«Le voisin est un animal nuisible assez proche de l’homme.» Pierre DESPROGES
La copropriété implique la vie en collectivité avec ses inconvénients et le sujet des nuisances est aussi récurrent qu’épineux : «la copropriété offre l’image d’une promiscuité exacerbée de voisinage1».
Le seuil de tolérance des nuisances est fréquemment à géométrie variable et la gestion des contentieux, que l’on ne peut réduire à des «conflits de personnes», la tranquillité des occupants étant une composante du contrat social de l’immeuble, s’avère délicate.
Le syndic a comme première mission «d’assurer l’exécution des dispositions de règlements de copropriété et des délibérations de l’assemblée générale» aux termes de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965, mais il n’est pour autant pas investi de pouvoirs de police.
Il est le premier interlocuteur auquel les copropriétaires plaignants s’adressent pour déclencher les actions adéquates au nom du syndicat, mais tout copropriétaire peut également exercer les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot selon les dispositions de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965.
Faisons le tour de ces actions et interrogeons-nous sur les preuves à réunir.
1.- Quels fondements ?
L’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 pose le principe de la liberté d’usage du lot tout en faisant la restriction évidente «de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l’immeuble».
Le règlement de copropriété, par sa nature contractuelle, impose le plus souvent des clauses limitant cet usage.
D’autres mécanismes viennent compléter les limites du règlement.
A.- Les clauses du règlement de copropriété
Les règlements de copropriété contiennent généralement des clauses fixant les activités autorisées au sein de l’immeuble ou de l’ensemble immobilier.
La démonstration de la violation de ces clauses permet d’obtenir l’arrêt de l’activité interdite2.
Les clauses des règlements de copropriété prévoient le plus souvent aussi l’interdiction d’activités ou de comportements pouvant créer des nuisances olfactives, sonores, visuelles, des atteintes à l’hygiène, des atteintes à la structure de l’immeuble, la présence d’animaux bruyants…
L’action visant à empêcher le défaut de respect des clauses nécessite de réunir préalablement les preuves des manquements relevés, pour ensuite solliciter leur cessation, ou leur encadrement, le plus souvent sous astreinte, voire d’éventuelles remises à l’état initial.
Toutes ces clauses participent de la destination de l’immeuble, et leur méconnaissance engage la responsabilité de son auteur si elle cause un préjudice, qu’il soit copropriétaire, locataire ou occupant au sens large.
B.- Les troubles de voisinage
Le régime de la responsabilité délictuelle pour troubles anormaux de voisinage s’applique en copropriété : «le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage s’applique à tous les occupants d’un immeuble en copropriété quel que soit le titre de leur occupation»3.
Le copropriétaire, le locataire ou occupant qui cause un préjudice en utilisant abusivement les parties privatives du lot, en doit réparation.
Dans ce cas, la règle de la “pré-occupation” excluant le droit à réparation, édictée par l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation4, n’est pas appliquée.5
L’article 1240 du Code civil sera ainsi le fondement de l’action et permettra d’obtenir non seulement une indemnisation du préjudice subi, mais la cessation ou l’encadrement d’activités nuisibles et constituant un trouble anormal de voisinage, nonobstant la clause du règlement de copropriété autorisant ladite activité, et ce d’autant plus que le règlement de copropriété comporte une clause de tranquillité.6
La clause du règlement de copropriété qui permet l’activité source de nuisances n’est ainsi pas exonératoire de responsabilité et, dans la pratique judiciaire, «les juges mêlent volontiers la responsabilité délictuelle pour inconvénients normaux de voisinage et les infractions aux clauses particulières du règlement conventionnel de copropriété, qui sont fréquentes en la matière7» ; ils constatent que la violation de telle ou telle clause du règlement de copropriété entraîne des troubles anormaux de voisinage.
L’action est alors soumise à la prescription décennale de l’article 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965 mais elle ne court qu’à compter du jour où la nuisance a été perçue8 : «tant que les troubles persistent, l’action en indemnisation ne peut se prescrire».
Les troubles sanctionnés sont de tous ordres : olfactifs, sonores, visuels, trépidations …
La Cour de cassation a récemment rendu un arrêt pour admettre l’action du syndicat des copropriétaires sur ce fondement pour des infiltrations occasionnant la création de stalactites de calcite et des dépôts de rouille au droit des descentes d’eaux pluviales et provoquant la désagrégation du béton9.
C.- La règlementation spécifique
Les nombreuses réglementations permettent également de fonder les actions judiciaires ayant pour but de mettre fin aux nuisances :
- Les nuisances olfactives font l’objet de textes spécifiques, et notamment :
> L’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif édictée par l’article L. 3511-17 du Code de la santé publique s’applique aux parties communes d’un immeuble au statut de la copropriété ;
> L’extraction des fumées, pour les commerces et restaurants, est notamment régie par le règlement de sécurité contre l’incendie et de panique dans les établissements recevant du public, tel que prévu par l’arrêté du 25 juin 1980 et l’arrêté du 10 octobre 2005, ou les règlements sanitaires départementaux qui contiennent des règles spécifiques précieuses pour l’action,
L’article L. 514-4 du Code de l’environnement permet à l’autorité compétente de prendre les mesures nécessaires pour faire disparaître les dangers ou les inconvénients dûment constatés.
