Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel confirme les spécificités liées à la présence d’un organisme d’HLM au sein d’une copropriété.
Le Conseil constitutionnel a rendu le 11 juillet 2014 une décision relative au nombre de voix des copropriétaires, particulièrement intéressante1. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation2, le Conseil constitutionnel avait à se prononcer sur la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit, du quatrième alinéa de l’article L. 443-15 du Code de la construction et de l’habitation, créé par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement3. En vertu de ce texte, les dispositions du deuxième alinéa du I de l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965 ne s’appliquent pas à l’organisme d’HLM devenu copropriétaire majoritaire à l’issue de la vente de logements sociaux. Par conséquent, contrairement aux voix des autres copropriétaires majoritaires, les voix des organismes d’HLM ne sont pas réduites lors des votes en assemblée générale.
La décision du Conseil constitutionnel dont la portée prend un reflet particulier au lendemain de l’adoption de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur4, confirme les spécificités liées à la présence d’un organisme d’HLM au sein d’une copropriété5. Dans cette décision, il est en effet admis que la disposition qui écarte la réduction des voix des organismes d’HLM copropriétaires majoritaires est conforme à la constitution (I). Parallèlement, quelques interrogations surgissent quant à la conformité de la disposition qui impose une réduction des voix des autres copropriétaires majoritaires (II).
1- N° 2014-409, QPC, JO 13 juil. 2014, p. 11816, JCP G 2014, doct., 1129, n° 9, obs. H. Périnet-Marquet, LEDIU sept. 2014, p. 4, obs. J.-M. Roux.
2- 16 mai 2014, n° 14-40015, Bull. civ. III, n° 62, Loyers et copr. 2014, com. 256, obs. G. Vigneron.
3- L. n° 2006-872.
4- L. n° 2014-366.
5- V. C. Coutant-Lapalus, L’organisme d’HLM : un syndic différent, Inf. rap. Copr., oct. 2012, p. 19.
I – Affirmation de la constitutionnalité de la non-réduction des voix de l’organisme d’HLM copropriétaire majoritaire
Si le principe énoncé par la loi du 10 juillet 1965 est celui d’une répartition des voix proportionnelle à l’importance des droits de chaque copropriétaire dans les parties communes de l’immeuble, des exceptions à cette disposition d’ordre public figurent à l’article 22-I de la loi6. Lorsqu’un copropriétaire dispose de plus de la majorité absolue des voix, le nombre de ses voix est réduit à la somme des voix des autres copropriétaires présents ou non, représentés ou non7. Toutefois, cette exception est écartée lorsque le copropriétaire majoritaire est un organisme d’HLM. Pour les requérants, cette exception porte une atteinte disproportionnée à l’exercice du droit de propriété des autres copropriétaires. Ils mettent en exergue que l’organisme d’HLM peut alors imposer ses décisions à l’ensemble des autres copropriétaires. Les requérants auraient pu ajouter que cette prédominance des pouvoirs se trouvent renforcée par l’exercice fréquent, par ces organismes, de la fonction de syndic de la copropriété. Le Code de la construction et de l’habitation prévoit qu’en cas de vente d’un logement social par un organisme d’HLM à ses locataires, les fonctions de syndic de copropriété sont assurées, à moins qu’il n’y renonce, par l’organisme vendeur tant qu’il demeure propriétaire d’au moins un logement8.Dans une réponse ministérielle, il avait été indiqué que cette disposition trouvait sa justification dans la volonté d’encourager la vente des logements locatifs sociaux. Les organismes d’HLM peuvent ainsi continuer à gérer un patrimoine qu’ils connaissent9. «Cette différence de traitement s’explique aussi par la nécessité de faire face à une situation spécifique, la cohabitation, dans un même immeuble, de copropriétaires soumis au régime général et de locataires d’un organisme d’HLM dont l’organisme HLM peut, ainsi, défendre les intérêts».
