[N°647] - Surélévation : quand les copropriétés prennent de la hauteur

par Paul TURENNE
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Si la surélévation des immeubles en copropriété n’a rien de nouveau, son intérêt n’en est que plus grand aujourd’hui : limitation des déperditions d’énergie par le toit, emprise au sol minimisée, apports financiers pour les copropriétaires…

Autant d’avantages qui ont poussé le législateur à faciliter les travaux de surélévation. Ces derniers n’en demeurent pas moins des opérations complexes à mettre en œuvre. D’où l’importance de co-construire ce type de projets en étroite concertation avec tous les acteurs pour espérer les voir aboutir… et éviter les mauvaises surprises.

Suivez le guide !

La surélévation présente des avantages pour tous les acteurs, en particulier en zone tendue. De nouveaux logements vont ainsi pouvoir être créés malgré la pression foncière, en limitant l’étalement urbain et à des coûts moindres que pour une opération immobilière classique.
Surélever va, par ailleurs, permettre à la copropriété de dégager des ressources financières qui pourront être bien utiles, voire indispensables dans certains cas, pour réaliser des travaux de rénovation, notamment thermiques. Sachant que si l’opération est bien anticipée, des économies d’échelle peuvent encore faire baisser la facture. Enfin, le patrimoine sera, in fine, incontestablement valorisé.


 

Un cadre législatif et réglementaire bien précis… mais assoupli


Depuis l’ordonnance n° 2013-889 relative au développement de la construction de logement du 3 octobre 2013 et la loi n° 2014-366 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, la construction de nouveaux lots, toits et terrasses se trouve facilitée.

Reste qu’avant d’entamer toute démarche de surélévation, il convient de s’assurer que le projet est rigoureusement conforme aux règles prévues par les prescriptions locales. En particulier, celles figurant dans le plan local d’urbanisme : règles de hauteur, de volume, de gabarit, relatives à l’aspect extérieur, sans compter les caractéristiques architecturales du bâtiment existant.

Pour ce qui concerne les immeubles existants, de nombreuses dérogations aux règles d’urbanisme en vigueur sont prévues. Elles peuvent, par exemple, porter sur les règles définissant le gabarit, fixées par le règlement du PLU, et permettent ainsi de déroger à la hauteur maximale de construction. Toutefois, pour s’appliquer, le projet doit concerner la surélévation d’un bâtiment construit depuis plus de deux ans, respecter les objectifs et orientations du plan d’urbanisme, répondre aux objectifs de créations d’unités de logement et de mixité sociale, mais aussi s’intégrer harmonieusement dans la façade sur la rue et le milieu urbain environnant, proche et lointain.

À noter  
> si le Règlement du plan d’occupation des sols (Pos) n’est pas précis quant aux immeubles visés, qu’ils soient anciens ou neufs, les travaux de surélévation ne méconnaissent pas les dispositions du POS (Conseil d’État, 5e et 4e chambres réunies, 1e juin 2016, n° 387794).



Les points essentiels de la réforme de la loi ALUR concernant la surélévation

L’alinéa 1er de l’article 35 de la loi de 1965 imposait l’unanimité pour décider la surélévation ou la construction de nouveaux bâtiments aux fins de créer des nouveaux locaux à usage privatif. Un copropriétaire défavorable à la surélévation pouvait donc bloquer le vote d’une résolution allant dans ce sens. Une telle décision peut désormais être prise à la majorité de l’article 26, soit à la majorité des membres du syndicat représentant au moins les 2/3 des voix. De ce fait, toute clause du règlement de copropriété exigeant la majorité absolue ou l’unanimité est réputée non-écrite.

Par ailleurs, dès lors que le bâtiment est situé dans un périmètre sur lequel est institué un droit de préemption urbain, l’aliénation de ce droit de surélévation par le syndicat des copropriétaires, relève de la majorité de l’article 25.

Enfin, l’accord des copropriétaires de l’étage supérieur n’est plus requis en cas de surélévation par le syndicat ou par un tiers bénéficiant de la cession du droit de surélévation. Toutefois, les copropriétaires de l’étage supérieur bénéficient d’un droit de priorité sur les nouveaux locaux, créés ou pouvant potentiellement être créés, lors de la vente de nouveaux lots, ou lors de la cession du droit de surélever. Ce droit de priorité est prévu par l’article 35 de la loi du 10 juillet 1965 : «Préalablement à la conclusion de toute vente d’un ou plusieurs lots, le syndic notifie à chaque copropriétaire de l’étage supérieur du bâtiment surélevé l’intention du syndicat de vendre, en indiquant le prix et les conditions de la vente». Cette notification vaut vente pendant deux mois à compter de sa notification.


Redressement des combles ou surélévation ?

