[N° 554] - Une fibre nommée désir

par Paul TURENNE
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Nec plus ultra en terme de débit Internet, la fibre optique reste encore un voeu pieu dans de nombreuses copropriétés, y compris dans les plus grandes villes. Etat des lieux et perspective de développement d’une technologie qui n’a pas fini de faire rêver.

Paul TURENNE

Il y a un an, l’affaire était entendue : la fibre optique allait se développer à vitesse grand V sur tout le territoire.

Eric Besson, alors secrétaire d’Etat chargé du développement de l’économie numérique avait annoncé la couleur et déclaré que quatre millions d’abonnés disposeraient d’une connexion en très haut débit, d’ici 2012. À deux ans de cette échéance, et au vu des résultats de l’Observatoire très haut débit de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (Arcep), force est de constater que cet objectif aura bien du mal à être atteint (cf. tableau ci-contre).

La faute vraisemblablement à un ensemble de facteurs, au premier rang duquel figure le flou juridique et législatif qui a entouré, un temps, le déploiement de la fibre optique dans l’hexagone. « Il est clair qu’il y a eu un manque de cohérence au niveau national. L’Arcep, convaincue qu’il fallait laisser une initiative privée se mettre en place dans un premier temps, a encadré les choses trop tard » estime ainsi Edouard Barreiro, chargé de mission nouvelles technologies de l’information et de la communication à l’UFC-Que-Choisir.
« Le problème, c’est que quand l’Autorité s’est enfin décidée à intervenir, des projets avaient déjà été lancés et elle ne pouvait plus intervenir comme elle l’aurait souhaité. » L’enjeu pour les opérateurs concerne notamment les modalités de mise en œuvre de la mutualisation de la partie terminale des réseaux de fibre optique. Désormais, tout opérateur qui installe un réseau en fibre optique dans un immeuble est tenu de l’ouvrir aux autres afin que ces derniers puissent délivrer leurs propres services (Internet, télévision Haute Définition, téléphone, vidéo à la demande). Une obligation définie par la loi de modernisation de l’économie (LME) paru en janvier 2009, mais qui a fait l’objet d’un vif débat entre les défenseurs de la mesure, à commencer par Free, et ses détracteurs, principalement Orange, qui souhaitait conserver son avance historique. Autre problématique : le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire. Selon le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) et l’observatoire Tactis, si l’Île-de-France devrait en 2013 être particulièrement bien pourvue avec 3 millions de logements éligibles à la fibre, les régions PACA et Rhône-Alpes se contenteront de 430 000 et 400 000 foyers éligibles. Quant aux autres régions, outre le Nord-Pas de Calais (220 000), l’Aquitaine (190 000), le Midi-Pyrénées (160 000) et l’Alsace (140 000), elles seront toutes en deçà des 100 000 foyers fibrés.


Grand emprunt

Pour tenter d’inverser la tendance, le gouvernement a donc du mettre la main à la poche. Première mesure : la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) a été chargée de mobiliser 750 millions d’euros de fonds propres, sur trois ans, pour accélérer le déploiement de la fibre optique dans les zones peu peuplées, où les investissements sont difficiles à rentabiliser pour les opérateurs. «L’investissement public ne peut se concevoir que comme complémentaire de l’initiative privée » a toutefois cru bon de préciser le premier ministre. Quant aux zones qui ne pourraient raisonnablement être couvertes, une partie des fréquences qui seront libérées grâce à l’arrêt de la diffusion analogique de la télévision seront réservés pour l’Internet à très haut débit mobile. Autre mesure d’importance : 4 des 35 milliards d’euros du grand emprunt national serviraient de fonds de levier pour déployer la fibre optique en France, selon les propositions de la Commission sur le grand emprunt présidée par Michel Rocard et Alain Juppé. A l’heure où nous écrivions ces lignes, Nicolas Sarkozy n’a pas encore confirmé cette attribution mais tout porte à croire qu’il suivrait cette proposition. Parmi les 4 milliards d’euros, la moitié serait affectée à « accélérer le passage de la France au très haut débit ». Un montant relativement faible en regard des 20 à 40 milliards d’euros estimés pour couvrir l’ensemble du territoire en fibre, mais qui servirait à impulser une dynamique, selon Jérémie Magnine, directeur général de l’innovation et du marketing chez SFR :
«  Rien qu’avec un milliard d’euros de l’Etat, les opérateurs privés pourraient être incités à couvrir plus de quatre millions de foyers en zones moins denses. L’effet de levier est réel. »
Enfin, parmi les mesures issues de la commission sur le grand emprunt, figure la création d’une «Agence publique pour le numérique» qui assurerait la gestion de ce budget en privilégiant les co-investissements avec le secteur privé, les collectivités et l’Union européenne.
Les modalités de déploiement pour ces zones «grises» restent toutefois encore à définir. Pour fibrer les cinq à sept millions de foyers situés dans ces zones, le gouvernement  tablerait sur une structure mutualisée dans laquelle les opérateurs et la CDC seraient actionnaires.
Les opérateurs pourraient ainsi déployer leur réseau jusqu’à un point regroupant environ un millier d’abonnés, à partir duquel il n’y aurait plus qu’un seul réseau, la présence de l’Etat au capital assurant une vision à long terme de l’aménagement du territoire. France Télécom, quant à lui, pencherait plutôt pour un schéma où chaque ville ou département procéderait à un appel d’offres, avec à la clé un opérateur unique qui bénéficierait alors d’un soutien financier public pour chaque zone.


