Un monde sans syndic…
Voilà de quoi en faire rêver ou frémir plus d’un. Mais que l’on se rassure, cette situation ne devrait pas arriver, sauf peut-être dans une uchronie ou toute autre réalité dystopique. Si l’on devait être terre à terre, un monde sans syndic relèverait de l’impossibilité juridique puisque cet organe est obligatoire et imposé par les textes. Une copropriété ne peut donc être dépourvue de syndic et si tel devait être le cas, des procédures existent afin qu’il en soit procédé à la désignation. Mais que l’idée d’un monde sans syndic puisse germer est intéressant car, au-delà de la défiance que certains portent à l’égard de cette profession, elle induit que différents évènements ou facteurs aient poussé à s’interroger sur cette éventualité.
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 661 de septembre 2020
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Une responsabilité partagée entre les syndics…
27 septembre 2007 et 23 décembre 2009. Deux dates, deux évènements totalement différents mais dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui et qui peuvent en partie expliquer le sentiment de défiance ressenti à l’encontre des syndics.
Le 27 septembre 2007 est la date du rapport du Conseil national de la consommation portant sur l’amélioration de la transparence tarifaire des syndics. Après les plaintes reçues par la DGCCRF sur les problèmes de distinction par les copropriétaires entre les honoraires de gestion courante et les prestations exceptionnelles, il est mis en place en groupe de travail ayant notamment pour objectif de fixer une liste invariable des prestations devant être comprises dans les honoraires de base. Les discussions aboutiront à un avis, publié également le 27 septembre 2007, négocié en concertation avec les représentants des professionnels et les associations de consommateurs. Le problème n’est pas l’avis en lui-même mais son contexte. Douze ans plus tôt, en novembre 1995, la Commission des clauses abusives rendait une recommandation portant sur les contrats de syndic. À peine deux ans plus tard, en février 1997, le Conseil national de la consommation (déjà lui), rendait également un avis sur précisément, la notion de gestion courante. Le rapport de septembre 2007 est donc le troisième texte portant sur la question des honoraires de syndic en à peine plus d’une décennie…
Il y avait donc très clairement un malaise sur cette question entre professionnels et consommateurs et l’efficacité d’une liste de prestations pourtant déterminées d’un commun accord montrait ses limites. Et là était tout le problème : alors que d’aucuns demandaient à ce qu’un arrêté reprenne le contenu de l’avis, lui conférant ainsi une valeur normative, les syndics s’y sont opposés. Le raisonnement devient alors tortueux : s’il est possible d’appliquer un texte facultatif, pourquoi ne pourrait-on pas appliquer le même texte au prétexte qu’il serait obligatoire ? Le dogmatisme a cédé face au pragmatisme. La suite est connue : un arrêté du 19 mars 2010, dit “arrêté Novelli”, fixe une liste minimale des prestations de gestion courante en reprenant l’avis du Conseil national de la consommation ; texte en vigueur jusqu’à ce que la loi ALUR institue un contrat type avec une rémunération forfaitaire, les prestations exceptionnelles étant alors limitativement énumérées par le décret du 26 mars 2015. Le problème est donc réglé mais on ne peut que regretter ce temps perdu.
La date du 23 décembre 2009 porte sur un tout autre registre. Il s’agit du jour où la Société Générale a porté plainte contre l’administrateur de biens Urbania, révélant ainsi au grand public la pratique des comptes reflets. Concrètement, ce mécanisme permet à un établissement bancaire de verser sur un compte ouvert au nom du syndic une somme d’argent dont le montant correspond à celui qu’il détient sur son compte mandant, c’est-à-dire sur celui où sont versés les fonds des copropriétaires. Une façon donc d’obtenir une avance à court terme. À ceci près que la crise immobilière va passer par là et que le compte mandant va accuser une diminution de 40 millions d’euros. Et la Société Générale d’exiger alors la remise à niveau du compte reflet et donc le remboursement des 40 millions en question, somme qu’Urbania est dans l’incapacité de verser… On découvrira par la suite que cette pratique existait depuis plus d’une dizaine d’années. Les copropriétaires ne seront finalement pas pénalisés, les différentes caisses de garantie jouant leur rôle. Mais au-delà de cela, la mise en place d’un tel dispositif, avec comme garantie les fonds déposés par les mandants, les clients donc, des administrateurs de bien, est bien évidemment intolérable. Que le grand public et une partie de la presse spécialisée découvrent cette pratique à cette occasion est une chose. Mais que la profession et ses organes représentatifs n’en aient pas eu vent n’est nullement crédible. Les conséquences ne tarderont d’ailleurs pas et les pouvoirs publics voudront frapper fort.
