[N°630] - La copropriété sans le sol - I.- Première piste : qu’est-ce que le sol ?

par Lætitia TRANCHANT, Professeur à Aix-Marseille Université
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I.- Première piste : qu’est-ce que le sol ?

La terminologie provient du latin «solum» : le fond, le fondement, la base, et par extension, la terre, le terrain, la surface inférieure d’un bâtiment ou même d’un objet.
Planiol, dans un ouvrage intitulé «La très ancienne coutume de Bretagne»1, fait référence au «soul» haut breton, pour signifier la surface terrestre, et cela traduit bien les différentes définitions que le Littré ou les autres dictionnaires donnent du sol : une surface sur laquelle se posent et se déplacent les corps terrestres. Corps terrestre comprenant, semble-t-il, les immeubles, construits par une autre catégorie de corps, ceux qui se déplacent. Le sol, c’est la couche supérieure de la terre, sa «croûte» donc une approche physique.


Existe-t-il une traduction du sol propre à la matière juridique ?

A noter que le vocabulaire juridique Cornu ne compte pas le «sol» au titre de ses mots définis, sans que cela signifie pour autant que la réponse soit négative. Le sol est, pour les auteurs, associé à l’adage superficies solo cedit, lequel s’est traduit par la coutume à travers la maxime «à quiconque appartient le sol, c’est-à-dire l’étage du rez de chaussée, appartient le dessus et le dessous du sol»2 ; principe repris par l’article 552, alinéa 1er, du Code civil : «La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous». C’est la règle de l’accession qui se manifeste. Bien entendu, on reconnaît derrière ce mécanisme d’attraction retenu par le Code civil la règle accessorium sequitur principale : l’accessoire suit le principal.
En agriculture, on retrouve une définition du «sol inerte» assez proche : «portion placée entre le sol actif et le sous-sol ; il repose sur ce dernier»3 (ce qui restitue l’image d’un sous-sol portant le sol).
Enfin, dans le même ordre d’idées, le «sol primordial» en géologie désigne les premiers sols dans l’ordre des superpositions, permettant de former une «échelle» dite géognostique4.
Ramené à la copropriété : qu’est-ce que le sol au sens de la loi du 10 juillet 1965 ?
Est-il différent de celui que l’on vient de côtoyer ? La réponse est nuancée, à la fois négative et positive.
Le sol en copropriété n’est pas différent quant à son identification. Les articles 1er et 3 de la loi évoquent le sol, les terrains, les parcelles, les cours, les parcs et jardins, les voies d’accès. On peut donc assez aisément identifier le sol en copropriété (ce qui n’empêche pas, bien entendu, d’éventuelles interprétations).
En revanche, le sol en copropriété connaît, semble-t-il, une nature et donc un régime juridique particuliers. Alors qu’on a vu que, classiquement, le sol avait un pouvoir d’attraction (il est le principal, le sous-sol et le sur-sol sont ses accessoires) ou qu’à tout le moins, il rend compte d’une dissociation tripartite sol/sous-sol/sur-sol, on n’observe pas ces qualités dans le sol en copropriété. Le sol existe au sens commun, mais juridiquement, il n’a pas de pouvoir d’attraction.
Pourquoi ? Parce que précisément la copropriété, telle qu’elle a été voulue par les rédacteurs du texte, neutralise cette attraction du sol, en créant une dualité partie privative/partie commune qui conduit en réalité à évincer le sol. On désamorce, on casse le système d’attraction voulu par le Code civil, pour lui substituer une logique différente. La doctrine rend compte de cette réalité en observant que le droit spécial de la copropriété écarte le droit commun, et en particulier les principes du droit civil régissant le droit des bien et la propriété5.
On passe d’une logique tripartite d’attraction à une logique bipartite de répartition, d’attribution.


Quelle est la place du sol en copropriété ?

