[N°630] - La copropriété sans le sol

par Lætitia TRANCHANT, Professeur à Aix-Marseille Université
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Index de l'article

Cette intervention s’est déroulée lors du dernier congrès de la Chambre nationale des experts en copropriété qui avait pour thème “Les formes modernes de la copropriété”.
Le style oral a été conservé.

«La copropriété sans le sol» est un sujet pour lequel on perçoit immédiatement la dimension théorique, ses enjeux pratiques également ; il s’agit d’un beau sujet, ample, un sujet de fond comme les affectionnent les universitaires.
En réalisant les premières recherches néanmoins, deux sentiments contradictoires se sont mêlés. D’une part, l’enthousiasme, pour une thématique qui pose une multitude de questions. D’autre part, l’inquiétude, à l’image du Professeur Atias qui avait comparé la loi du 10 juillet 1965 à «un véritable maquis» ; on peut-être tenté de comparer la copropriété en général à un véritable marécage.
Comment tenter de comprendre le sujet «la copropriété sans le sol» ?

Tout d’abord, si l’on se penche sur l’aspect «copropriété» du sujet, il faut déterminer dans quelles hypothèses le statut issu de la loi du 10 juillet 1965 trouve à s’appliquer :
Première hypothèse, celle de l’article 1er, alinéa 1er qui dispose que «tout immeuble bâti ou groupe d’immeubles bâtis dont la propriété est répartie, entre plusieurs personnes, par lots comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes».
A laquelle il convient d’ajouter la seconde hypothèse, à savoir les ensembles immobiliers que l’article 1er, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, soumet mécaniquement au régime de la copropriété, faute d’avoir été soumis à «une organisation différente». Ce sont les «ensembles immobiliers qui, outre des terrains, des aménagements et des services communs, comportent des parcelles, bâties ou non, faisant l’objet de droits de propriété privatifs».
Semblent donc exclus du champ de notre étude : les ensembles immobiliers du même article 1er, alinéa 2, pour lesquels aurait été adoptée une «convention contraire créant une organisation différente», convention qui, soustrait, donc ces ensembles au régime de la loi de 1965. Exclusion, puisque seules les hypothèses où le régime de la copropriété trouve à s’appliquer paraissent relever du sujet «la copropriété sans le sol».
Pour la même raison, j’exclurai également la scission de copropriété de l’article 28 de la loi de 1965, même si la disposition serait, en réalité, dans un autre contexte de nature à enrichir le débat.
Afin de dégager des éléments de réponse sur le sujet, trois pistes peuvent être proposées.
La première tente de répondre à la question : «qu’est-ce que le sol ?». Avant d’amorcer toute analyse sur le rôle du sol en copropriété, avant d’entrer dans la technicité de la question, il faut, en effet, sans doute se demander ce que représente le sol en droit, si cette représentation est différente, appliquée à la copropriété.
La deuxième piste que suggère assez naturellement le sujet, est celle du volume. En effet l’adjonction du volume en copropriété a vocation à faire disparaître le sol en tant que référence de l’assiette foncière de la copropriété.
La troisième piste s’inspire d’expériences étrangères. Différents systèmes juridiques ont en effet tenté de mettre en place des régimes de copropriété visant à trouver un équilibre entre la propriété exclusive et la propriété indivise de l’espace immobilier obéissant à cette organisation. Il est donc intéressant de voir comment ces expériences peuvent apporter à notre propre conception de la copropriété : elles ont, en effet, en commun avec nous une perception primaire du sol identique, mais une perception primaire que vient bouleverser la mise en copropriété.
Parallèlement à ces hypothèses pures de copropriété, notre droit importe actuellement des modèles, qui dissocient le foncier et le bâti, afin de créer des organisations collectives, sinon concurrentes de la copropriété, du moins alternatives. Cette piste nous conduit donc vers une perspective du sujet élargie, pour nous faire réfléchir sur les enjeux qui émergent pour les organisations collectives - dont la copropriété fait partie. Cela peut représenter une grille de lecture quand il s’agit de déterminer les nouvelles contraintes, ou au contraire les nouvelles libertés, qui ont vocation à irriguer le droit de la copropriété.


I.- Première piste : qu’est-ce que le sol ?

