple, lorsque la vente d’une partie commune spéciale entraîne la création d’un lot disposant à la fois d’une quote-part de parties communes générales et d’une quote-part de parties communes spéciales14, l’ensemble des copropriétaires vote alors sur la résolution.
Enfin, la loi prévoit des cas spécifiques d’assemblées spéciales :
- une assemblée spéciale composée des copropriétaires des lots d’un ou plusieurs bâtiments se réunissant pour décider de la constitution d’un syndicat secondaire (article 27 de la loi du 10 juillet 1965) ou pour décider du retrait du syndicat initial (article 28b) ;
- l’assemblée spéciale des copropriétaires des lots composant le bâtiment à surélever décide de l’aliénation du droit de surélever (article 35, alinéa 2) ;
- l’assemblée spéciale des copropriétaires dont les lots composent le bâtiment sinistré décide la reconstruction du bâtiment ou la remise en état de la partie endommagée.
• Le syndicat des copropriétaires n’a pas le droit de vote.
L’article 16 de la loi du 10 juillet 1965 dispose en son alinéa 2 que « Le syndicat ne dispose pas de voix, en assemblée générale, au titre des parties privatives par lui. »
Les majorités doivent ainsi être calculées sans prendre en compte les tantièmes de copropriété dont le syndicat des copropriétaires disposent, et ce à peine de nullité des résolutions prises.15
• La réduction des voix pour éviter « la main dominante d’un seul copropriétaire ».
Le législateur a voulu éviter l’abus de position dominante au sein de la copropriété et limiter ainsi l’impact des voix d’un copropriétaire qui aurait plus de la moitié des quotes-parts et s’emparerait de l’ensemble des décisions.
Afin de permettre aux autres copropriétaires d’avoir, dans ce cas, un pouvoir décisionnel, la loi du 23 décembre 1986 est venue ajouter à l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965 que « Toutefois, lorsqu’un copropriétaire possède une quote-part des parties communes supérieure à la moitié, le nombre de voix dont il dispose est réduit à la somme des voix des autres copropriétaires. »
La loi n’a toutefois pas prévu d’analyser si les lots appartiennent indirectement à la même personne pour déterminer si un propriétaire est majoritaire.
Ainsi, seule la situation dans laquelle une personne (physique ou morale) détient à elle seule des quotes-parts supérieures à la moitié, entrainera la réduction de voix de l’article 22, ce qui rend possible toutes formes de fraude en opérant des mutations de lot(s) sur une autre personne, physique ou morale, et dont les liens de parenté ou d’affaires permettent de contrôler les décisions qu’elle prendra.
Dans un tel cas, il appartient au syndicat des copropriétaires de démontrer qu’une éventuelle fraude existe afin de faire obstacle au mécanisme légal de réduction des voix du copropriétaire majoritaire.
La jurisprudence a en effet pu déclarer une vente nulle pour fraude ou inopposable aux autres copropriétaires16.
La réduction des votes se calcule sur la totalité des voix des copropriétaires et s’applique à toutes les majorités.17
Malgré la bonne intention de ce mécanisme, celui-ci peut toutefois présenter des inconvénients.
Dans un immeuble où les copropriétaires ne viennent pas aux assemblées générales ou pratiquent l’abstention de manière très large, le copropriétaire majoritaire peut reprendre avec aisance sa position dominante.
En outre, s’il y a un partage des voix, l’assemblée ne peut prendre des décisions.
La copropriété est alors en situation de blocage et doit avoir recours au juge ou à la procédure de l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 si l’absence de décisions est de nature à porter atteinte à la bonne conservation de l’immeuble.
Enfin, en cas de non-respect de la réduction des voix des copropriétaires majoritaires, la jurisprudence est unanime pour annuler les résolutions prises et, au-delà, l’assemblée elle-même si toutes les décisions ont été prises irrégulièrement.
Il est inutile de faire alors valoir que, nonobstant cette irrégularité sur le décompte des voix, la majorité idoine aurait été acquise18 et point n’est besoin de démontrer l’existence d’un grief19.
L’exception à cette réduction des voix est à la faveur des organismes HLM puisque l’article L. 443-15 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que cette réduction ne s’applique pas à l’organisme HLM copropriétaire, même s’il détient plus de la moitié des voix. Cette exception a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision en date du 11 juillet 2014.
L’article 16 du décret du 17 mars 1967 précise par conséquence que « les majorités de voix exigées par les dispositions de la loi du 10 juillet 1965 pour les voix des décisions de l’assemblée générale et le nombre de voix prévu à l’article 8 alinéa 1er du présent décret sont calculés en tenant compte de la réduction résultant, s’il y a lieu, de l’application du 2ème alinéa de l’article 22, modifié de ladite loi sous réserves des dispositions de l’avant-dernier de l’alinéa de l’article 443-15 du Code de la construction et de l’habitation. »
[N° 612] - Le droit de vote : de l'équilibre entre un droit fondamental et l'intérêt collectif - Le droit de vote : de l'équilibre entre un droit fondamental et l'intérêt collectif : Partie II
- par Colette CHAZELLE
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