[N° 567] - Copropriété : maîtriser et répartir les charges d’eau

par Paul TURENNE
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Bon moyen de concilier écologie et économies en matière de    consommation d’eau, le comptage individuel doit cependant faire l’objet d’une mise en œuvre rigoureuse, sous peine de voir s’allonger dangereusement le retour sur investissement. Focus sur les points à ne pas négliger.

Paul TURENNE

Quoi de plus logique que de payer ce que l’on consomme ? Pourtant, si tous les immeubles français disposent de compteurs d’eau chaude, sous peine de ne pas être en conformité avec la loi (cf. encadré «Les textes de référence»), quelques 40 % des copropriétés n’ont toujours pas mis en œuvre de comptage individualisé pour les consommations d’eau froide. Le plus souvent pour des raisons budgétaires du fait de la présence de plusieurs colonnes montantes d’eau qui rendent plus onéreuse l’installation de compteurs. Or, selon plusieurs enquêtes réalisées par des associations de copropriétaires et de consommateurs, cette démarche permet de réaliser de réelles économies, de l’ordre de 20 à 30 % dès la première année d’installation ; la diminution continuant dans une moindre mesure les années suivantes.
«Autrefois l’essentiel du service rendu par les sociétés spécialisées en comptage se limitait aux relevés des index en vue de les répartir sur la facture globale. Il s’agissait alors d’une simple comptabilité de charges», rappelle Gilles Gaillot, directeur stratégie marketing et développement d’ista-CIS. «Aujourd’hui, les services ont considérablement évolué et intègrent une aide à la maîtrise à la consommation, à la fois sous l’effet des préoccupations environnementales croissantes, mais aussi de l’évolution de la technologie avec l’apparition des télé et radio-relevés.» Ces progrès techniques majeurs permettent ainsi une augmentation de la fréquence des relèves avec un nombre de mesures dans l’année bien plus importants, au lieu d’un ou deux relevés par an jusqu’alors. De quoi détecter beaucoup plus rapidement des anomalies de consommation ou des fuites. Ainsi, Océa, filiale du groupe Lyonnaise-des-Eaux / Suez Environnement, propose-t-elle notamment une cartographie permettant la surveillance d’un périmètre à partir d’une carte. Les gestionnaires de biens peuvent ainsi visualiser les bilans d’eau de différents immeubles et savoir lesquels présentent des alertes fuites ou sont les plus consommateurs...
Reste que cette source d’économies peut vite se transformer en source de complications si l’installation n’a pas fait l’objet d’une mise en oeuvre rigoureuse, avec un suivi régulier du prestataire. Mais surtout, la copropriété ne doit pas se lancer dans de «grands travaux», sans avoir analysé les consommations d’eau et pris en compte le délai d’amortissement des installations, le coût de leur entretien et d’éventuels problèmes liés à la qualité des relevés.


Régler le problème des distorsions entre compteurs

Avant toute chose, il convient ainsi de comparer l’écart entre la consommation d’eau indiquée par le compteur général et la somme de tous les compteurs divisionnaires. Car entre les espaces verts, les robinets dans les caves, les points de puisage non comptabilisés, les fuites non détectées sur des réseaux corrodés ou les vannes défectueuses, les écarts peuvent s’envoler avec des pourcentages pouvant aller jusqu’à 30 %. Dans tous les cas, au delà de 5 à 7 %, il y a lieu d’agir et de mettre en évidence les sources de ces distorsions.
En ce qui concerne l’eau chaude, les consommations peuvent également diminuer de façon significative année après année, les compteurs  divisionnaires ayant tendance à sous-compter, voire à se bloquer au fil des ans, notamment pour les compteurs dotés de plastique, avec un fort coefficient de dilatation. Une dérive qui modifie, par ailleurs, les consommations observées de chauffage car elles sont alors soustraites aux consommations générales.
Dès lors que la consommation individuelle dans les logements est connue, il convient ensuite de sensibiliser les occupants à ce que doit être leur consommation normale. «Il existe des niveaux moyens de consommation journalière en France de 80 à 130 m3 en moyenne sur une année, qui sont fonction de la superficie de chaque logement,» rappelle Gilles Gaillot. «Le nombre d’occupants étant assez stables en copropriété, cela permet de détecter des anomalies dues, soit à des fuites, soit à un mode de consommation anormale.» D’où l’avantage pour la copropriété de bénéficier de compteurs «communiquants» qui permettent de dresser un observatoire des consommations de l’immeuble avec les logements les plus consommateurs et les plus économes. De quoi se situer par rapport aux extrêmes et donc, in fine, inciter à moins ouvrir le robinet. Dans la même optique, Veolia Habitat Services propose en option l’édition de quittances individuelles d’eau, afin que le montant de la consommation de chaque occupant soit valorisé et présenté en euro.
«L’objectif premier du comptage est de répartir équitablement les charges, pas de faire baisser la consommation, même si cela est possible», estime pour sa part Philippe Loiselet, directeur général de la société d’administration de biens Loiselet et Daigremont. De fait, l’incidence n’est pas toujours évidente : «Nous avions demandé au professeur Michel Mouillart [professeur d’économie à l’université Paris-X-Nanterre ndlr], de se pencher sur une étude statistique mentionnant les consommations d’eau et le nombre de logements sur 1 000 immeubles, afin de déterminer lesquels avaient mis en place un comptage individuel. Or celui-ci n’a pu mettre en évidence un «effet compteur».» Preuve que, faute de sensibilisation efficace, une installation de comptage individuel, aussi performante soit elle, n’aura qu’un effet limité.