Après avoir rappelé qu’il appartient au législateur de «définir les droits de la copropriété d’un bâti sans porter une atteinte injustifiée aux droits des autres copropriétaires», et réaffirmé ainsi le principe d’un contrôle de la justification des atteintes qui peuvent être portées aux droits des copropriétaires10, le Conseil constitutionnel écarte les arguments avancés à l’encontre de la disposition du Code de la construction et de l’habitation relatif à l’atteinte au droit de propriété. Il souligne, dans son cinquième considérant, que seule est exclue l’application de la seconde phrase du deuxième alinéa du I de l’article 22 et non la première phrase qui prévoit que chaque copropriétaire dispose d’un nombre de voix correspondant à sa quote-part dans les parties communes. Puis, il déclare qu’aucune atteinte n’est portée au droit de propriété lorsque les voix d’un copropriétaire majoritaire ne sont pas réduites lors d’un vote en assemblée générale. Toutefois, le Conseil constitutionnel prend soin de préciser qu’il existe des limites à l’exercice de ses droits par un copropriétaire majoritaire, dès lors que les juges disposent d’outils pour lutter contre les abus de majorité. Ce qui laisse à penser qu’en l’absence de telles dispositions, son analyse serait différente. Enfin, le Conseil constitutionnel se prononce sur la limitation de l’exclusion de la réduction des voix aux seuls organismes d’HLM et considère que cela n’est ni contraire au principe d’égalité ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
La décision du 11 juillet 2014 est donc claire ; l’alinéa 4 de l’article L. 443-15 du Code de la construction et de l’habitation est conforme à la Constitution. En écartant la règle réduisant les voix du copropriétaire majoritaire, le législateur a concilié les droits des différents copropriétaires et n’a pas porté atteinte au droit de propriété des copropriétaires. Cette solution rassurera sans doute les praticiens qui craignaient qu’à défaut de déclarer cette disposition conforme, la gestion des immeubles d’HLM ne soit plus compliquée11. Elle permettra peut-être aussi d’éviter la dégradation de certains immeubles soumis au statut de la copropriété en raison du refus de certaines copropriétaires d’approuver des travaux de réparation pourtant nécessaires. Les considérants de cette décision imposent cependant d’aller plus loin et conduisent à s’interroger sur la constitutionnalité de la disposition qui réduit le nombre de voix des copropriétaires majoritaires qui n’ont pas la qualité d’organismes d’HLM.
6- Toute clause d’un règlement de copropriété qui prévoit un mode de répartition des voix différent doit dès lors être réputée non écrite.V. en ce sens : CA Paris, 4 mai 1968, Gaz. Pal. 1968, 2, p. 128 ; CA Paris, 31 janvier 2002, Loyers et copr. 2002, comm. 210.
7- Cass. 3e civ., 2 juil. 2008, n° 07-14619, Bull. civ. III, n° 118, Inf. rap. Copr. janv. 2009,p. 17, obs. P. Capoulade, Loyers et copr. 2008, comm. 198.
8- CCH, art. L. 443-15, al. 1er.
9- Rép. min. QE n° 72872, JOAN 29 juin 2010.
10- V. en ce sens : Cons. Const., 20 mars 2014, DC, n° 2014-691, Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, cons. 46.
11- V. en ce sens G. Vigneron, Loyers et copr. 2014, com. 256.
II – Interrogations autour de la constitutionnalité de la réduction des voix des autres copropriétaires majoritaires
Le Conseil constitutionnel affirme que «ni le droit de propriété, ni aucun autre principe ou règle à valeur constitutionnelle n’interdit qu’un copropriétaire dont la quote-part dans les parties communes est majoritaire puisse disposer, en assemblée générale, d’un nombre de voix proportionnel à l’importance de ces droits dans l’immeuble». Une telle affirmation, comme le souligne le Professeur Hugues Périnet-Marquet relève de l’évidence. Comment l’attribution de droits de vote en fonction des droits sur les parties communes pourrait-elle être contraire au droit de propriété ? L’emploi du verbe «interdire» au lieu et place du verbe «obliger» peut être interprété comme la consécration de la validité de toute disposition qui limite, dans des hypothèses définies, les droits de vote de certains copropriétaires, notamment dans l’hypothèse de copropriétaires majoritaires12, mais l’on pense aussi à l’interdiction, instaurée par la loi Alur à l’article 19-2, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, de prendre en considération les voix du copropriétaire débiteur à l’égard du syndicat lors du décompte des voix de la décision qui autorise le syndic à agir en justice afin d’obtenir la saisie en vue de la vente d’un lot de copropriété. Pour autant, le Conseil constitutionnel n’affirme pas expressément que le plafonnement des droits des copropriétaires majoritaires soit conforme à la constitution.