La terminologie provient du latin «solum» : le fond, le fondement, la base, et par extension, la terre, le terrain, la surface inférieure d’un bâtiment ou même d’un objet.
Planiol, dans un ouvrage intitulé «La très ancienne coutume de Bretagne»1, fait référence au «soul» haut breton, pour signifier la surface terrestre, et cela traduit bien les différentes définitions que le Littré ou les autres dictionnaires donnent du sol : une surface sur laquelle se posent et se déplacent les corps terrestres. Corps terrestre comprenant, semble-t-il, les immeubles, construits par une autre catégorie de corps, ceux qui se déplacent. Le sol, c’est la couche supérieure de la terre, sa «croûte» donc une approche physique.


Existe-t-il une traduction du sol propre à la matière juridique ?

A noter que le vocabulaire juridique Cornu ne compte pas le «sol» au titre de ses mots définis, sans que cela signifie pour autant que la réponse soit négative. Le sol est, pour les auteurs, associé à l’adage superficies solo cedit, lequel s’est traduit par la coutume à travers la maxime «à quiconque appartient le sol, c’est-à-dire l’étage du rez de chaussée, appartient le dessus et le dessous du sol»2 ; principe repris par l’article 552, alinéa 1er, du Code civil : «La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous». C’est la règle de l’accession qui se manifeste. Bien entendu, on reconnaît derrière ce mécanisme d’attraction retenu par le Code civil la règle accessorium sequitur principale : l’accessoire suit le principal.
En agriculture, on retrouve une définition du «sol inerte» assez proche : «portion placée entre le sol actif et le sous-sol ; il repose sur ce dernier»3 (ce qui restitue l’image d’un sous-sol portant le sol).
Enfin, dans le même ordre d’idées, le «sol primordial» en géologie désigne les premiers sols dans l’ordre des superpositions, permettant de former une «échelle» dite géognostique4.
Ramené à la copropriété : qu’est-ce que le sol au sens de la loi du 10 juillet 1965 ?
Est-il différent de celui que l’on vient de côtoyer ? La réponse est nuancée, à la fois négative et positive.
Le sol en copropriété n’est pas différent quant à son identification. Les articles 1er et 3 de la loi évoquent le sol, les terrains, les parcelles, les cours, les parcs et jardins, les voies d’accès. On peut donc assez aisément identifier le sol en copropriété (ce qui n’empêche pas, bien entendu, d’éventuelles interprétations).
En revanche, le sol en copropriété connaît, semble-t-il, une nature et donc un régime juridique particuliers. Alors qu’on a vu que, classiquement, le sol avait un pouvoir d’attraction (il est le principal, le sous-sol et le sur-sol sont ses accessoires) ou qu’à tout le moins, il rend compte d’une dissociation tripartite sol/sous-sol/sur-sol, on n’observe pas ces qualités dans le sol en copropriété. Le sol existe au sens commun, mais juridiquement, il n’a pas de pouvoir d’attraction.
Pourquoi ? Parce que précisément la copropriété, telle qu’elle a été voulue par les rédacteurs du texte, neutralise cette attraction du sol, en créant une dualité partie privative/partie commune qui conduit en réalité à évincer le sol. On désamorce, on casse le système d’attraction voulu par le Code civil, pour lui substituer une logique différente. La doctrine rend compte de cette réalité en observant que le droit spécial de la copropriété écarte le droit commun, et en particulier les principes du droit civil régissant le droit des bien et la propriété5.
On passe d’une logique tripartite d’attraction à une logique bipartite de répartition, d’attribution.


Quelle est la place du sol en copropriété ?