Vers le « multi-fibres » ?

Tout n’est pas encore joué en matière de régulation. Certes, le 22 septembre dernier, l’Autorité de la Concurrence, saisie par l’Arcep a rendu un avis similaire à cette dernière, en se déclarant favorable à la mise en place d’une architecture multi-fibres. En clair : dès lors qu’une fibre supplémentaire serait demandée par un opérateur extérieur, l’opérateur d’immeuble installerait systématiquement quatre fibres par logement. Un avis confirmé, quelques semaines plus tard par la Commission européenne. Ne reste donc plus à l’Arcep qu’à soumettre à la commission consultative des communications électroniques ses projets de décision et de recommandation amendés pour avis, puis une fois la décision adoptée, à la transmettre pour homologation au ministre chargé des communications électroniques. Au vu des trois avis déjà positifs, le choix définitif de l’architecture multi-fibres devrait donc logiquement être publié puis entrer en vigueur d’ici à la fin de l’année.

Quoique... Car du côté d’Orange, on ne l’entend pas de cette oreille. Le groupe cherche à tout prix à favoriser l’architecture monofibre. Principal argument avancé : le surcoût qu’engendrerait l’obligation de transporter les fibres de ses concurrents dans les étages. Si l’Arcep, l’évalue à 5 % du coût initial, de son côté, France Télécom estime que ce taux s’éleverait à 40 %. Et afin de bien faire passer le message, le groupe a gelé tous ses investissements en fibre optique, depuis le premier avis de l’Arcep en ce sens. « Le régulateur n’a pas carte blanche pour décider à lui tout seul de la réglementation qu’il souhaite », a ainsi récemment déclaré Gervais Pellissier, directeur financier de France Télécom-Orange. « Tout n’est pas réglementaire, il y a un certain nombre de décisions à prendre du domaine législatif, par le Parlement, ou éventuellement du domaine du pouvoir exécutif. » Tout est dit. Faut-il pour autant craindre une intervention du Président de la République à ce sujet ? Si une telle décision irait à contre-sens de la volonté gouvernementale d’accélérer le mouvement, elle ne peut être totalement écartée. L’actuel numéro deux et futur dirigeant de France Télécom, Stéphane Richard,  a occupé le poste de directeur de cabinet de Christine Lagarde à l’été 2007. Il pourrait donc bien, en dépit de son devoir de réserve, faire pencher la balance en faveur d’Orange, dont l’Etat est encore actionnaire à hauteur de 26,7 %. Réponse dans les tous prochains jours.


Questions à Edouard Barreiro, chargé des nouvelles technologies à l’UFC-Que-Choisir

4 milliards d’euros dédiés au développement d’un réseau très haut débit en France, la création d’une agence pour le numérique... Les signaux sont plutôt positifs pour l’avenir de la fibre optique.

Il s’agit maintenant de voir comment ces 4 milliards d’euros vont être utilisés. Même si l’enveloppe entière était destinée au développement du numérique en terme d’infrastructures dans les zones blanches ou grises, ce qui n’est pas le cas, cela reste insuffisant. Mais le message est plutôt positif ! Quant à la création de l’agence, reste à voir quelle sera sa mission exacte. Ira t-elle de paire avec l’appel à projet consacré à la couverture du haut débit dans les zones rurale et doté de 30 millions d’euros issus de fonds européens agricole pour le développement rural ?
Le risque est qu’une multitude de structures entraîne une dispersion des investissements. Car rien que le fait de mettre en place une institution ou un organisme destiné à organiser les investissements dans les régions les moins favorisées représente déjà un travail énorme. Il faut s’assurer que cela soit bien organisé, équitable, paritaire, que les solutions mises en place soient les plus pertinentes et que ce ne soit pas les enjeux politiques qui passent en premier.

