[N° 605] - Organisme HLM majoritaire : L’absence de réduction des voix est conforme à la Constitution - II Interrogations autour de la constitutionnalité de la réduction des voix des autres copropriétaires majoritaires

par Christelle COUTANT-LAPALUS
Affichages : 11542

Index de l'article

II – Interrogations autour de la constitutionnalité de la réduction des voix des autres copropriétaires majoritaires

Le Conseil constitutionnel affirme que «ni le droit de propriété, ni aucun autre principe ou règle à valeur constitutionnelle n’interdit qu’un copropriétaire dont la quote-part dans les parties communes est majoritaire puisse disposer, en assemblée générale, d’un nombre de voix proportionnel à l’importance de ces droits dans l’immeuble». Une telle affirmation, comme le souligne le Professeur Hugues Périnet-Marquet relève de l’évidence. Comment l’attribution de droits de vote en fonction des droits sur les parties communes pourrait-elle être contraire au droit de propriété ? L’emploi du verbe «interdire» au lieu et place du verbe «obliger» peut être interprété comme la consécration de la validité de toute disposition qui limite, dans des hypothèses définies, les droits de vote de certains copropriétaires, notamment dans l’hypothèse de copropriétaires majoritaires12, mais l’on pense aussi à l’interdiction, instaurée par la loi Alur à l’article 19-2, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, de prendre en considération les voix du copropriétaire débiteur à l’égard du syndicat lors du décompte des voix de la décision qui autorise le syndic à agir en justice afin d’obtenir la saisie en vue de la vente d’un lot de copropriété. Pour autant, le Conseil constitutionnel n’affirme pas expressément que le plafonnement des droits des copropriétaires majoritaires soit conforme à la constitution.

Or, l’affirmation selon laquelle attribuer un nombre de voix en assemblée générale proportionnellement à la quote-part des parties communes respecte le droit de propriété des copropriétaires, peut aussi être interprétée comme une volonté d’attirer l’attention sur les conditions de limitation de ces droits. Le Conseil constitutionnel peut ainsi vouloir souligner que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 impose qu’une telle limitation doit être justifiée par un motif d’intérêt général et proportionnée à l’objectif poursuivi. Si certains auteurs ont dénoncé les inconvénients de l’article 22-I de la loi du 10 juillet 1965, principalement en raison de son inefficacité et des risques de blocage qu’il crée13, rares sont ceux à s’être interrogés sur la conformité de ce texte au bloc de constitutionnalité14 . Le tempérament apporté au principe de proportionnalité des voix résulte d’une loi du 28 décembre 196615. Le législateur souhaitait, à travers cette disposition, éviter qu’un copropriétaire disposant de la majorité absolue devienne «seigneur et maître de l’immeuble divisé»16 ; autrement dit, qu’un seul d’entre eux ne puisse imposer sa volonté à l’ensemble des copropriétaires et que cela fausse le mécanisme majoritaire sur lequel repose l’organisation du syndicat. Mais, comme le souligne le Conseil constitutionnel, il existe d’autres techniques qui permettent d’aboutir à un contrôle des pleins pouvoirs du copropriétaire majoritaire. Le juge, s’il est saisi, dispose d’un pouvoir de sanction lorsqu’est établi un abus de majorité. Par ailleurs, le législateur peut imposer certaines majorités, telle la majorité de l’article 26 qui suppose la majorité en nombre des copropriétaires représentant au moins les deux tiers des voix du syndicat, voire l’unanimité, pour écarter les risques de faire voler en éclat le mécanisme majoritaire. De surcroît, est-il encore possible de soutenir que la réduction des voix d’un copropriétaire majoritaire relève de l’intérêt général lorsque, parallèlement, les exigences légales en matière de majorité sont régulièrement abaissées17 et ce dans le but de faciliter la prise de décision et permettre une meilleure gestion de l’immeuble par le syndicat18. Si la justification de l’exception au principe de proportionnalité suscite des interrogations, il semble que si cette justification était reconnue, alors l’atteinte au droit de propriété pourrait être considérée comme proportionnée.

En effet, la Cour de cassation a toujours adopté une interprétation stricte de l’alinéa 2 du I de l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965. D’abord, en limitant l’ampleur de la réduction des voix aux voix de l’ensemble des copropriétaires et non aux voix des seuls copropriétaires présents ou représentés19. Ensuite, en ne retenant que la stricte qualité du propriétaire du lot pour comptabiliser son nombre de voix. Les tantièmes de copropriété détenus au titre de la pleine propriété d’un lot, ne doivent pas s’ajouter à ceux d’un lot dont le même copropriétaire n’est qu’usufruitier20. Ceux d’un lot, bien personnel d’un époux, ne doivent pas être cumulés avec ceux d’un lot, bien indivis du couple21. Enfin, la majorité absolue étant calculée en fonction des tantièmes de copropriété et non des tantièmes de charges, la réduction des voix ne devrait pas s’appliquer lors des votes en assemblée effectués sur le fondement de l’article 24, alinéa 2 (ancien) - aujourd’hui article 24-III, de la loi du 10 juillet 196522.
La décision du Conseil constitutionnel du 11 juillet 2014 rappelle que le bel objectif de la loi du 10 juillet 1965 d’un équilibre entre les intérêts individuels de ses membres et l’intérêt collectif n’est pas toujours facile à atteindre et qu’il convient, pour y parvenir, de ne pas occulter d’autres règles, valeurs ou principes non contenus dans cette loi, mais présents au sein du bloc de constitutionnalité.


 12- V. en en ce sens H. Périnet-Marquet, JCP G 2014, doct., 1129, n° 9.
 13- V. M. Morand, Le nouveau statut de la copropriété, un coup d’épée dans l’eau, Gaz. Pal. 1967, 1, doctr., p. 67 ; G. Vigneron, Assemblée générale, J.-Cl. Copropriété, fasc. 84-10, n° 65.
 14- V. cependant : H. Périnet-Marquet, préc.
 15- L. n° 66-1006, art. 3.
 16- M. de Félice, séance Sénat du 19 déc. 1966, JO Sénat, 20 déc. 1966, p. 2592.
 17- V. les nouveaux articles 24 et 25 de la loi du 10 juillet 1965.
 18- Inf. rap. Copr. oct. 2014, p. 6.
 19- Cass. 3e civ., 2 juil. 2008, préc.
 20- CA Paris, 5 oct. 1989, RG n° 88/16517, Loyers et copr. 1989, 545.
 21- Cass. 3e civ., 25 sept. 2002, n° 01-00161, Bull. civ. III, n° 179.
 22- V. en ce sens D. Sizaire, Le nouveau statut de la copropriété, Paris, Litec 1969, n° 140.