[N°633] - Le processus judiciaire pour troubles de voisinage - 2.- Comment agir ?

par Colette CHAZELLE, Avocat au barreau de Lyon
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2.- Comment agir ?


A.- Quelles preuves ?

La conservation des preuves est incontournable, le demandeur ayant la charge de la preuve :

- Le constat d’huissier de justice est un outil probatoire performant. Etabli par un officier ministériel, il fait foi jusqu’à inscription de faux pour les mentions de l’acte énoncées par l’huissier de justice (date et diligences accomplies), mais jusqu’à preuve du contraire pour le contenu du constat.
Sa rédaction doit être pertinente et caractériser les troubles et leur origine ; il est le plus souvent accompagné de photographies qui permettent de montrer au juge la configuration des lieux et de donner ainsi un aspect plus concret au dossier.

- Les attestations en justice recueillies, conformément aux prescriptions de l’article 202 du Code de procédure civile, permettront d’étayer le dossier, si celles-ci sont rédigées clairement et relatent des faits directement constatés.

Il peut paraître curieux de faire attester les copropriétaires puisque ceux-ci sont finalement les premières victimes des troubles allégués, d’où l’intérêt de recueillir plusieurs témoignages et de ne pas se contenter de cet élément de preuve.

- Le rapport d’expertise «privé» établi par un expert inscrit auprès de la cour d’appel aura également un poids certain, bien qu’il ne revête aucun caractère contradictoire puisqu’il n’est pas établi en présence des personnes auteurs du trouble.

- Les photographies ou enregistrements privés ont une valeur relative, mais ils ont parfois une certaine pertinence pour démontrer la persistance des troubles.

- Les courriers échangés, les mises en demeure sont des éléments complémentaires non négligeables afin de démontrer l’accomplissement de démarches amiables avant tout procès, l’article 56 du Code de procédure civile imposant que «sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation précise les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige».

- Le rapport établi par un agent assermenté, par le maire de la commune, constatant les infractions aux diverses règlementations, est enfin un atout important.

Il dispose de matériels de mesure qui établissent le non-respect des différentes normes, en matière de nuisances sonores notamment, à l’aide de sonomètres.

L’agent assermenté procède à des mesures non contradictoires qui assurent ainsi l’effet de surprise, souvent bien utile.

La saisine de ces services permet d’aboutir à un rapport technique précis qui peut éviter le recours à l’expertise judiciaire, le juge ayant alors un document officiel et non contestable.

La procédure administrative, voire pénale en cas d’infractions, qu’elle engendre se poursuit alors parallèlement à l’exercice de l’action civile et aboutit à des fermetures administratives dans le cas des commerces générateurs de troubles.


B.- Quelles actions ?

- L’expertise judiciaire est parfois le préalable indispensable à toute action, lorsque les nuisances sont contestées ou difficiles à établir.

Le demandeur fondera son action sur l’article 145 du Code de procédure civile, en démontrant qu’il a un motif légitime, avant tout procès, à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Il fera nécessairement l’avance des frais d’expertise, lesquels peuvent être parfois coûteux si des mesures techniques sont réalisées.

La mesure d’instruction par un expert désigné par le tribunal permet d’établir contradictoirement la véracité des troubles allégués et de décrire les moyens propres à y remédier, tout en soumettant à l’appréciation de l’expert l’étendue d’éventuels préjudices.

- L’action en référé permet de solliciter la cessation des troubles, soit par la demande d’arrêt de l’activité génératrice de troubles, soit par son encadrement, le plus généralement par la demande d’horaires à respecter ou de mesures à réaliser, le tout sous astreinte.

Fondée éventuellement en cas d’urgence sur l’article 808 du Code de procédure civile, elle sera le plus souvent exercée sur la base de l’article 809 du Code de procédure civile, en faisant la démonstration d’un trouble manifestement illicite : le non-respect des clauses du règlement de copropriété et des lois et règlements en matière de nuisances.

Les actions peuvent être dirigées contre le copropriétaire, le locataire, l’occupant, auteur de troubles.

- L’action au fond restera la seule voie si l’on argue d’un trouble de voisinage engageant la responsabilité délictuelle de son auteur.