Le sol en copropriété paraît dissocié ; il semble pouvoir être tantôt partie privative, tantôt partie commune ; il «semble» seulement, car il est, en réalité, difficile de considérer qu’il ne puisse pas être commun.
Il semble privatif lorsque, en application de l’article 2 de la loi du 10 juillet, il est «[réservé] à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé». Le texte prévoit en effet que : «sont privatives les parties des bâtiments et des terrains réservées à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé. Les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire».
Il est commun s’il est «[affecté] à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux» au sens de l’article 3, alinéa 1er. Dans le silence ou la contradiction des titres, l’article 3 répute partie commune non seulement le sol lui-même - il est expressément visé à l’alinéa 2 - mais aussi plusieurs éléments qui, semble-t-il sont assimilés au sol, ou qui, du moins, lui étant indissociablement lié, peuvent être considérés comme lui étant assimilés. Il s’agit des «parcs», «jardins» et «voies d’accès». La rédaction pourrait laisser penser que le sol peut, à travers le règlement de copropriété, faire l’objet d’une appropriation, mais en réalité, cette faculté est illusoire. La jurisprudence considère notamment - de façon à la fois ferme et constante - que le sol est nécessairement une partie commune. Elle a, par exemple, très clairement donné sa position dans les termes suivants : «dans le régime de la copropriété des immeubles bâtis, les lots ne sont séparés par aucune ligne divisoire et (…) la totalité du sol est partie commune»6. Elle a, il est vrai, reconnu par la suite l’existence de servitudes entre parties privatives. Mais sa position stricte vis-à-vis du sol demeure. Par un arrêt du 19 novembre 2015, la Cour de cassation condamne à nouveau le bornage en copropriété, quand bien même il ne serait sollicité que pour délimiter des parties privatives7. Si l’on poursuit le texte de l’article 3, sont réputés droits accessoires aux parties communes et toujours, en théorie, dans le silence ou la contradiction des titres :
- le droit d’affouiller les cours, parcs et jardins communs ;
- le droit d’affouiller le sol d’un bâtiment affecté à l’usage commun ou comportant plusieurs locaux constituant des parties privatives différentes ;
- le droit d’édifier des bâtiments nouveaux dans des cours, parcs ou jardins constituant des parties communes.
On observe bien dans ces endroits une attraction qui est celle du principal à accessoire, mais pas par rapport au sol. D’un côté, il est privé de son pouvoir d’attraction. D’un autre côté, le sol apparaît, dans l’application qui est faite par la loi de 1965, comme l’assiette de référence de la copropriété. Il n’est pas un élément (du bâti ou du non-bâti) comme les autres.
Dans le prolongement de ces interrogations, l’une des questions qui se pose est celle de savoir si l’éviction de l’attraction du sol en copropriété est absolue - elle n’y a pas sa place - ou bien si elle est relative. Une fois la répartition opérée entre partie privative et partie commune, elle retrouverait son empire.
Autrement dit, une fois qualifiées les parties de communes ou de privatives, par détermination de la loi ou de la convention, le sol peut-il exercer son pouvoir d’attraction au sens de l’article 552 du Code civil ? Ou bien, tout en copropriété, est-il privatif ou commun par détermination de la loi ou la volonté des parties (à travers le règlement de copropriété) ?
La loi ne vise que la répartition du fonds de terre et du bâti. Il faut, sans doute, en conclure que pour le reste, par exemple l’espace situé au-dessus du toit, est indivis non pas par détermination de la loi, mais par application de l’adage supeficies solo cedit, par le jeu de l’article 552 du Code civil, à la fois en raison et en dépit du fait que l’on se situe dans le cadre de l’assiette foncière de la copropriété.
La question rejaillit en pratique, les hypothèses de parties communes à jouissance privative. En tant qu’accessoire du droit détenu sur la partie privative du lot, la jurisprudence reconnaît la qualification de droit réel et perpétuel de tels espaces8, ce droit pouvant être au demeurant acquis par usucapion9. Toutes les questions, loin s’en faut, ne sont cependant tranchées à cet égard.
Cette première piste nous conduit à considérer que le droit de la copropriété s’est véritablement emparé du sol pour le soustraire à son traditionnel pouvoir d’attraction, à certaines règles du droit des biens, sans pour autant qu’il s’en dégage une parfaite limpidité quant à la nature du sol telle qu’elle résulte de la confrontation du texte et de l’interprétation qui en est faite.


