[N° 572] - Fibre optique en copropriété : l’heure de la maturité ?

par Paul TURENNE
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Index de l'article

Après des années de frilosité et de surplace, le déploiement de la fibre optique poursuit lentement mais sûrement sa progression en France. Le cadre législatif désormais plus clair favorise les investissements des opérateurs, même si toutes les installations en copropriété sont loin de se dérouler sans problème. Etat des lieux et conseils.

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Avec une connexion Internet 100 fois plus rapide que les abonnements ADSL classiques, surfer sur  le web prend une toute autre dimension : il devient alors possible de déposer toute une série de photos sur un site ou bien de télécharger un film en quelques secondes, tout en regardant la télévision sur plusieurs écrans en haute définition, voire en trois dimensions, pour les plus équipés. Une fiction, il y a encore quelques années, qui est devenue réalité avec le développement de la fibre optique dans les foyers français, même si pour l’heure, ce dernier reste modeste et cantonné aux zones les plus urbanisées. Les copropriétaires habitant dans ces zones denses peuvent donc s’attendre, si ce n’est déjà fait, à être sollicités par un ou plusieurs opérateurs déployant la fibre optique dans leur secteur. Quoi qu’il en soit, la décision d’installer un réseau de fibre optique dans un immeuble incombe toujours au syndicat des copropriétaires qui choisit lors de l’assemblée générale un opérateur d’immeuble (cf. p.40 «Dix définitions pour mieux comprendre l’univers de la fibre optique»). Pour éviter les déconvenues, mieux vaut en solliciter plusieurs afin de savoir lesquels ont d’ores et déjà déployé un réseau dans la rue, la date prévue de raccordement à l’immeuble, les modalités d’exécution des travaux notamment pour l’accès des parties communes, sans oublier, bien sûr, la qualité finale du service.
La copropriété doit ensuite signer avec l’opérateur choisi une convention-type personnalisable conformément à la loi, après en avoir délibéré. Celle-ci précise notamment les modalités d’installation et peut prévoir des mécanismes de pénalités librement négociés en cas de non-respect des engagements (cf. p.40 : une convention-type à ne pas négliger). Dans la mesure où la fibre optique doit être disponible sur tous les paliers de l’immeuble et qu’elle n’apprécie pas les courbures trop importantes, a fortiori les angles droits, l’installation peut être plus compliquée à mettre en œuvre si le bâtiment est un peu ancien ou s’il n’existe pas de fourreau de libre dans les parties communes. La description des modalités de réalisation des travaux n’en est alors que plus importante, même si tous les frais sont à la charge de l’opérateur, ainsi que plus tard, l’entretien et la maintenance.

Tableau différences haut trés haut débit. Crédit ARCEP


Mono ou multi-fibres

Le réseau déployé à l’intérieur de l’immeuble peut être constitué soit d’une fibre par logement (mono-fibre), soit de plusieurs fibres par logement. On parle alors de multi-fibres. Les deux solutions sont aujourd’hui utilisées, sachant que dans le premier cas, les opérateurs se partagent une fibre unique, alors que dans le second cas, les opérateurs peuvent bénéficier de leur propre fibre, ce qui permet bien souvent d’accélérer la mise en fonctionnement de la connexion à très haut débit, ou d’éviter une rupture de service en cas de changement d’opérateur. En effet, avec une installation multi-fibres, la prise installée dans le logement comporte plusieurs entrées correspondant à chacune des fibres déployées.
Dans tous les cas, chaque copropriétaire qui souhaite bénéficier d’un service fibre optique reste libre de choisir son opérateur, sous réserve que celui-ci ait déployé son réseau dans la rue pour se connecter à l’immeuble. Par ailleurs, même si une décision autorisant un opérateur donné à fibrer l’immeuble a été prise en assemblée générale à la majorité de l’article 24 de la loi de 1965, chaque copropriétaire est libre d’autoriser ou non le raccordement de son logement en fibre optique entre le palier et l’intérieur de son logement. En règle générale, l’opérateur d’immeuble ne facture pas les frais de raccordement dans la

foulée de l’installation générale. Mais ils sont à la charge de l’occupant du logement si celui-ci se décide plus tard. Attention également, pour les propriétaires bailleurs, aux demandes des locataires : la loi crée, en effet, un véritable droit d’accès au très haut débit pour chaque occupant dans son propre logement. Un propriétaire ne peut donc s’opposer sans motif légitime et sérieux au raccordement de ces locaux à un câblage en fibre optique permettant un très haut débit et l’entretien de ce dispositif.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La question de la mutualisation (presque) réglée

