par Guilhem GIL
Affichages : 29016

Index de l'article

I - Les parties communes : un lieu privé par nature

La détermination de la nature d’un lieu dans le régime de la loi sur la liberté de la presse obéit à une classification tripartite établie de longue date. Il existe tout d’abord des lieux publics par nature, c’est-à-dire tous ceux qui sont accessibles à toute personne sans condition et à tout moment, tels que les rues, les places ou les routes. Pour ces lieux, la jurisprudence considère que «la publicité résulte de plein droit de ce que les propos sont tenus à haute voix.»7 Viennent ensuite les lieux publics par destination, qui correspondent à des lieux dont l’accès est réservé à certaines personnes et sous certaines conditions (notamment d’horaires ou de paiement d’un droit d’entrée) tels que les débits de boissons, les restaurants, les théâtres et cinémas ou les bâtiments publics dont l’accès est règlementé. S’agissant de cette catégorie, le propos sera qualifié de public s’il a été proféré «à un moment où ce lieu était réellement ouvert au public.»8 Enfin, se trouvent les lieux privés auxquels l’accès est réservé par principe à leurs occupants ayant seuls la faculté d’autoriser des tiers à y pénétrer.9 Par principe, des propos tenus dans des lieux privés ne sauraient constituer des injures publiques.10

Il ne fait guère de doute que les parties communes d’un immeuble soumis au statut de la copropriété appartiennent à cette dernière catégorie et revêtent la nature d’un lieu privé. La loi du 10 juillet 1965 le reconnaît implicitement mais nécessairement en prévoyant la faculté pour l’assemblée générale de déterminer les modalités de fermeture de l’immeuble dans les conditions de l’article 26. Ce pouvoir des copropriétaires quant à l’accès à leur propriété qui, pour être commune, n’est pas pour autant publique, vaut aussi bien à l’égard des personnes privées que des représentants de l’Etat. En témoignent les dispositions de l’article 25 i) de la loi du 10 juillet 1965 permettant à l’assemblée d’accorder à la police ou à la gendarmerie l’autorisation permanente «de pénétrer dans les parties communes.»11

Cette nature de lieu privé a d’ailleurs été reconnue par la Chambre criminelle dans une précédente décision où était en cause l’application de l’article 706-96 du Code de procédure pénale.12 Ce texte prévoit en substance que le juge d’instruction peut autoriser les agents et officiers de police judiciaire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, de capter et d’enregistrer l’image de personnes se trouvant dans un lieu privé. Dans cette espèce, les enquêteurs avaient mis en place une caméra dans le parking souterrain d’un immeuble en copropriété avec le seul accord du syndic. Cette démarche avait été validée par les juges du fond qui avaient notamment souligné que le dispositif policier avait été installé dans les parties communes de l’immeuble et non dans les parties privatives. Cette décision fut censurée par la Chambre criminelle qui prit soin de souligner que, les parties communes d’un immeuble en copropriété constituant un lieu privé, les opérations de captation et de fixation ne répondaient pas aux exigences légales et que l’autorisation du syndic ne pouvait remplacer celle, requise par la loi, du juge d’instruction.

Les décisions rendues en application du droit spécial issu de la loi sur la presse ne dérogent pas à la solution du droit pénal commun. Il a ainsi été jugé que ne répondaient pas aux exigences de l’article 23 de la loi de 1881, les propos litigieux tenus par un copropriétaire à l’encontre du président du conseil syndical et affichés dans les halls des immeubles où habitent les copropriétaires concernés dès lors que ces halls, parties communes, constituaient des lieux privés non accessibles à tout venant sans contrôle d’aucune sorte.13 De même, en matière d’injure à caractère racial, une décision a considéré que le couloir et les parties communes d’un immeuble d’habitation constituent des lieux privés par nature et par destination.14 La décision apporte cependant, conformément à une jurisprudence fermement établie, une réserve à ce principe en soulignant que les parties communes peuvent être occasionnellement reconnues comme des lieux publics en raison de circonstances particulières relevées par le juge.15

7- M. Véron, Droit pénal spécial, Armand Colin, 8e éd., p. 125.
8- A. Chavannes, Rép. Civ. Dalloz,  v° Diffamation, n° 176 et les références citées.
9- Sur la notion de lieu privé au sens de l’article 226-1 Code pénal, v. CA Aix-en-Pce., 9 janv. 2006 : JCP G 2007, IV, 1499 définissant ce lieu comme «l’endroit qui n’est ouvert à personne, sauf autorisation de celui qui l’occupe de manière permanente ou temporaire.»
10- P. Auvret, J.-Cl. Communication, fasc. 3140, Injure, n° 111.
11- Ce texte est la transposition dans le statut de la copropriété des dispositions générales de l’article L. 126-1 CCH qui dispose que «les propriétaires ou exploitants d’immeubles à usage d’habitation ou leurs représentants peuvent accorder à la police et à la gendarmerie nationale, ainsi le cas échéant, qu’à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes de ces immeubles.»
12- Cass. crim., 27 mai 2009, n° 09-82115 : AJDI 2010, p. 228, obs. G. Roujou de Boubée ; Gaz. Pal., 2009, n° 286, p. 8, note L. Belfanti ; Procédures 2009, comm. n° 284, obs. J. Buisson ; RSC 2009, p. 899, obs. J. Buisson.
13- CA Paris, 11ech., B, 22 fév. 1986 : Juris-Data n° 1986-022121.
14- CA Toulouse, 4 janv. 2011 : Juris-Data n° 2011-003600.
15- Cass. crim., 23 juill. 1941 : DC 1942, p. 11 (affirmant que si le couloir d’un immeuble est un lieu privé par sa nature et sa destination, il peut être considéré comme devenu momentanément et accidentellement un lieu public en raison de circonstances particulières relevées par le juge)
.