1- M. Planiol, La très ancienne coutume de Bretagne, Bibliothèque bretonne armoricaine, Fasc. II, Plihon et Hervé, Rennes 1896, p. 191.
2- «Corps des coutumes générales et particulières de France et des provinces connues sous le nom de Gaules», 1724, T. I, p. 528.
3- Littré, V. : Sol.
4- Ibid.
5- V. : C. Atias Rép. civ., n° 11 ; H. Périnet-Marquet, La copropriété entre respect et adaptation du droit civil, Études Simler, 2006, Litec-Dalloz, p. 789.
6- Cass. 3e, civ., 19 juill. 1995, n° 93-12325, Bull. civ. III, n° 201, RTD civ. 1998.145, obs. F. Zénati, D. 1996. Somm. 93, obs. C. Atias.
7- Cass., 3e civ., 19 nov. 2015, n° 14-25403 : D. 2016, p. 1779, obs. Reboul-Maupin N., Defrénois; RTD civ. 2016, p. 159, obs. Dross W. V. déjà : Cass. 3e civ., 27 avr. 2000, n° 98-17693 : Bull. civ. III, n° 89, D. 2001, p. 347, obs. Capoulade P. ; RDI 2000, p. 315, obs. Bergel J.-L. et RDI 2000, p. 385, obs. Giverdon C., JCP N ou G 2000, I, 265, obs. Périnet-Marquet H. ; Defrénois 30 oct. 2000, n° 37242-73, p. 1171, obs. Atias C.
8- C. Atias, Propriété indivise et usage privatif, JCP N 1987, I, p. 353 et s.
9- Cass. civ., 3ème, 24 oct. 2007, n° 06-19260, Bull. civ. III, n° 183.


II.- Deuxième piste : le volume

Le volume est envisagé ici dans la perspective de son utilisation dans un contexte où le statut de 1965 trouve à s’appliquer, ce qui est un champ sans conteste restreint. De nombreuses études s’intéressent à la volumétrie en tant qu’alternative à la copropriété. Le sujet invite, au contraire, à envisager le volume, mais en copropriété, dans le cadre de l’application de la loi de 1965, et comme possible moyen d’éviction du sol. À travers l’écran du volume, on parvient à restituer l’idée d’une copropriété sans sol.
Le volume est souvent associé au droit de superficie, bien qu’il s’en distingue. Le droit de superficie renvoie à une dissociation juridique, visant à attribuer à des personnes différentes la propriété, par strates, d’un même fonds au regard d’une limite déterminée, souvent le sol, mais pas nécessairement.
La division en volumes va plus loin. On peut emprunter la définition qu’en a donné Daniel Sizaire et qui est la suivante : «la division en volumes est une technique juridique consistant à diviser la propriété d’un immeuble en fractions distinctes, sur le plan horizontal comme sur le plan vertical, à des niveaux différents, qui peuvent se situer au-dessus comme en dessous du sol naturel, chaque fraction s’inscrivant, respectivement, dans l’emprise de volumes définis géométriquement, en trois dimensions, par référence à des plans, des coupes et des cotes, sans qu’il existe de parties communes entre ces différentes fractions»10.
Les hypothèses dans lesquelles la division en volume est compatible avec l’application du statut de la copropriété, est un sujet qui suscite de vives discussions en doctrine. Nous n’allons pas entrer dans ces débats, mais simplement tenter d’esquisser ce que le volume pourrait, en ce qu’il influe sur la perception juridique du sol, apporter au régime de la copropriété.
Du point de vue de son domaine, la doctrine semble rejeter majoritairement l’idée d’une division en volumes au sein d’un lot de copropriété.
Est admise au contraire, la création d’une copropriété à l’intérieur d’un volume. En conséquence, c’est le volume qui représente ici l’assiette de la copropriété. Le sol se dérobe, pourrait-on dire, sous les pieds des propriétaires ; c’est bien le volume qui devient l’élément de référence pour fixer l’assiette de la copropriété. Les quotes-parts de parties communes vont se déterminer en se fondant sur le volume.
Pour rendre compte de l’intérêt de la technique en copropriété, et notamment, pour parvenir à des copropriétés de dimensions acceptables, je citerai les propos de Nicolas Le Rudulier : «une hiérarchie va se créer entre les volumes et les copropriétés qu’ils renferment et dont les règlements devront nécessairement permettre d’assurer le respect de l’état descriptif de division en volumes ainsi que le cahier des charges»11.
Bien entendu, les volumes ainsi crées doivent être identifiés et c’est le rôle de l’état descriptif de division. Tout cela est parfaitement connu et décrit, et notamment, très récemment, dans le dernier Rapport du Congrès des notaires 201612  ; on assiste à une division primaire (la division en volume) et une division secondaire (en lots de copropriété), créatrices d’une autonomie du «lot volume» à l’égard du sol et conduisant dans l’état descriptif de division, à préciser le niveau du volume par une chiffre positif s’il est au-dessus du sol, et négatif, si au contraire, le volume est en-dessous du sol.
Je formulerai simplement deux remarques, liées au sol :
Première remarque : l’avant-projet de réforme du Droit des biens conduit sous l’égide de l’Association Henri Capitant et réformant la Livre II du Code civil, retient à la fois l’existence du volume et sa division. Il conduit à une perception du sol qui tend à le placer sur un plan secondaire.
Je vous livre l’article 562 Code civil tel qu’issu de l’avant projet de réforme du droit des biens : «Un fonds peut faire l’objet d’une division visant à conférer à un tiers la propriété d’une partie de ce fonds situé au-dessus ou au-dessous d’une limite conventionnellement fixée» Observons que cette limite n’est donc pas forcément le sol. Le texte se poursuit ainsi : «un fonds peut également, moyennant établissement d’un état descriptif de division, faire l’objet d’une division spatiale portant création de volumes…».
L’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 ferait aussi l’objet de modifications de la part de ce même avant projet de réforme, puisqu’il prévoit deux dispositions qui nous intéressent directement :
Tout d’abord, un article 1-1, par lequel la loi de 1965 s’appliquerait «à toute division d’un bâtiment qui comporte, outre les parties attribuées à des propriétaires différents, des éléments communs ou d’utilité commune, notamment de structure, de desserte ou d’équipement».
Est également inséré un article 1-3 en vertu duquel :
«La présente loi s’applique (…) aux ensembles immobiliers implantés sur plusieurs terrains ou réalisés dans plusieurs volumes lorsque la propriété ou la gestion de leurs éléments communs n’a pas fait l’objet d’une organisation différente».
Il semble qu’à travers ces dispositions, ce regard encore seulement prospectif, pointe un déploiement du volume en copropriété lequel correspondrait à l’approche dite libérale de l’appréhension du volume en copropriété.