- Les nuisances sonores sont également réglementées :
> Les articles R. 1334-30 à 1334-37 du Code de la santé publique s’appliquent à tous les bruits de voisinage.
«Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité.
> «Les bruits générés par les activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés dans les lieux ouverts au public ou recevant du public ne peuvent par leur durée, leur répétition ou leur intensité porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage.
En outre, les émissions sonores des activités visées à l’article R. 571-25 qui s’exercent dans un lieu clos n’engendrent pas dans les locaux à usage d’habitation ou destinés à un usage impliquant la présence prolongée de personnes, un dépassement des valeurs limites de l’émergence spectrale de 3 décibels dans les octaves normalisées de 125 hertz à 4 000 hertz ainsi qu’un dépassement de l’émergence globale de 3 décibels pondérés A10.»
La mise en œuvre de ces textes peut se faire au travers de différentes actions, lesquelles nécessitent d’avoir préalablement réuni les preuves des nuisances.
2.- Comment agir ?
A.- Quelles preuves ?
La conservation des preuves est incontournable, le demandeur ayant la charge de la preuve :
- Le constat d’huissier de justice est un outil probatoire performant. Etabli par un officier ministériel, il fait foi jusqu’à inscription de faux pour les mentions de l’acte énoncées par l’huissier de justice (date et diligences accomplies), mais jusqu’à preuve du contraire pour le contenu du constat.
Sa rédaction doit être pertinente et caractériser les troubles et leur origine ; il est le plus souvent accompagné de photographies qui permettent de montrer au juge la configuration des lieux et de donner ainsi un aspect plus concret au dossier.
- Les attestations en justice recueillies, conformément aux prescriptions de l’article 202 du Code de procédure civile, permettront d’étayer le dossier, si celles-ci sont rédigées clairement et relatent des faits directement constatés.
Il peut paraître curieux de faire attester les copropriétaires puisque ceux-ci sont finalement les premières victimes des troubles allégués, d’où l’intérêt de recueillir plusieurs témoignages et de ne pas se contenter de cet élément de preuve.
- Le rapport d’expertise «privé» établi par un expert inscrit auprès de la cour d’appel aura également un poids certain, bien qu’il ne revête aucun caractère contradictoire puisqu’il n’est pas établi en présence des personnes auteurs du trouble.
- Les photographies ou enregistrements privés ont une valeur relative, mais ils ont parfois une certaine pertinence pour démontrer la persistance des troubles.
- Les courriers échangés, les mises en demeure sont des éléments complémentaires non négligeables afin de démontrer l’accomplissement de démarches amiables avant tout procès, l’article 56 du Code de procédure civile imposant que «sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation précise les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige».
- Le rapport établi par un agent assermenté, par le maire de la commune, constatant les infractions aux diverses règlementations, est enfin un atout important.
Il dispose de matériels de mesure qui établissent le non-respect des différentes normes, en matière de nuisances sonores notamment, à l’aide de sonomètres.
L’agent assermenté procède à des mesures non contradictoires qui assurent ainsi l’effet de surprise, souvent bien utile.
La saisine de ces services permet d’aboutir à un rapport technique précis qui peut éviter le recours à l’expertise judiciaire, le juge ayant alors un document officiel et non contestable.
La procédure administrative, voire pénale en cas d’infractions, qu’elle engendre se poursuit alors parallèlement à l’exercice de l’action civile et aboutit à des fermetures administratives dans le cas des commerces générateurs de troubles.
B.- Quelles actions ?
- L’expertise judiciaire est parfois le préalable indispensable à toute action, lorsque les nuisances sont contestées ou difficiles à établir.
Le demandeur fondera son action sur l’article 145 du Code de procédure civile, en démontrant qu’il a un motif légitime, avant tout procès, à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
Il fera nécessairement l’avance des frais d’expertise, lesquels peuvent être parfois coûteux si des mesures techniques sont réalisées.
La mesure d’instruction par un expert désigné par le tribunal permet d’établir contradictoirement la véracité des troubles allégués et de décrire les moyens propres à y remédier, tout en soumettant à l’appréciation de l’expert l’étendue d’éventuels préjudices.
- L’action en référé permet de solliciter la cessation des troubles, soit par la demande d’arrêt de l’activité génératrice de troubles, soit par son encadrement, le plus généralement par la demande d’horaires à respecter ou de mesures à réaliser, le tout sous astreinte.