Radio ou télérelevé ?

«Avec la radio-relève, un technicien est obligé de passer dans la cage d’escalier de l’immeuble d’où il relève la consommation de chaque appartement, sans pour autant déranger les occupants», précise Laurence Pellerin, responsable marketing et qualité chez Compteurs Farnier, filiale française du groupe Techem. «Avec la télérelève, ce déplacement n’est plus nécessaire, puisqu’un boitier envoie par GSM toutes les données de consommation à un serveur qui les centralise et les stocke en vue d’une restitution ultérieure.» Outre un suivi des consommations beaucoup plus fin, cette solution permet une détection très rapide des fuites, même minimes, à partir de 2 à 3 jours de consommation anormale d’affilés.


Différents types de compteurs…

Au delà de la présence éventuelle d’un module radio, tous les compteurs ne sont pas identiques. En matière de comptage d’eau pour les particuliers, trois technologies coexistent  :

• compteur de vitesse à jet unique : le flot frappe directement la turbine de manière tangentielle. Le mouvement des pales de la turbine provoqué par la poussée de l’eau est alors transmis au totalisateur par un jeu d’engrenages.

• compteur de vitesse à jets multiples  : le flot frappe par injection en plusieurs points la turbine. Les compteurs vitesse sont peu sensibles à la présence d’éventuelles impuretés dans l’eau et s’avèrent économiques à l’achat comme à la location. Problème : ils ne détectent pas toujours les fuites légères et doivent obligatoirement être posé horizontalement. Par ailleurs, dans le cas de retours d’eau, le totalisateur tourne à l’envers, ce qui fausse les relevés.

• compteur volumétrique : la boîte de mesure dans laquelle se trouve un piston rotatif permet de mesurer le volume d’eau consommé. Un débit même faible peut dans ce cas être enregistré et le compteur peut, au choix, être installé horizontalement ou verticalement. Il est toutefois plus cher, le frottement du piston peut entraîner une légère nuisance sonore et il est plus sensible aux éventuelles impuretés contenues dans l’eau qui peuvent entraîner des problèmes de fonctionnement.

... et classes de mesure ...

Il existe trois classes de mesure pour les compteurs d’eau froide : A (la moins bonne), B, C (la meilleure), et quatre classes pour les compteurs d’eau chaude : A (la moins bonne), B, C, D (la meilleure). Ces classes métrologiques caractérisent la précision du volume mesuré et leur robustesse. Ainsi, les compteurs de classe C (eau froide) et D (eau chaude), plus fiables, possèdent une grande précision de comptage à faible débit leur permettant de mieux mesurer les fuites sur un réseau.


Attention à l’arrosage des parties communes  !

Cette copropriété de 55 logements, composée de trois bâtiments, présentait des consommations d’eau particulièrement importantes pour les parties communes, en dépit de sa réalisation très récente (livraison en janvier 2008). En cause : la superficie d’espaces verts importante, à savoir, 1 800 m², dont 1 300 m² de gazon et 500 m² de plantations. Par ailleurs, les plantes choisies par le promoteur, notamment le gazon, n’étaient pas adaptées au climat méditerranéen.
A l’initiative de Hubert Muzet, président du conseil syndical, une campagne de maîtrise de ces consommations a donc été menée, avec mise en oeuvre des actions suivantes :
- Relevé régulier des 56 compteurs d’eau.
- Entretien avec le paysagiste afin d’obtenir la consommation théorique des équipements d’arrosage (goutteurs et asperseurs).
- Identification de la vanne d’arrêt des arrosages, sachant qu’en plein été, un arrosage de 20 minutes par jour correspond à une consommation de 3,5 m3.
- Apprentissage du fonctionnement des circuits automatiques d’arrosage.
- Suivi des plantations ne nécessitant plus d’arrosage après 2 ans, puis fermeture de leur circuit d’arrosage.
- Suivi régulier des arrosages : fuites des tuyaux de goutteurs et arrêt pendant quelques jours après des pluies.
- Mise en hivernage des circuits.