Seconde remarque : quel est l’intérêt du volume en copropriété par rapport à notre fil conducteur qu’est le sol ?
Une certaine liberté prise par rapport au sol, un effacement du sol derrière celui de volume. Et, finalement, une image nouvelle de la copropriété, une représentation, une perception différente, dans laquelle le sol n’est plus qu’un élément parmi d’autres.
On passe d’une vision plane ou en coupe de la copropriété à une conception en trois dimensions.
Dans le prolongement de cette liberté et, pour reprendre une terminologie propre à la physique quantique, il faudrait sans doute s’interroger sur la liberté d’intriquer les volumes. Non pas une imbrication «volume sur volume» (qui, on le sait, ne vaut) mais intriquer des volumes contenant chacun une copropriété, avec un jeu de servitudes entre eux et, pourquoi pas, un ou plusieurs volumes en mono-propriété voire, puisque désormais la création de droits réels de jouissance spéciale parait libre, du moins en son principe, des volumes dont l’usage s’exercerait en jouissance spéciale, au profit de petites copropriétés contenues dans de petits volumes.


10- D. Sizaire, Division en volume, J.-Cl. Constr.–Urb., Fasc. 10 : V. désormais : N. Le Rudulier, Division en volume, J.-Cl. Constr.–Urb., Fasc. 107-10, n° 5.
11- N. Le Rudulier, J.-Cl. Constr. –Urb. V° : Division en volume, J.-Cl. Constr.–Urb., Fasc. 107-10, n° 71.
V. : La propriété immobilière, Entre liberté et contraintes, 112ème Congrès des notaires de France, n° 1089 et s.