Le sol en copropriété paraît dissocié ; il semble pouvoir être tantôt partie privative, tantôt partie commune ; il «semble» seulement, car il est, en réalité, difficile de considérer qu’il ne puisse pas être commun.
Il semble privatif lorsque, en application de l’article 2 de la loi du 10 juillet, il est «[réservé] à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé». Le texte prévoit en effet que : «sont privatives les parties des bâtiments et des terrains réservées à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé. Les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire».
Il est commun s’il est «[affecté] à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux» au sens de l’article 3, alinéa 1er. Dans le silence ou la contradiction des titres, l’article 3 répute partie commune non seulement le sol lui-même - il est expressément visé à l’alinéa 2 - mais aussi plusieurs éléments qui, semble-t-il sont assimilés au sol, ou qui, du moins, lui étant indissociablement lié, peuvent être considérés comme lui étant assimilés. Il s’agit des «parcs», «jardins» et «voies d’accès». La rédaction pourrait laisser penser que le sol peut, à travers le règlement de copropriété, faire l’objet d’une appropriation, mais en réalité, cette faculté est illusoire. La jurisprudence considère notamment - de façon à la fois ferme et constante - que le sol est nécessairement une partie commune. Elle a, par exemple, très clairement donné sa position dans les termes suivants : «dans le régime de la copropriété des immeubles bâtis, les lots ne sont séparés par aucune ligne divisoire et (…) la totalité du sol est partie commune»6. Elle a, il est vrai, reconnu par la suite l’existence de servitudes entre parties privatives. Mais sa position stricte vis-à-vis du sol demeure. Par un arrêt du 19 novembre 2015, la Cour de cassation condamne à nouveau le bornage en copropriété, quand bien même il ne serait sollicité que pour délimiter des parties privatives7. Si l’on poursuit le texte de l’article 3, sont réputés droits accessoires aux parties communes et toujours, en théorie, dans le silence ou la contradiction des titres :
- le droit d’affouiller les cours, parcs et jardins communs ;
- le droit d’affouiller le sol d’un bâtiment affecté à l’usage commun ou comportant plusieurs locaux constituant des parties privatives différentes ;
- le droit d’édifier des bâtiments nouveaux dans des cours, parcs ou jardins constituant des parties communes.
On observe bien dans ces endroits une attraction qui est celle du principal à accessoire, mais pas par rapport au sol. D’un côté, il est privé de son pouvoir d’attraction. D’un autre côté, le sol apparaît, dans l’application qui est faite par la loi de 1965, comme l’assiette de référence de la copropriété. Il n’est pas un élément (du bâti ou du non-bâti) comme les autres.
Dans le prolongement de ces interrogations, l’une des questions qui se pose est celle de savoir si l’éviction de l’attraction du sol en copropriété est absolue - elle n’y a pas sa place - ou bien si elle est relative. Une fois la répartition opérée entre partie privative et partie commune, elle retrouverait son empire.
Autrement dit, une fois qualifiées les parties de communes ou de privatives, par détermination de la loi ou de la convention, le sol peut-il exercer son pouvoir d’attraction au sens de l’article 552 du Code civil ? Ou bien, tout en copropriété, est-il privatif ou commun par détermination de la loi ou la volonté des parties (à travers le règlement de copropriété) ?
La loi ne vise que la répartition du fonds de terre et du bâti. Il faut, sans doute, en conclure que pour le reste, par exemple l’espace situé au-dessus du toit, est indivis non pas par détermination de la loi, mais par application de l’adage supeficies solo cedit, par le jeu de l’article 552 du Code civil, à la fois en raison et en dépit du fait que l’on se situe dans le cadre de l’assiette foncière de la copropriété.
La question rejaillit en pratique, les hypothèses de parties communes à jouissance privative. En tant qu’accessoire du droit détenu sur la partie privative du lot, la jurisprudence reconnaît la qualification de droit réel et perpétuel de tels espaces8, ce droit pouvant être au demeurant acquis par usucapion9. Toutes les questions, loin s’en faut, ne sont cependant tranchées à cet égard.
Cette première piste nous conduit à considérer que le droit de la copropriété s’est véritablement emparé du sol pour le soustraire à son traditionnel pouvoir d’attraction, à certaines règles du droit des biens, sans pour autant qu’il s’en dégage une parfaite limpidité quant à la nature du sol telle qu’elle résulte de la confrontation du texte et de l’interprétation qui en est faite.


1- M. Planiol, La très ancienne coutume de Bretagne, Bibliothèque bretonne armoricaine, Fasc. II, Plihon et Hervé, Rennes 1896, p. 191.
2- «Corps des coutumes générales et particulières de France et des provinces connues sous le nom de Gaules», 1724, T. I, p. 528.
3- Littré, V. : Sol.
4- Ibid.
5- V. : C. Atias Rép. civ., n° 11 ; H. Périnet-Marquet, La copropriété entre respect et adaptation du droit civil, Études Simler, 2006, Litec-Dalloz, p. 789.
6- Cass. 3e, civ., 19 juill. 1995, n° 93-12325, Bull. civ. III, n° 201, RTD civ. 1998.145, obs. F. Zénati, D. 1996. Somm. 93, obs. C. Atias.
7- Cass., 3e civ., 19 nov. 2015, n° 14-25403 : D. 2016, p. 1779, obs. Reboul-Maupin N., Defrénois; RTD civ. 2016, p. 159, obs. Dross W. V. déjà : Cass. 3e civ., 27 avr. 2000, n° 98-17693 : Bull. civ. III, n° 89, D. 2001, p. 347, obs. Capoulade P. ; RDI 2000, p. 315, obs. Bergel J.-L. et RDI 2000, p. 385, obs. Giverdon C., JCP N ou G 2000, I, 265, obs. Périnet-Marquet H. ; Defrénois 30 oct. 2000, n° 37242-73, p. 1171, obs. Atias C.
8- C. Atias, Propriété indivise et usage privatif, JCP N 1987, I, p. 353 et s.
9- Cass. civ., 3ème, 24 oct. 2007, n° 06-19260, Bull. civ. III, n° 183.