Autant d’actions ont permis de réaliser 78 % d’économies d’eau. La consommation annuelle est ainsi passée de 2 767 m3 à 600 m3. Soit l’équivalent en eau de 45 piscines privées en moins et une économie de charges de 6 436 € sur un an !






«Cette baisse s’est d’ailleurs confirmée depuis, assure Hubert Muzet. En 2010, nous avons consommé 420 m3 pour l’arrosage des parties communes, soit une baisse de 30 % par rapport à l’année précédente.» Une performance d’autant plus importante que sur la commune de Montpellier, les arrosages s’effectue encore avec de l’eau potable, non sens, tant écologique qu’économique…
Pour contacter Hubert Muzet et échanger avec lui sur son expérience : http://jardins.harmony.free.fr

 


Chères fuites d’eau

132 €/an : robinet qui goutte, soit 5 litres/h.
394 €/an : mince filet d’eau, soit 15 litres/h.
657 €/an : fuite dans des WC, soit 25 litres/h.

(Source Veolia Habitat Service)

Combien ça coûte ?

Pour un comptage standard, avec location, entretien, garantie de renouvellement, lecture et envoi des index, il faut compter une douzaine d’euros par an par compteur.
Pour un comptage avec une technologie radio sans service supplémentaire, de 18 à 20 € TTC.
Avec un service de détections des anomalies, de 22 à 27 € TTC.
Compter environ 30 €  pour un contrat robinetterie avec interventions.


Les textes de référence

En matière de comptage individuel, il convient de différencier eau chaude sanitaire et eau froide.
Ainsi, dans le premier cas, la loi 74-908 du 29/10/1974 (Art. 4) impose l’obligation pour les immeubles «d’installer des dispositifs pour la détermination des quantités de chaleur fournies».
Par ailleurs, depuis le décret n°2007-363 du 19 mars 2007,  le Code de la construction et de l’habitation (Art. R131-10) précise : «Les frais de combustible et d’énergie afférents à la fourniture d’eau chaude sont répartis proportionnellement […] à la mesure directe […] de la quantité d’eau chaude fournie à chacun des locaux».

En ce qui concerne l’eau froide, aucun texte n’impose un comptage individuel, à l’exception des immeubles neufs, ainsi que le prévoit la loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006. Depuis lors, le Code de la construction et de l’habitation dispose à l’art. L135-1 :
«Toute nouvelle construction d’immeuble à usage principal d’habitation comporte une installation permettant de déterminer la quantité d’eau froide fournie à chaque local occupé à titre privatif ou à chaque partie privative d’un lot de copropriété ainsi qu’aux parties communes, le cas échéant» .

Enfin, de manière générale, les conditions d’adoption d’un projet de comptage individuel sont précisées dans la loi n°65-557 du 18 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis - Art. 25 m) - modifié par la loi du 12 juillet 2010.
«Ne sont adoptées qu’à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant l’installation de compteurs d’eau divisionnaires». Si cette majorité n’est pas atteinte mais que le projet a recueilli au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, l’article 25-1 prévoit que la même assemblée peut décider à la majorité prévue à l’article 24, c’est-à-dire à la majorité des voix exprimées des seuls copropriétaires présents ou représentés, en procédant immédiatement à un second vote. Si le projet n’a pas recueilli au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, une nouvelle assemblée générale convoquée dans un délai maximal de trois mois peut statuer à la majorité de l’article 24.


Cas pratique
Mario Tamburrini, gestionnaire de travaux pour le cabinet Loiselet et Daigremont sur la Résidence Aquitaine basée à Boulogne-Billancourt

Les IRC : Pouvez-vous nous présenter l’installation réalisée dans la résidence Aquitaine ?
Sur cette copropriété de 378 lots, 465 compteurs d’eau froide et 464 compteurs d’eau chaude télérelevés ont été installés. A chaque étage, des relais interrogent les compteurs et enregistrent les index. Tous ces relais sont reliés entre eux par une ligne téléphonique qui permet le transfert des résultats directement au syndic, tous les mois.
Tous les deux mois, nous éditons des listings indiquant les consommations les plus importantes et celles très basses (qui peuvent signifier une anomalie sur le compteur ou des copropriétaires absents). Ces listings sont ensuite transmis à la gardienne qui se charge de rencontrer les personnes concernées ou envoie leurs coordonnées à la société chargée de gérer l’entretien.