Imposée par l’ARCEP ARCEP (cf définitions page 4o), le «gendarme des télécoms», en 2010, la mutualisation est désormais la règle dans toutes les nouvelles installations en fibre optique. Concrètement, l’opérateur choisi par la copropriété pour installer le réseau doit offrir un libre accès aux autres opérateurs exprimant le souhait de se raccorder au point de mutualisation «sans discrimination et en respectant une neutralité technologique absolue». Une façon de permettre à tous de co-investir dans le déploiement en partageant ainsi les travaux et les coûts de déploiement associés.
Dans les faits, l’ARCEP a dû se pencher sur plusieurs différends opposant des opérateurs. Dernier en date, France Télécom et Free Infrastructure étaient en conflit sur certains points précis du déploiement technique de la fibre optique et de la mutualisation en zones très denses. La décision rendue par l’Autorité de régulation des télécoms a ainsi apporté des précisions techniques, tout en renvoyant chacun à ses responsabilités.
Ainsi, les modalités de réalisation du «raccordement palier» - consistant à installer une prise terminale optique à l’intérieur du logement du client final et à relier cette prise à la colonne montante de l’immeuble - restaient peu claires. Si c’est toujours l’opérateur d’immeuble (ou son sous-traitant) qui réalise les travaux d’installation du point de mutualisation et de la colonne montante, certains opérateurs souhaitaient réaliser eux-mêmes (ou faire réaliser par leurs sous-traitants) le raccordement palier jusqu’au local de leur client final, quand bien même ils n’étaient pas l’opérateur d’immeuble. Dès lors, certains opérateurs d’immeuble laissaient la possibilité aux opérateurs commerciaux de réaliser eux-mêmes les travaux de raccordement palier, l’opérateur commercial agissant alors pour le compte et sous la responsabilité de l’opérateur d’immeuble. En revanche, d’autres opérateurs d’immeuble souhaitaient maîtriser l’intégralité des opérations réalisées dans l’immeuble en invoquant les risques de dilution des responsabilités si les intervenants devaient se multiplier.
Au final, l’Autorité a donc considéré que l’opérateur d’immeuble ayant réalisé le câblage de l’immeuble devait :
• soit assurer la réalisation du raccordement palier du client de l’opérateur tiers, comme le demandait Free Infrastructure (décision n°2011-0846),
• soit permettre à l’opérateur tiers de réaliser lui-même le raccordement palier de son client, comme le demandait France Télécom (décision n° 2011-0893).

Ces prescriptions de l’ARCEP, qui précisent, par ailleurs, les tarifs de mutualisation entre opérateurs, devraient ainsi débloquer les situations litigieuses causant des retards préjudiciables aux copropriétaires désireux d’utiliser les services d’un opérateur autre que celui ayant effectué le fibrage.

Schéma de mutualisation des réseaux Ftth (Fiber to the Home) - Source Arcep


Une convention-type à ne pas négliger

D’après la loi, la convention liant les copropriétaires et l’opérateur d’immeuble doit définir les conditions d’installation, de gestion, de maintenance et de remplacement des lignes en fibre optique que l’opérateur d’immeuble va déployer. La convention mentionne ou précise notamment, le délai de 6 mois suivant la signature de la convention durant lequel les lignes en fibre optique doivent être installées dans l’immeuble, et les modalités d’exécution des travaux ; la date à laquelle un réseau en fibre optique déployé dans la rue sera raccordé au réseau de l’immeuble ; les responsabilités de l’opérateur ; la propriété du réseau installé pendant et au terme de la convention ; la garantie de la continuité du service en cas de changement d’opérateur d’immeuble.
L’ARCEP a mis au point une convention type reprenant, notamment, les principes généraux énoncés ci-dessus et disponible sur son site internet : www.arcep.fr/fibre  Cette dernière, récemment actualisée, comporte cependant des lacunes, selon certaines associations de défense de copropriétaires, au premier rang duquel l’ARC (cf. 3 questions à page 41). Il est donc préférable de s’inspirer de la convention-type en la complétant le cas échéant pour éviter au maximum les mauvaises surprises, comme d’importants retards dans le fibrage. En effet, la convention type prévoit bien la possibilité pour les copropriétaires de résilier unilatéralement la convention par simple courrier recommandé avec accusé de réception, lorsque les travaux ne sont pas achevés dans le délai légal de six mois. Mais l’immeuble peut très bien avoir été fibrée dans les temps, sans avoir été reliés à un réseau de collecte, ce qui rend l’installation totalement inutilisable ! Le raccordement effectif des logements peut donc ensuite prendre encore six mois supplémentaires, voire plus, si aucune obligation de résultat n’est mentionnée. Par ailleurs, cette résiliation simplifiée ne doit pas dissuader les copropriétaires d’exiger des pénalités en cas de retards, voire d’exercer un recours judiciaire en cas de problème important.