La jurisprudence définit la surélévation comme un «exhaussement de la panne faîtière centrale» ou, pour le dire autrement, de la ligne de faîtage du toit. Ainsi, en cas de simple redressement des combles, avec aménagement de ces derniers, la surélévation sera considérée comme «partielle» (Cass. 3e civ., 6 mars 1991, n° 89-18.758) et ces travaux privatifs affectant les parties communes devront être votés à la majorité de l’article 25.

À noter  
> Lorsque la copropriété est composée de plusieurs immeubles, l’article 35 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que le vote de l’assemblée générale s’accompagne d’une «confirmation par une assemblée spéciale des copropriétaires des lots composant le bâtiment à surélever statuant à la majorité [de l’article 26]».
> La loi ALUR a supprimé l’obligation de respecter un coefficient d’occupation des sols (COS) qui conditionnait l’octroi d’un permis de construire. A Paris, cette suppression des règles de densité a ouvert des droits à construire complémentaires sur un nombre important de parcelles parisiennes. Des possibilités de surélévation qui se retrouvent, en particulier, dans les 60 000 parcelles comportant des bâtiments construits avant 1940 et majoritairement constitués de logements. Pas moins de 40 000 nouveaux logements devraient ainsi voir le jour à Paris, si la Ville atteint son objectif de surélever 12 % des immeubles, avec un à cinq niveaux supplémentaires selon les cas. Soit plus de 11 000 immeubles au total.


 

Comment céder son droit à surélever ?

 

La surélévation présente de véritables opportunités pour les copropriétés désirant financer les travaux de réhabilitation et d’amélioration de leur bâtiment, notamment celles en difficulté. Elles peuvent ainsi trouver des ressources en cédant leurs droits à surélever à un maître d’ouvrage, généralement un promoteur immobilier. Ce dernier pourra ainsi vendre les lots à créer sous le régime de la vente en l’état futur d’achèvement. Pour ce faire, le bénéficiaire du droit de surélévation sera ainsi chargé de créer de nouveaux volumes à construire, modifier le règlement de copropriété, demander un permis de construire, et effectuer l’ensemble des études techniques.

L’opération offre l’avantage de réduire significativement les coûts financiers pour la copropriété. Elle n’aura ainsi pas à supporter le lourd financement des travaux et percevra l’argent de la cession du droit à construire, une fois le permis de construire devenu définitif (cf. ci-dessous). Autre atout : la responsabilité juridique reposera sur le tiers effectuant les travaux, a priori, un professionnel rompu, contrairement à un syndicat des copropriétaires dont ce n’est pas le rôle.

Les règles classiques du droit de la construction s’appliqueront ainsi, sans que cela ne dégage le syndic de sa responsabilité, dans l’hypothèse où il manquerait à son devoir de conseil. Par exemple, si ce dernier omet de vérifier que l’entreprise chargée de la surélévation de l’immeuble a effectivement souscrit les assurances nécessaires pour garantir la bonne fin des travaux dans l’intérêt du syndicat (Cass. 3e civ., 11 mars 2014, n° 13-10.875).


Une procédure à bien respecter

Après avoir décidé de céder son droit de surélever, le syndicat doit toutefois suivre une procédure bien précise. Ainsi, après une phase d’étude préalable, deux assemblées générales au moins sont nécessaires.

La première assemblée va acter la décision d’entrer en pourparlers sur la cession du droit de surélever, l’évaluation et les modalités de versement du prix, ainsi que l’engagement sur une étude de faisabilité technique réalisée par un bureau d’études. Ce vote se fera à la majorité de l’article 26 ou 25 si l’immeuble se situe dans un périmètre de droit de préemption urbain. Le promoteur sera alors en mesure de lancer les études techniques et de préparer avec le notaire et le géomètre-expert et les documents modificatifs nécessaires pour la cession.

Lors de la seconde assemblée, les copropriétaires vont voter, toujours à la même majorité, la partie technique : le descriptif des travaux, les plans d’architecte ou bien encore l’étude structure. Il s’agira également d’approuver l’acte de cession et les modifications consécutives à l’état descriptif de division et au règlement de copropriété. Le promoteur déposera alors le permis après cette seconde assemblée.

Attention, cependant ! Ce n’est qu’une fois le permis de construire obtenu et purgé de tout recours, et les décisions de l’assemblée générale devenues définitives, que pourront intervenir l’acte de cession, le versement du prix et le commencement des travaux en tant que tels.

Pourquoi un architecte ?

Le recours à un architecte s’avère indispensable afin que, lors de la demande de permis, le maître d’ouvrage puisse se conformer aux prescriptions réglementaires édictées par le Code de la construction et de l’habitation. Le projet de surélévation devra, notamment respecter les modalités de jouissance des copropriétaires ou la destination de l’immeuble, avec éventuellement le versement d’une indemnité compensatrice.