Un projet de loi est alors élaboré en 2010. Celui-ci prévoit, notamment, la création d’un code de déontologie, une obligation de formation continue à l’égard des professionnels, la mise en place d’un Conseil de l’entremise et de la gestion immobilières ainsi que d’instances régionales disciplinaires, dénommées Commissions de contrôle, au sein desquelles les professionnels sont minoritaires. Le projet de texte précise, en outre, que la rémunération des syndics est désormais forfaitaire, des prestations particulières pouvant donner lieu à facturation selon des conditions définies par décret. Ce texte ne verra jamais le jour en tant que tel mais, à la suite l’alternance politique de 2012, ses principales dispositions seront reprises par Cécile Duflot dans ce qui deviendra la loi ALUR, à ceci près que la Commission de contrôle, désormais nationale, n’a toujours pas été mise en place.
Deux dates donc, deux évènements bien distincts, mais qui constituent l’aboutissement de pratiques contestables, voire condamnables, et qui expliquent en grande partie cette défiance envers les syndics. Les temps changent et si la situation s’améliore, il appartient aux professionnels d’aller vers le copropriétaire, vers le consommateur, et de ne pas rester dans l’entre-soi. Sur ce point, la récente “affaire Vesta” est intéressante.
Désireuse de montrer que les agents immobiliers constituent une profession règlementée avec des conditions d’exercice précises définies par les textes, la FNAIM a annoncé fin 2019 la création d’un caducée, à l’instar de ceux des autres professions règlementées, notaires et huissiers en tête. Et qui mieux que Vesta, déesse romaine du foyer et équivalente de l’Hestia grecque, sœur ainée de Zeus, pour représenter symboliquement cette profession ? Mais quel était l’objectif de cette annonce ? «C’est un symbole fort d’aptitude, de respect de la réglementation et surtout de reconnaissance d’une profession encadrée par la loi» nous dit la FNAIM. Peut-être. Mais sur ce point, le consommateur a clairement été mis de côté. On pourra toujours indiquer que ce caducée constitue une garantie de compétences et de respect des prescriptions imposées par les textes ; il ne s’agit pas pour autant d’un label ou d’une certification. Autrement dit, quelle valeur ajoutée apporte cet emblème par rapport à un cabinet qui ne s’en est pas doté ? Avec son caducée, la profession se parle à elle-même et il n’y a qu’à voir l’engouement des syndics et autres agents immobiliers faisant suite à cette annonce pour s’en convaincre. Est-ce problématique ? Ce n’est pas ainsi que la question se doit d’être posée : peu importe Vesta ou tout autre emblème dès lors qu’il est également accompagné d’un discours à destination des consommateurs et plus particulièrement des copropriétaires.
… les copropriétaires…
Et les copropriétaires dans tout ça ? N’ont-ils pas ne serait-ce qu’une once de responsabilité dans la dégradation des relations que l’on constate parfois entre eux et leur syndic ? Sur certains aspects, oui. La faible participation aux assemblées générales en constitue un parfait exemple. Certains envisagent davantage la copropriété comme une superposition de propriétés individuelles que comme une gestion collective d’un bien commun, à savoir l’immeuble. Les assemblées générales sont ainsi de plus en plus désertées, imposant au législateur d’abaisser au fil des réformes les différents seuils de majorité afin que les résolutions puissent être adoptées. Prise en compte des seules voix exprimées dans le cadre de la majorité simple, création de différentes passerelles permettant des votes de rattrapage, abaissement des voix requises pour certaines résolutions (les travaux de sécurisation en constituent un bel exemple puisque relevant initialement de la double majorité de l’article 26, ils sont désormais adoptés à la majorité simple de l’article 24), instauration du vote par correspondance, augmentation des voix qu’un mandataire peut porter… autant de modifications qui ont pour objectif d’éviter que l’absentéisme des copropriétaires aux assemblées générales ne nuise au processus décisionnel.
Or, cette faible participation a une incidence sur la qualité des débats et les échanges qui peuvent se faire avec le syndic. Rendez-vous annuel obligatoire, l’assemblée générale constitue le moment par excellence pour interroger le syndic, discuter avec lui, relever les bonnes initiatives ou les manquements, instaurer autant que possible un climat de confiance.