De même, lorsque le syndicat agit contre un locataire, auteur des troubles, il dispose de l’action oblique pour obtenir la résiliation du bail et l’expulsion du locataire, sur le fondement de l’article 1341-1 du Code civil, à charge pour lui de démontrer que le copropriétaire-bailleur est resté inactif à l’égard de son locataire et que le trouble a persisté jusqu’au moment où le juge statue.

Le juge examine alors si l’activité prévue au bail est conforme aux dispositions du règlement de copropriété et si elle génère des nuisances.11

Une situation d’urgence permet le cas échéant d’envisager la procédure d’assignation à jour fixe : sur requête présentée au président du tribunal, il peut être donné autorisation d’assigner à bref délai et au fond, mais cette voie reste exceptionnelle.

L’action au fond impose que le syndicat des copropriétaires ait voté une résolution, en assemblée générale, aux fins d’autoriser le syndic à agir, en application de l’article 55 du décret du 17 mars 1967.

Si un accord est possible en cours d’instance, les parties peuvent toujours signer un protocole transactionnel sous seing privé, de préférence sous la forme de l’acte d’avocat (contreseing de l’avocat) tel que réglementé par la loi du 28 mars 2011.

- La médiation est une voie préalable, ou parallèle, à l’action judiciaire.

La saisine d’un conciliateur de justice ou d’un médiateur peut permettre d’aboutir à la résolution du litige de façon parfois plus rapide et moins coûteuse, bien que la médiation ne soit pas gratuite, son coût étant fixé par le juge qui l’ordonne.

La mesure de médiation a une durée initiale de trois mois qui peut être renouvelée.

En cas d’accord, le juge peut homologuer cet accord, ce qui présente un intérêt important puisque le jugement aura l’autorité de la chose jugée.

- L’action pénale, en cas d’infraction constatée à une règlementation spécifique, est déclenchée par le procureur de la République, à la suite du dépôt d’une plainte ou d’une saisine par les services du préfet ou du maire de la commune. La victime, syndicat des copropriétaires ou copropriétaire, locataire, occupant doivent alors se constituer partie civile pour obtenir des dommages et intérêts, mais ils ne peuvent en aucun cas réclamer le prononcé d’une mesure coercitive, cette demande relevant du Parquet dans ses réquisitions.

Le choix des actions à exercer sera stratégique.

La longueur actuelle des procédures judiciaires est un facteur important de l’équation à résoudre : la persistance des troubles pendant le cours de l’instance judiciaire n’encourage pas la saisine de la Justice et tend à favoriser la médiation, laquelle nécessite cependant d’avoir à faire à des protagonistes animés d’un peu de bonne foi, ou tout au contraire, de favoriser des procédures plus rapides et plus abruptes, si les conditions d’une action en référé sont réunies.

Le choix du «tout-médiation» n’est donc sans doute pas idéal ; les professionnels se doivent d’avoir une approche fine de chaque dossier et finalement prodiguer des conseils assez intuitivement.



1. E. Kischinewsky-Broquisse La copropriété des immeubles bâtis - Litec 4ème éd. n° 99, p. 101.
2. Cass. 3ème civ., 31 avr. 2017, n° 15-24.031, Ann. Loyers, juin 2017, p. 69.
3. Cass. 2ème civ., 17 mars 2005, n° 04-11.279 ; Cass. 3ème civ., 23 avr. 2013 n° 12-16.648.
4. «Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.»
5. Cass. 3ème civ., 23 janv. 1991, n° 89-16.163.
6. Cass. 3ème civ., 29 fév. 2012 n° 10-28.618.
7. CA Paris, pôle 4, ch. 2, 16 janv. 2013 n° 10-23.356, Inf. Rap. Copr., n° 596, MF. Ritschy.
8. CA Lyon 1ère ch., sect. B, 23 mai 2017, n° 15-08.299, Ann. Loyers, juil-août 2017, p. 67.
9. Guide de la copropriété des Immeubles bâtis, C. Atias et J.-M. Roux, Editions Edilaix.
10. Cass. 3ème civ., 26 nov. 2013, Inf. Rap. Copr, n° 600, MF. Ritschy.
11. Cass. 3ème civ., 11 mai 2017, publié, n° 16-14.339.
12. Article R. 571-26 du Code de l’environnement.
13. Cass. 3ème civ., 2 juil. 2013, n° 11-26363.