Outre les contraintes techniques  notamment concernant la structure portante, les accès par escalier voire par ascenseur, le raccordement et la desserte des réseaux, il faudra également tenir compte des incidences de la surélévation à l’égard des tiers dans le voisinage.

Par ailleurs, la réalisation d’une vue en perspective de la surélévation projetée sera clairement un plus pour que le syndicat puisse visualiser son impact sur l’immeuble et soit plus enclin à voter le projet - que l’architecte aura pris soin d’intégrer au mieux dans l’environnement urbain.

À noter  
> Un architecte des bâtiments de France devra impérativement être consulté dans les zones denses intégrées :
- en zone de protection du patrimoine architectural urbanistique et paysager (ZPPAUP) ;
- en zone de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP) ;
- dans un périmètre de protection des immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques.

> les logements créés en rehaussement sur le toit sont soumis aux règles applicables aux constructions neuves (respect de la réglementation thermique, sécurité incendie, accessibilité…). En revanche, pour les copropriétaires du dernier étage ayant un projet de création de duplex en surélévation, les règles qui s’appliqueront seront celles de la réhabilitation, moins contraignantes.

Le dossier technique constitué permettra au maître d’œuvre de se prononcer sur la faisabilité technique et de chiffrer les coûts de construction au vu des propositions des entreprises et de l’avis de l’architecte. Attention à bien intégrer tous les coûts complémentaires pour le chiffrage total du projet de surélévation : assurance (pour la période du chantier, puis pendant la garantie décennale), charge foncière en cas d’achat des droits à construire, TVA immobilière, honoraires de l’architecte maître d’œuvre, coûts de géomètre qui va effectuer des relevés puis élaborer un volume fictif affecté de tantièmes de copropriété correspondant au volume à créer puis à céder, frais de notaire, fris d’un huissier de justice pour constater l’affichage du permis de construire et l’état de l’existant avant travaux, taxes d’urbanisme, mais aussi frais de copropriété pour la tenue d’assemblées générales spécifiques.


Recours : un risque à ne pas négliger

Cinq fois moins dense que le béton, le bois est un matériau couramment employé dans les projets de surélévation pour respecter les contraintes de charge. S’agissant d’une construction sèche n’employant ni ciment ni eau, les risques de nuisances sont donc moindres. Pour autant, les travaux couplés à un ravalement peuvent être sources de désordre, que ce soit sur l’immeuble concerné ou un bâtiment voisin. D’où l’intérêt de bien anticiper pour éviter des recours juridiques, le plus souvent initiés par des copropriétaires occupant le dernier étage n’envisageant pas d’acheter les mètres carrés construits, ou bien des occupants de l’immeuble voisin.

Le recours à un référé préventif peut être un bon moyen de se prémunir des demandes intempestives d’arrêts de travaux, susceptibles de les retarder, voire d’obérer leur finalisation. Nombre de promoteurs choisissent ainsi cette procédure qui consiste à demander au tribunal de grande instance la désignation d’un expert chargé de dresser un état des lieux avant travaux, y compris au regard des bâtiments contigus. Ce dernier devra suivre en direct le chantier et proposer des solutions pour éviter tout préjudice ou le réparer.

À noter  
>  Une action menée par un occupant d’un immeuble voisin pour perte d’ensoleillement ou de vue consécutives au rehaussement de l’immeuble aura très peu de chance d’aboutir en zone de densification urbaine.


Un exemple de surélévation réussi avec des modules bois
À Poissy, l’entreprise Sicra a réalisé, en 2016 et 2017, la surélévation d’un immeuble occupé du bailleur social Vilogia grâce à des modules bois. 33 maisons (avec des logements T3 et T4) ont ainsi été déposées via une grue sur les toits de cet ensemble immobilier composé de 180 appartements construits en 1957. De quoi casser positivement l’image de cet ensemble collectif aux lignes assez dures.
Ces maisons modulaires, construites avec une charpente et un bardage certifiés, sont conformes à la RT 2012 avec une consommation en énergie primaire estimée à 70 kw par m²/an.
L’utilisation de tels modules a permis une installation rapide en milieu occupé, la construction ayant lieu dans un atelier pendant que le toit était préparé pour recevoir la surélévation. L’installation de ces maisons a en effet nécessité une importante phase d’études techniques et financières en amont du chantier.
Les travaux ont également intégré une isolation, un traitement et un embellissement des façades, ainsi qu’une réfection complète des parties communes. Les adaptations du bâti existant, notamment sur la structure des toits, ont également nécessité la création d’escaliers et d’ascenseurs, ainsi qu’une modification des réseaux de fluides pour permettre d’alimenter les nouveaux pavillons. Le tout pour un marché total de 9,62 millions d’euros HT.

 


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