De même, il est extrêmement difficile de trouver des conseillers syndicaux acceptant de s’impliquer a minima dans la gestion de la copropriété. Il est d’usage de dire que pour avoir un bon syndic, il faut avoir un bon conseil syndical ; mais encore faut-il le trouver. Pour un copropriétaire qui accepte de donner de son temps, combien ne font que de la figuration ou ne sont là que pour régler leurs problèmes personnels ? Bien sûr, on trouve des conseils syndicaux efficaces qui rencontrent pourtant des difficultés avec leur syndic. Mais ne pas parier sur cet organe censé faire le lien entre le syndic précisément et les copropriétaires, c’est perdre une opportunité d’améliorer la qualité de la gestion de l’immeuble. Si les copropriétaires n’ont pas l’obligation de s’intéresser à la gestion de leur résidence, ils en ont néanmoins le devoir.
Enfin, dernier point, la question de la rémunération du syndic. Sur ce sujet, les copropriétaires en partagent la responsabilité avec les professionnels. Faire du montant des honoraires un critère déterminant dans le choix du syndic constitue un bien mauvais calcul et n’a comme conséquence que de niveler vers le bas la qualité de services. Responsabilité partagée car les professionnels eux-mêmes ont joué avec le feu sur ce sujet. En déconstruisant la notion de gestion courante avant l’instauration du contrat type ou en pratiquant un dumping tarifaire, certains professionnels ont créé un trouble auprès des copropriétaires, lesquels ont été dans l’incapacité d’avoir un ordre de grandeur du «juste prix» d’un syndic.
Imposer systématiquement un rabais sur les honoraires n’est pas forcément constructif et, passé un certain stade, la qualité de la gestion s’en ressentira. Dans les faits, il apparaît que la question des honoraires n’est pas un problème lorsque les copropriétaires sont satisfaits de leur syndic. C’est lorsqu’il existe des motifs de mécontentement que ce point est abordé. Dans ce cas, il est préférable de changer purement et simplement de syndic car il est évident que sa gestion de s’améliorera pas avec une rémunération moindre.
… et les pouvoirs publics
On peut certes accabler les professionnels et les copropriétaires de tous les maux, mais peut-être conviendrait-il également de s’interroger sur la responsabilité des pouvoirs publics dans la situation actuelle. Car, après tout, ce sont bien eux qui ont le dernier mot et qui tiennent la plume des textes nous concernant. Et sur plusieurs aspects, des occasions ont été manquées. La question de la définition des prestations de gestion courante en constitue un bel exemple. Privilégier l’accord des parties est une excellente chose, mais étant donné que le Conseil national de la consommation et la Commission des clauses abusives avaient déjà rendu des conclusions à ce sujet, peut-être aurait-on pu gagner du temps sur ce sujet sensible.
Mais l’inverse existe également. Alors que les représentants des professionnels et des consommateurs ont convenu, à l’unanimité, d’un modèle de contrat de syndic type au sein du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières, l’administration a fait table rase du travail effectué pour rendre in fine une copie qui fera également l’unanimité, mais contre elle.
Sans compter les réformes législatives en cascade, parfois pour défaire ce qui a été fait par l’ancienne équipe (la suppression de l’encadrement des honoraires de syndic pour les actes de recouvrement par exemple) et qui nuisent à une bonne visibilité et appréhension des textes en vigueur. De même, on peut s’interroger sur l’effet causal de certaines mesures. Que le législateur cherche à prendre en compte l’absentéisme des copropriétaires en assemblée générale pour éviter toute situation de blocage s’entend tout à fait. À ceci près que les réformes entreprises depuis la loi SRU du 13 décembre 2000 ont quasiment abouti à l’instauration d’une majorité unique, celle de l’article 24. L’existence de différentes majorités permettant de protéger les copropriétaires afin que les décisions les plus impactantes compte tenu de leur objet (travaux d’amélioration par exemple) recueillent l’approbation du plus grand nombre, cette majorité unique, de fait, n’est pas sans relever d’une certaine ironie. Or, passées les années, ces réformes législatives n’ont-elles pas également encouragé l’absentéisme aux assemblées générales, les copropriétaires se rendant finalement compte que la plupart des résolutions pouvaient être adoptées, qu’ils soient présents ou non ?