 

Le risque d’accroissement de la fracture numérique est-il réel ?

Nous sommes dans une période où c’est quitte ou double. On en parle beaucoup, on nous dit que l’on va mettre des moyens. Très bien. Mais à défaut d’agir fortement et rapidement, l’écart va continuer de s’accroître, car la fibre est déjà partie dans les grandes villes et même dans certaines petites villes de
province. Il faut bien voir que, pour les élus, avoir une ville bien équipée numériquement est un critère fondamental de réélection. Celles qui ont les moyens de le faire, partiront toutes seules, à l’image de la petite ville de Gonfreville-l’Orcher, située en Haute-Normandie, et équipée à 100 % en fibre optique depuis 2007.

C’est pourquoi, il est indispensable que la puissance publique cadre ce développement, afin d’éviter que chacun ne parte dans son coin et que l’on se retrouve avec des projets incohérents et des inégalités entre territoires.

Comment organiser le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire ?

Les zones les plus denses ne posent pas de problème. Les fournisseurs n’auront aucun mal à y investir car ils savent bien que c’est ici qu’ils ont le plus de chance de tirer des revenus importants. Sur les zones peu denses, jouer la concurrence entre les infrastructures est ridicule. L’idée est donc de mettre en place des infrastructures communes, afin de ne pas multiplier les investissements et de dilapider l’argent du contribuable. Ensuite, quel que soit le montage économique (délégations de service public, co-investissement ou appel d’offre), il faut garantir sans faute que cette infrastructure reste toujours ouverte afin que n’importe quel opérateur puisse venir s’y raccorder dans 5, 10 ou 20 ans et dans des conditions transparentes et équitables. Enfin, si la montée en débit doit passer par des investissements ADSL, il convient de privilégier des connexions fibre qui pourront être réutilisées, si un jour on déploie intégralement de la fibre optique jusqu’au consommateur.

Aujourd’hui, peut-on dire qu’il n’y a plus aucun risque pour les copropriétaires à faire fibrer leur immeuble ?

Oui, si toutefois la copropriété utilise bien la convention-type proposée par l’Arcep. Elle est généralement utilisée par les opérateurs, mais n’étant pas imposée par la loi, il faut toujours rester prudent. Le plus simple est d’aller sur le site de l’Arcep, d’imprimer la convention-type et de la faire signer à l’opérateur pour être couvert. Elle sécurise tout ce qui concerne l’installation, la qualité du réseau, les délais et même le fibrage ultérieur car quand un opérateur veut fibrer un immeuble, il doit obligatoirement le déclarer afin que des concurrents puissent éventuellement co-investir. Il faut savoir que les opérateurs n’ont pas l’obligation de raccorder tous les logements, sauf si le consommateur le demande en vue d’un abonnement. En revanche, ils doivent obligatoirement fibrer la colonne montante.

La fibre est-elle vraiment un plus indéniable pour les copropriétaires en terme de service ?

On ne peut pas parler de révolution pour le moment par rapport à une offre classique ADSL. En revanche, nous avons clairement le sentiment que la fibre met les consommateurs sur un pied d’égalité. Aujourd’hui, avec l’ADSL, selon la zone où vous résidez, vous n’aurez pas la même qualité de service. La distance par rapport au répartiteur joue beaucoup, ainsi que l’âge de l’immeuble. Dans un immeuble de 1930, les infrastructures cuivre ont davantage de chance d’être vétustes, donc même en étant situé à côté du répartiteur, le débit sera faible.
Avec la fibre optique, comme toutes les installations sont neuves et que la perte est extrêmement faible, le débit et la qualité de service reste toujours élevé. Si la fibre est proposé au même prix que l’ADSL cela vaut donc vraiment le coup de franchir le pas.


En savoir plus

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Relire le dossier « Fibre optique : où en est-on ? » IRC n°543, novembre 2008

Télécharger la convention-type de l’Arcep : www.arcep.fr

Offre fibre optique des opérateurs :
SFR : http://fibre-optique.sfr.fr
Free : www.free.fr/fibre-optique
Orange : http://abonnez-vous.orange.fr/Fibre/Avoirlafibre
Numéricable : http://fibreoptique.numericable.fr


Tableau récapitulatif des principales évolutions