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Quelques notions techniques élémentaires à retenir

a) central optique de l’opérateur (NRO : noeud de raccordement optique) - 1) architecture réseau FttH dit “point à point” avec équipements passifs (sans branchements au réseau électrique - 2) architecture réseau FttH dit “GPON” avec équipements passifs - 3) architecture réseau FttB ou FTTLA (mixant fibre et coaxial) avec équipements actifs - 4) architecture réseau FttB (mixant fibre et cuivre) avec équipements actifs

Source : Orange

Le fibrage depuis la rue jusqu’à l’abonné final peut prendre plusieurs formes, selon la densité urbaine, la hauteur des immeubles équipés ou bien encore l’opérateur qui effectue l’installation.
Premier cas : le FttH (pour «Fiber to the Home») correspond au déploiement de la fibre optique intégralement jusqu’aux logements de chaque utilisateur. Cette technologie, techniquement la plus aboutie, permet d’atteindre des débits d’au minimum 1,2 Gbit/s sur une même fibre. Deux architectures peuvent alors être utilisés :
• le “point-à-point”, où chaque fibre remonte séparément depuis le logement jusqu’à un point de regroupement appelé nœud de raccordement optique (NRO) ;
• l’architecture “passive” GPON (pour Gigabit Passive Optical Network), où plusieurs fibres, pouvant provenir de différents immeubles, sont regroupés au niveau d’un coupleur avant de remonter jusqu’au NRO.

Deuxième cas, l’architecture FttB, pour «Fiber To The Building» (Configuration FttX), signifie que la fibre optique est installée jusqu’au pied de l’immeuble. Le réseau se termine ensuite chez l’abonné avec un câble Ethernet, ou avec une terminaison en cuivre traditionnelle.
Les configurations FttX présentent l’inconvénient d’offrir des débits bien moins importants que le FttH et variant selon la nature et la longueur du support utilisé (fibre + cuivre ou fibre + Ethernet ou fibre + coaxial). En revanche, elles permettent aux opérateurs de gagner du temps et de réaliser d’importantes économies en réutilisant les réseaux déjà existants.

 

Paul TURENNE


Dix définitions pour mieux comprendre l’univers de la fibre optique

Débit
Il s’agit du flux de données transitant par le web. La fibre optique est capable d’acheminer des débits environ 100 fois plus élevés que le réseau ADSL actuel en cuivre et ce, de façon symétrique. En clair, les flux de données remontants ( de l’utilisateur vers le réseau) sont aussi rapides que les flux descendants (du réseau vers l’utilisateur).

Opérateur d’immeuble
Il est le seul responsable vis-à-vis du syndicat de copropriétaires avec qui il a signé la convention. Interlocuteur privilégié des gestionnaires d’immeubles, il réalise les travaux de raccordement vertical en fibre optique, assure l’exploitation et ouvre son réseau vertical aux opérateurs commerciaux qui souhaitent l’utiliser. Il est donc responsable de l’installation et de la maintenance du réseau dans l’immeuble, depuis le point de mutualisation jusqu’à la prise terminale optique située dans le logement.

Opérateurs commerciaux
Les copropriétaires qui le souhaitent peuvent faire appel à eux s’ils ne souhaitent pas souscrire à l’offre fibre de l’opérateur d’immeuble, sous réserve que ces derniers aient raccordé l’immeuble à leur réseau.

Noeud de Raccordement Optique (NRO)
Il s’agit du local technique où aboutissent les fibres optiques raccordant les immeubles à proximité, d’un même quartier ou d’une même ville.

Point de mutualisation
Ce terme désigne l’équipement installé par l’opérateur d’immeuble auquel les opérateurs commerciaux ayant des abonnés dans l’immeuble peuvent raccorder leur réseau.

Réseau horizontal
Ce terme désigne l’ensemble des équipements et infrastructures de télécommunications d’un opérateur jusqu’au point de mutualisation.

Raccordement vertical
Il s’agit du déploiement de la fibre optique dans la colonne montante de l’immeuble pour raccorder les étages de l’immeuble.

