Alors que les prix flambent sur le marché, il est de plus en plus difficile de renouveler les contrats de fourniture d’énergie ou de trouver de nouveaux fournisseurs.
De 50 € le mégawatt heure (MWh) début 2021, à quelques 700 € atteints pendant l’été 2022 et des prévisions à plus de 1 000 € en 2023. Les prix de l’électricité sur les marchés de gros atteignent des niveaux phénoménaux.
Le prix moyen du gaz fluctue depuis dix-huit mois : 20 € / MWh en janvier 2021, 170 € en août 2022, et 112 € en octobre… Sur son site, le ministère de l’économie prévoit pour 2023 des «prix […] près de dix fois supérieur à ceux de 2020». Les raisons évoquées ? La guerre en Ukraine, la baisse des livraisons du gaz russe, l’indexation du prix de l’électricité sur celui du gaz, la fermeture de la moitié des réacteurs nucléaires français...
©Prostock-studio_AdobeStock_549469900
Ca sent le gaz
Pour baisser la consommation d’énergie dans les copropriétés et encaisser au mieux l’envolée des prix, la consigne de chauffer au maximum à 19°C a, partout, été donnée. Mais la fourniture même d’énergie pose question. Le fournisseur alternatif Gaz européen (groupe Butagaz) a ainsi prévenu par courrier les syndics de copropriété : si l’hiver est glacé et que le niveau de consommation usuelle est dépassé, il ne pourra pas maintenir les prix fixes négociés avant l’augmentation des prix. C’est le prix du marché qui sera appliqué à ce surplus de consommation. A défaut d’accepter ce nouveau deal, «il incite les syndicats de copropriétaires à résilier les contrats», décrypte David Rodriguez, responsable juridique à la CLCV [rédacteur de la revue]. L’association a réagi en lui «enjoignant de ne pas remettre en cause le caractère fixe du contrat de gaz». Elle se dit prête à «saisir le juge si cette pratique persiste». En effet, un contrat à prix fixe garantit le niveau de facturation sur une période donnée (jusqu’à trois ans pour les contrats en cours). «Le fournisseur ne peut pas faire peser sur la copropriété l’aléa intégré au moment de la fixation du prix fixe», conteste David Rodriguez. «Nous nous battrons si cela arrive», prévient Renaud Franchet, associé du syndic lyonnais, Franchet et Cie. En attendant qu’un juge se prononce, les surcoûts pourraient atteindre, voire dépasser, la centaine d’euros, pour chaque ménage de la copropriété.
À court de trésorerie
L’histoire illustre bien ce que risquent de vivre les copropriétés dépendant du mode de chauffage collectif, mais ne représente qu’un volet de ce qui se dessine. Pas de souci pour les copropriétés consommant moins de 150 MWh/an de gaz : le tarif réglementé de vente (TRV) s’applique jusqu’au 30 juin 2023 avec une hausse limitée à 15 % au 1er janvier 2023. Pour les autres, «le bouclier tarifaire est en route», rassure Olivier Safar, président de l’UNIS Île-de-France et Grand-Paris. Dans sa version d’avril 2022, il a toutefois fallu attendre près de quatre mois pour recevoir l’argent et l’Etat a déjà annoncé qu’il ne verserait pas la deuxième tranche avant le 31 décembre.
«La copropriété fait l’avance, ce qui pose la question de la suffisance de la trésorerie», renchérit Bertrand Esposito, président du syndic Loiselet & Daigremont, gestionnaire de 1 500 résidences. Dans les copropriétés concernées, des fonds supplémentaires sont appelés, «jusqu’à 500 € pour six mois de chauffe», mais encore faut-il que les copropriétaires puissent payer… «La situation va créer des impayés», estime Olivier Safar.
D’autant que le bouclier tarifaire est une aide forfaitaire, plafonnée chaque mois par la différence entre le TRV non gelé et le TRV gelé d’octobre 2021, appliquée à la consommation correspondante de gaz. En octobre 2022, le montant maximal de la compensation est ainsi de 162,40 €/MWh. De plus, «le bouclier tarifaire s’est traduit par des avoirs chez Dalkia», dénonce Renaud Franchet. Pas d’espèces sonnantes et trébuchantes, donc, dans les caisses de la copropriété.
Energéticiens aux abonnés absents
Dans ce contexte, comment renouveler les contrats de fourniture de gaz à échéance ? La situation se tend. Un des fournisseurs (Antargaz) des copropriétés gérées par Franchet et Cie «ne prend plus de nouveaux clients». Chez Loiselet & Daigremont, des contrats courts (un an) sont signés avec des prix évoluant de 45 € à 240 €/KWh.
La situation se complique encore dans les immeubles chauffés à l’électricité. La mise en place du bouclier tarifaire a reçu «une fin de non-recevoir par le gouvernement», raconte Olivier Safar. Dans ces immeubles, le chauffage collectif fournit une température de 14 °C par le sol et est complété par des convecteurs individuels. «Le budget a été multiplié par 4», constate Bertrand Esposito. Parmi les solutions immédiates, il évoque «la baisse de la température de base», espérant que les copropriétaires ou les locataires auront «droit au bouclier tarifaire à titre personnel» pour le complément de chauffage.
Renouveler ou changer son contrat «électricité» à l’échéance, notamment avec un retour chez EDF pour les petites copropriétés éligibles au tarif bleu (puissance du compteur inférieure à 36 kVA) dans lequel l’augmentation sera plafonnée à 15 % au 1er février 2023. Reste une question plus que sensible. «EDF est submergée par les demandes», remarque Olivier Safar. Des contrats dénoncés au 31 octobre, 30 novembre ou 31 décembre par les syndics ne sont pas remplacés. «Ce sont alors les tarifs variables qui s’appliquent», précise-t-il. De son côté, Renaud Franchet explique que les appels d’offre pour des contrats arrivant bientôt à échéance restent «sans réponse de la part des énergéticiens faute, pour eux, de savoir se positionner». Et quand un fournisseur a maintenu sa présence dans les copropriétés qu’il gère, le budget a explosé «de 80 000 à 240 000 € par an». Olivier Safar évoque «des tarifs à 65 € en heure creuse et 88 € en heure pleine, renégociées à 500 et 650 €/MWh».
Drames ou rénovation ?
Bertrand Esposito note un «affolement» chez les copropriétaires alors même que l’explosion des prix est «encore invisible pour les locataires», selon Renaud Franchet qui parle d’un «impact total» au premier semestre 2024, après une saison complète de chauffe et la régularisation des charges de l’exercice 2023. Pour illustrer les «drames» à venir, il parle du budget «chauffage» de cette copropriété passé de 250 000 à 980 000 € ou du pompage par l’énergéticien de la trésorerie «sans surplus pour payer le salaire du gardien». Alors que le bouclier tarifaire prendra fin au 30 juin 2023, ce cap à passer soulève d’autres questions. «Par quel mode de chauffage, remplacer le gaz et les chaudières à condensation qui ont remplacé le fioul ?», interroge Bertrand Esposito. Reste le levier majeur, mais qui nécessite du temps, de la rénovation énergétique. «Ce moment doit servir de tremplin pour programmer des travaux d’isolation». Le travail pédagogique pour convaincre est important.