Autant de faits, d’occasions, d’évènements, qui ont eu des incidences sur les relations entre syndics et copropriétaires, ravivant parfois certaines tensions. Qu’il ait fallu six années pour publier un décret plafonnant le montant des honoraires pouvant être demandés pour l’état daté est absolument incompréhensible. Et ne parlons pas de la Commission de contrôle des professionnels de l’immobilier qui n’a toujours pas été mise en place depuis la loi ALUR et dont le pouvoir disciplinaire a été purement et simplement supprimé pour ne devenir, au final, qu’un simple signalement aux services de la DGCCRF en cas de manquement d’un professionnel à ses obligations. Un bien mauvais signe envoyé aux consommateurs…
Vers la fin des syndics professionnels ?
Cela a été dit, un monde sans syndic ne se conçoit pas puisque cet organe est obligatoire. En revanche, l’ajout d’un simple mot permet de réexaminer la problématique sous un angle nouveau : un monde sans syndic professionnel. Tout de suite, cela ouvre de nouvelles perspectives, de nombreux copropriétaires n’hésitant pas à franchir ce Rubicon et à se lancer dans l’autogestion. Mais cette solution est-elle généralisable pour autant ?
Les syndicats professionnels n’ont jamais caché leurs réserves quant à la possibilité pour un copropriétaire d’exercer les fonctions de syndic. Et pour peu que ce dernier soit indemnisé, d’aucuns parleront alors d’exercice illégale de l’activité de syndic. C’est sans doute aller loin mais cela est révélateur des tensions qui existent sur ce sujet et de la crainte de laisser échapper une partie du parc des copropriétés, se privant ainsi d’une clientèle potentielle.
Il convient toutefois de ne pas oublier que ces petites copropriétés ont été, des années durant, dans l’angle mort des syndics, ces derniers ne les trouvant pas suffisamment rentables. Un argument recevable mais qui a obligé les copropriétaires à recourir à des méthodes alternatives, soit en conformité avec les textes (désignation d’un syndic non professionnel, mise en place d’un syndicat coopératif), soit en faisant un arrangement à la «bonne franquette» ; arrangement qui peut trouver rapidement ses limites en cas de tensions ou de nouvel arrivant dans l’immeuble.
La gestion autonome ne saurait s’improviser et nécessite des compétences juridiques, techniques, comptables ainsi qu’une grande disponibilité. Par ailleurs, les relations sociales peuvent parfois être exacerbées, surtout dans les petites copropriétés, rendant difficile le recours à l’autogestion de sorte que la désignation d’un syndic professionnel permet d’apaiser les tensions, celui-ci faisant en quelque sorte office de juge de paix. Si, dans les grands ensembles immobiliers, les rapports sociaux sont moins prégnants, ces copropriétés sont davantage complexes à gérer avec une multitude de contrats d’entretien, de prestataires ,voire de salariés. C’est pourquoi la gestion autonome est bien plus rare dans ce type de résidence.
La fin des syndics professionnels ne devrait donc pas arriver tout de suite, voire jamais. Sans doute, la profession connaîtra-t-elle des mutations, avec le développement de syndics en ligne par exemple, mais il s’agit en fait de nouvelles modalités d’exercice de cette activité.
Toutefois les difficultés à attirer des jeunes peuvent constituer un obstacle aux renouvellement et développement des syndics, cette profession apparaissant comme peu attrayante. Sur ce point, la qualité des ressources humaines est primordiale et le fait que l’on constate un important turn-over des gestionnaires dans un même cabinet ne peut que laisser interrogatif. Très clairement, cette situation met en exergue de graves problèmes de management nuisant à la qualité de la gestion, aux relations avec les copropriétaires et pouvant avoir un impact sur l’ensemble de la profession si cette pratique est généralisée à haut niveau.
Disparition du syndic, non, mais en revanche, la fin du choix du syndic pourrait, elle, survenir. Les phénomènes de concentration des grands groupes rachetant de petits cabinets tendent, de plus en plus, à limiter le choix des copropriétaires, rendant alors ces derniers plus enclins à opter pour une gestion bénévole. Ce sujet n’est pas nouveau. Déjà en 2007, le Conseil national de la consommation avait été saisi des effets du mouvement de concentration des syndics. Si ce point n’a pas donné lieu à des conclusions particulières de la part de cette instance, il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics se préoccupaient déjà de cette situation il y a treize ans de cela. Pour le coup, le fait de passer d’un syndic «choisi» à un syndic «imposé» ou «par défaut», faute de choix au niveau local, paraît bien plus envisageable. Et avec toutes les conséquences néfastes qui en découleraient, tant pour les professionnels que pour les copropriétaires. C’est peut-être ici que réside le réel danger…