Comment cette décision a t-elle été prise ?
La décision a été votée en assemblée générale en mai 2003, suite aux difficultés rencontrées par la copropriété pour les relevés manuels des compteurs. Le nombre d’appartements inaccessibles était en effet devenu trop important pour garantir la fiabilité du comptage. Ce phénomène était également accentué par le fait que de nombreux copropriétaires disposant d’une résidence secondaire, étaient absents plusieurs mois d’affilée par an. Par ailleurs, nous devions faire face à des contestations de résidents se plaignant, par exemple, que deux chiffres avaient été inversés lors du relevé de leur index.
Le remplacement des anciens compteurs d’eau chaude et d’eau froide par des nouveaux avec une bague anti-fraude a donc été réalisé dans la foulée. A noter, que l’installation des compteurs d’eau froide a nécessité le sectionnement de chaque canalisation privative.

Quel coût cela représente-t-il pour les copropriétaires ?
En ce qui concerne les compteurs d’eau froide, l’installation a coûté fin 2003, 50,21 € TTC par compteur. Les coûts pour la location, l’entretien et le relevé s’élèvent à 19,64 € TTC par an.
Pour l’eau chaude, l’installation, plus simple, a coûté 13,05 € TTC par compteur. La location, l’entretien et le relevé reviennent, comme pour l’eau froide, à 19,64 € TTC par an.

Avez-vous rencontré des problèmes lors de l’installation ?
Nous aurions pu avoir des soucis avec les robinets d’arrêt d’eau privatifs, si certains s’étaient avérés défectueux. Voilà pourquoi, nous avons procédé à une campagne de sensibilisation avant le remplacement des compteurs, en demandant aux copropriétaires de vérifier que leurs robinets fonctionnaient bien. En cas de problème, ces derniers ont ensuite été remplacés gratuitement avant le début des travaux, ce qui a permis d’éviter un étalement trop important dans le temps.
Au moment de l’intervention en tant que telle, les techniciens ont pu faire quelques découvertes surprenantes, comme chez ce copropriétaire qui avait scellé la trappe d’accès aux canalisations pour des raisons esthétiques, ou chez cet autre qui avait ouvert la gaîne sur toute la longueur pour en faire une étagère !
De manière générale, le taux de pénétration a été particulièrement bon. Au final, seul un appartement est passé à travers les mailles, le propriétaire ne s’étant pas préoccupé du fait que son locataire ne s’était jamais rendu disponible pour les techniciens. Nous nous en sommes rendus compte lorsque le locataire suivant s’est interrogé sur la facturation de compteurs radio-relevé inexistants chez lui.

La copropriété a t-elle pu en retirer des bénéfices ?
La première année, les bénéfices ont été nuls. Les copropriétaires étaient en effet habitués à une répartition aux tantièmes et n’ont donc pas fondamentalement changé leurs habitudes de consommation. Puis, quand ils ont vu arriver leurs charges, les plus consommateurs, comme les familles nombreuses ou ceux dotés d’une robinetterie mal entretenue se sont aperçus que la note avait fortement gonflé. A l’inverse, les plus économes ont réalisé d’importantes économies. Il y a donc eu une saine émulation qui a permis de diminuer la consommation globale. En six ans, nous avons ainsi pu baisser le forfait eau potable entre 5 et 10 %. Et nous ne désespérons pas de le baisser encore, car les gens font davantage attention à leur consommation.

Et le syndic ?
La gestion s’en trouve clairement facilitée. Les données sont lues directement par notre système informatique et transmis dans la foulée à la comptabilité. Si les comptes s’arrêtent au 30 septembre, je peux ainsi disposer des relevés au 1er octobre. Cela nécessite tout de même de bien réfléchir dès le départ avec l’exploitant sur la procédure à suivre, en fonction des logiciels utilisés par le syndic et de sa configuration informatique. Il s’agit donc d’un système doublement avantageux, si toutefois le syndic dispose du matériel adéquat pour favoriser le travail des comptables.

Avez-vous dû faire face à des craintes ou à des réclamations au cours de l’installation ou peu après ?
Les réclamations quant au fonctionnement ont été quasi-nulles une fois les travaux achevés. Sur les 931 compteurs installés, un ou deux ont pu se révéler défectueux, mais ils ont été immédiatement remplacés. En revanche, nous avons dû rassurer certains copropriétaires «victimes du syndrome Big Brother» qui avaient l’impression que l’on allait ainsi les surveiller. Il faut dire que la télé-réalité démarrait à l’époque et nous avons dû leur expliquer qu’il n’y avait pas de caméra sur les compteurs, mais un simple module radio !

En savoir plus :

Compteurs Farnier : www.techem.fr
Océa : www.ocea-france.com
ista-CIS : www.ista.fr
Veolia Habitat Services : www.veoliahabitatservices.fr
Ecometering : www.ecometering-gdfsuez.com