Boîtier d’étage
Il s’agit du coffret de dérivation de fibres optiques installé le long de la colonne montante tous les deux ou trois étages. C’est le point de départ du raccordement de chaque logement.

Prise terminale optique
Cette terminaison spécifique du réseau fibre optique est installée à l’intérieur du logement des abonnées pour connecter le modem à Très Haut Débit.

ARCEP
L’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes est une autorité administrative indépendante chargée notamment de veiller au déploiement optimal des réseaux en fibre optique et à la libre concurrence.


3 questions à Alain Moussarie, conseiller Technologies de l’Information et de la Communication à l’Association des Responsables de Copropriété (ARC)

Dans quel contexte, l’ARC a t-elle été amenée à s’intéresser à la question du fibrage et à se positionner en tant qu’ «expert»?
Notre association s’est impliquée étroitement et depuis quatre ans dans le plan de déploiement de la fibre optique, notamment en signant des conventions avec trois des opérateurs «fibre». Pour rappel, nous avons signé la première avec Orange dès décembre 2007, avant même que l’ARCEP ait finalisé la sienne. Nous avons ainsi pu apporter notre expérience à l’Autorité pour la mise au point de son texte, assurer le traitement de tous les litiges de nos adhérents avec les interlocuteurs appropriés et, tout récemment, alerté le ministre de tutelle des dérives constatées dans le déploiement de ce projet. C’est à ce titre que l’ARC se permet de regarder la situation actuelle avec un œil très critique.

Vous pointez notamment du doigt les retards importants lors des fibrages verticaux…
Si les retards abusifs dans le fibrage horizontal des copropriétés sont effectivement un des problèmes sérieux ayant affecté ce déploiement, ils concernent essentiellement l’opérateur Free envers qui nous avons finalement dénoncé la convention fibre que nous avions signée. Toutefois, même si ces retards sont un des problèmes majeurs affectant ce dossier, ils ne sont pas les seuls et ne doivent pas faire oublier d’autres anomalies.
Ainsi, les problèmes de mutualisation, en dépit des espoirs nés de la préconisation de la multifibre, ne sont toujours pas réglés à ce jour : multifibre non généralisée, toujours pas d’accord de mutualisation entre certains opérateurs comme Orange et Sequalum,Ï43 etc.
D’autre part, des opérateurs, comme Free et SFR ont profité de leurs dernières augmentations tarifaires de février dernier pour instituer des «frais d’accès à la boucle locale optique» sans fondement aucun. Ces frais rendent les abonnements fibres plus onéreux que les abonnements ADSL et constituent un contournement de fait de l’obligation de gratuité des opérations de fibrage.

Que reprochez-vous à cette convention actualisée par l’ARCEP ?
Elle ne tient aucun compte des préconisations que nous avions formulées mais elle néglige encore un peu plus les intérêts et attentes de nos adhérents et, plus généralement, des usagers. A titre d’exemple, nous demandions que soit imposée avant toute signature de convention, sous peine de nullité, la fourniture de la copie du procès verbal de l’A.G. ayant autorisé le fibrage. Ceci afin d’éviter que des conventions fibres ne soient signées sans l’accord des syndicats de copropriété, comme cela est déjà arrivé. Or, cette obligation n’a pas été retenue. Par ailleurs, aucune modalité de résiliation sans décision de justice n’est prévue en cas de non respect du délai indiqué pour le fibrage horizontal. C’est notamment pour ces raisons, qu’en juin dernier, nous avons appelé nos adhérents à boycotter tout texte basé sur l’actuelle convention ARCEP qui leur serait présentée.


En savoir plus : www.unarc.asso.fr


Ce qu’il faut retenir

- Le syndic doit tenir à la disposition de l’opérateur la résolution extraite du procès-verbal de l’assemblée générale de copropriété lui donnant mandat pour réaliser cette mission au nom des copropriétaires.
- La convention-type de l’ARCEP contient les clauses minimales à respecter mais rien n’empêche de «l’améliorer» en y ajoutant des précisions.
- L’opérateur d’immeuble finance seul les travaux de fibrage (le cas échéant, avec les autres opérateurs ayant été associés aux travaux) et il supporte les frais d’entretien de ce réseau dont il a la responsabilité et qui lui appartient.
- Chaque copropriétaire est libre de choisir l’opérateur de son choix dès lors que le point de mutualisation est mis en service et que l’opérateur en question a prévu ou s’est déjà raccordé à l’immeuble.