Or, l’affirmation selon laquelle attribuer un nombre de voix en assemblée générale proportionnellement à la quote-part des parties communes respecte le droit de propriété des copropriétaires, peut aussi être interprétée comme une volonté d’attirer l’attention sur les conditions de limitation de ces droits. Le Conseil constitutionnel peut ainsi vouloir souligner que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 impose qu’une telle limitation doit être justifiée par un motif d’intérêt général et proportionnée à l’objectif poursuivi. Si certains auteurs ont dénoncé les inconvénients de l’article 22-I de la loi du 10 juillet 1965, principalement en raison de son inefficacité et des risques de blocage qu’il crée13, rares sont ceux à s’être interrogés sur la conformité de ce texte au bloc de constitutionnalité14 . Le tempérament apporté au principe de proportionnalité des voix résulte d’une loi du 28 décembre 196615. Le législateur souhaitait, à travers cette disposition, éviter qu’un copropriétaire disposant de la majorité absolue devienne «seigneur et maître de l’immeuble divisé»16 ; autrement dit, qu’un seul d’entre eux ne puisse imposer sa volonté à l’ensemble des copropriétaires et que cela fausse le mécanisme majoritaire sur lequel repose l’organisation du syndicat. Mais, comme le souligne le Conseil constitutionnel, il existe d’autres techniques qui permettent d’aboutir à un contrôle des pleins pouvoirs du copropriétaire majoritaire. Le juge, s’il est saisi, dispose d’un pouvoir de sanction lorsqu’est établi un abus de majorité. Par ailleurs, le législateur peut imposer certaines majorités, telle la majorité de l’article 26 qui suppose la majorité en nombre des copropriétaires représentant au moins les deux tiers des voix du syndicat, voire l’unanimité, pour écarter les risques de faire voler en éclat le mécanisme majoritaire. De surcroît, est-il encore possible de soutenir que la réduction des voix d’un copropriétaire majoritaire relève de l’intérêt général lorsque, parallèlement, les exigences légales en matière de majorité sont régulièrement abaissées17 et ce dans le but de faciliter la prise de décision et permettre une meilleure gestion de l’immeuble par le syndicat18. Si la justification de l’exception au principe de proportionnalité suscite des interrogations, il semble que si cette justification était reconnue, alors l’atteinte au droit de propriété pourrait être considérée comme proportionnée.
En effet, la Cour de cassation a toujours adopté une interprétation stricte de l’alinéa 2 du I de l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965. D’abord, en limitant l’ampleur de la réduction des voix aux voix de l’ensemble des copropriétaires et non aux voix des seuls copropriétaires présents ou représentés19. Ensuite, en ne retenant que la stricte qualité du propriétaire du lot pour comptabiliser son nombre de voix. Les tantièmes de copropriété détenus au titre de la pleine propriété d’un lot, ne doivent pas s’ajouter à ceux d’un lot dont le même copropriétaire n’est qu’usufruitier20. Ceux d’un lot, bien personnel d’un époux, ne doivent pas être cumulés avec ceux d’un lot, bien indivis du couple21. Enfin, la majorité absolue étant calculée en fonction des tantièmes de copropriété et non des tantièmes de charges, la réduction des voix ne devrait pas s’appliquer lors des votes en assemblée effectués sur le fondement de l’article 24, alinéa 2 (ancien) - aujourd’hui article 24-III, de la loi du 10 juillet 196522.
La décision du Conseil constitutionnel du 11 juillet 2014 rappelle que le bel objectif de la loi du 10 juillet 1965 d’un équilibre entre les intérêts individuels de ses membres et l’intérêt collectif n’est pas toujours facile à atteindre et qu’il convient, pour y parvenir, de ne pas occulter d’autres règles, valeurs ou principes non contenus dans cette loi, mais présents au sein du bloc de constitutionnalité.
12- V. en en ce sens H. Périnet-Marquet, JCP G 2014, doct., 1129, n° 9.
13- V. M. Morand, Le nouveau statut de la copropriété, un coup d’épée dans l’eau, Gaz. Pal. 1967, 1, doctr., p. 67 ; G. Vigneron, Assemblée générale, J.-Cl. Copropriété, fasc. 84-10, n° 65.
14- V. cependant : H. Périnet-Marquet, préc.
15- L. n° 66-1006, art. 3.
16- M. de Félice, séance Sénat du 19 déc. 1966, JO Sénat, 20 déc. 1966, p. 2592.
17- V. les nouveaux articles 24 et 25 de la loi du 10 juillet 1965.
18- Inf. rap. Copr. oct. 2014, p. 6.
19- Cass. 3e civ., 2 juil. 2008, préc.
20- CA Paris, 5 oct. 1989, RG n° 88/16517, Loyers et copr. 1989, 545.
21- Cass. 3e civ., 25 sept. 2002, n° 01-00161, Bull. civ. III, n° 179.
22- V. en ce sens D. Sizaire, Le nouveau statut de la copropriété, Paris, Litec 1969, n° 140.