Fondée éventuellement en cas d’urgence sur l’article 808 du Code de procédure civile, elle sera le plus souvent exercée sur la base de l’article 809 du Code de procédure civile, en faisant la démonstration d’un trouble manifestement illicite : le non-respect des clauses du règlement de copropriété et des lois et règlements en matière de nuisances.
Les actions peuvent être dirigées contre le copropriétaire, le locataire, l’occupant, auteur de troubles.
- L’action au fond restera la seule voie si l’on argue d’un trouble de voisinage engageant la responsabilité délictuelle de son auteur.
De même, lorsque le syndicat agit contre un locataire, auteur des troubles, il dispose de l’action oblique pour obtenir la résiliation du bail et l’expulsion du locataire, sur le fondement de l’article 1341-1 du Code civil, à charge pour lui de démontrer que le copropriétaire-bailleur est resté inactif à l’égard de son locataire et que le trouble a persisté jusqu’au moment où le juge statue.
Le juge examine alors si l’activité prévue au bail est conforme aux dispositions du règlement de copropriété et si elle génère des nuisances.11
Une situation d’urgence permet le cas échéant d’envisager la procédure d’assignation à jour fixe : sur requête présentée au président du tribunal, il peut être donné autorisation d’assigner à bref délai et au fond, mais cette voie reste exceptionnelle.
L’action au fond impose que le syndicat des copropriétaires ait voté une résolution, en assemblée générale, aux fins d’autoriser le syndic à agir, en application de l’article 55 du décret du 17 mars 1967.
Si un accord est possible en cours d’instance, les parties peuvent toujours signer un protocole transactionnel sous seing privé, de préférence sous la forme de l’acte d’avocat (contreseing de l’avocat) tel que réglementé par la loi du 28 mars 2011.
- La médiation est une voie préalable, ou parallèle, à l’action judiciaire.
La saisine d’un conciliateur de justice ou d’un médiateur peut permettre d’aboutir à la résolution du litige de façon parfois plus rapide et moins coûteuse, bien que la médiation ne soit pas gratuite, son coût étant fixé par le juge qui l’ordonne.
La mesure de médiation a une durée initiale de trois mois qui peut être renouvelée.
En cas d’accord, le juge peut homologuer cet accord, ce qui présente un intérêt important puisque le jugement aura l’autorité de la chose jugée.
- L’action pénale, en cas d’infraction constatée à une règlementation spécifique, est déclenchée par le procureur de la République, à la suite du dépôt d’une plainte ou d’une saisine par les services du préfet ou du maire de la commune. La victime, syndicat des copropriétaires ou copropriétaire, locataire, occupant doivent alors se constituer partie civile pour obtenir des dommages et intérêts, mais ils ne peuvent en aucun cas réclamer le prononcé d’une mesure coercitive, cette demande relevant du Parquet dans ses réquisitions.
Le choix des actions à exercer sera stratégique.
La longueur actuelle des procédures judiciaires est un facteur important de l’équation à résoudre : la persistance des troubles pendant le cours de l’instance judiciaire n’encourage pas la saisine de la Justice et tend à favoriser la médiation, laquelle nécessite cependant d’avoir à faire à des protagonistes animés d’un peu de bonne foi, ou tout au contraire, de favoriser des procédures plus rapides et plus abruptes, si les conditions d’une action en référé sont réunies.
Le choix du «tout-médiation» n’est donc sans doute pas idéal ; les professionnels se doivent d’avoir une approche fine de chaque dossier et finalement prodiguer des conseils assez intuitivement.
1. E. Kischinewsky-Broquisse La copropriété des immeubles bâtis - Litec 4ème éd. n° 99, p. 101.
2. Cass. 3ème civ., 31 avr. 2017, n° 15-24.031, Ann. Loyers, juin 2017, p. 69.
3. Cass. 2ème civ., 17 mars 2005, n° 04-11.279 ; Cass. 3ème civ., 23 avr. 2013 n° 12-16.648.
4. «Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.»
5. Cass. 3ème civ., 23 janv. 1991, n° 89-16.163.
6. Cass. 3ème civ., 29 fév. 2012 n° 10-28.618.
7. CA Paris, pôle 4, ch. 2, 16 janv. 2013 n° 10-23.356, Inf. Rap. Copr., n° 596, MF. Ritschy.
8. CA Lyon 1ère ch., sect. B, 23 mai 2017, n° 15-08.299, Ann. Loyers, juil-août 2017, p. 67.
9. Guide de la copropriété des Immeubles bâtis, C. Atias et J.-M. Roux, Editions Edilaix.
10. Cass. 3ème civ., 26 nov. 2013, Inf. Rap. Copr, n° 600, MF. Ritschy.
11. Cass. 3ème civ., 11 mai 2017, publié, n° 16-14.339.
12. Article R. 571-26 du Code de l’environnement.
13. Cass. 3ème civ., 2 juil. 2013, n° 11-26363.