III.- Troisième piste : les expériences étrangères de l’utilisation du sol à l’épreuve de la copropriété

Cette “piste” s’inspire notamment d’une étude récente, réalisée par Guilhem Gil et portant sur «la copropriété dans les systèmes de common law»13.
Ces systèmes connaissent l’attraction du sol sur le sous-sol et le sur-sol et se sont, par conséquent, heurtés aux mêmes difficultés que les nôtres. En raison de la densité de la population et de la raréfaction de l’espace disponible, la construction de l’immeuble ne se conçoit plus seulement par l’étalement à la surface du sol, mais en hauteur.
Pour que l’occupation de cet immeuble soit optimale, il faut rompre avec l’attraction du sol, de façon que l’immeuble ne soit pas approprié par un seul propriétaire, mais par plusieurs.
Cette répartition a été permise dans différentes législations prévoyant une répartition de la propriété par «portions», lesquelles correspondent souvent à des étages distincts ; on y retrouve les irréductibles ingrédients de la copropriété à savoir des parties privatives et communes, quelle que soit leur dénomination ainsi qu’une répartition des coûts d’entretien et un organe de gestion.
Aucune de ces préoccupations ne nous est étrangère.
Naturellement, ce qui apparemment nous intéresse en premier lieu, ce sont les choix opérés à l’égard du sol. Dans les pays de common law, comme en France d’ailleurs, le sol reste majoritairement (c’est le cas de la commonhold association anglaise) perçu comme devant demeurer commun ; l’Ecosse, cependant, fait exception. L’Afrique du sud retient un système proche du nôtre, le sol (y compris les terrains divers, aires de stationnement, cours et jardins) ne peut être privativement approprié, mais une «aire de jouissance privative» peut être affectée à une «section» privative14, etc.
En réalité, au-delà de ces choix quant à l’appropriation privative ou commune du sol lui-même, une des clés de compréhension de la copropriété semble reposer sur le choix du système même de répartition, entre ce qui est privatif et ce qui doit demeurer commun. Le sol n’est pas le ressort de la réflexion. C’est vraiment la liberté de la répartition qui semble ressortir. Et les expériences les plus séduisantes, soit parce qu’elles ont essaimé auprès d’autres législations - comme l’expérience australienne des «strata titles»15 - soit parce qu’elles sont le fruit réussi de mutations successives - comme le condominium américain- semble être celles qui introduisent une souplesse de principe dans la répartition. Dans ces législations, ce qui n’est pas approprié privativement EST commun, et c’est une volonté d’affirmer : «déterminons d’abord ce que nous voulons nous approprier privativement et ensuite seulement, le non-réparti sera commun ; est commun ce qui est résiduel» qui me semble intéressante.
C’est le choix de la liberté, d’une souplesse de principe, qui est fait.
Parmi ces législations, nous avons évoqué l’Australie et nous ne pouvons pas ne pas citer en particulier le cas de l’Etat du Queensland. Cet Etat s’est doté d’un texte cadre d’application générale, complété par des textes satellites propres à des types de copropriétés. Prenant appui sur des principes communs à toutes les divisions d’immeuble empruntant aux strata titles, des statuts différents viennent s’y agréger, prenant en compte les besoins propres à chaque gamme de copropriété. Est-ce l’habitat ? L’exercice d’une profession ? Est-ce une résidence-service ? Une résidence hôtelière ? Un ensemble immobilier de moins de six lots ? Pour chaque gamme, un fonctionnement différent, des contraintes plus lourdes ou plus allégées, mais adaptées aux attentes supposées de la forme de copropriété correspondante.
Quels que soient ces modèles étrangers, le sol est un élément dont la copropriété, juridiquement, peut se passer. Le sol, dont la copropriété neutralise l’attraction, s’efface, devient un élément parmi les autres, une simple limite physique.
La conclusion est donc la même que celle que l’on a pu tirer au sujet du volume.
Puisque le sujet de ces deux journées se consacre aux «formes modernes de la copropriété», osons mixer l’expérience du Queensland et celle du volume. Nous pourrions tout à fait imaginer des copropriétés affectées à des usages distincts et contenues dans des volumes différents. Par exemple, une copropriété-volume habitation et une copropriété-volume exercice professionnel, sur des assises foncières mitoyennes ou pourquoi pas - ce serait l’aboutissement de cette liberté dont la copropriété semble avoir tant besoin - sur une même assise foncière. Il n’est pas dit que les inconvénients qui en découleraient seraient supérieurs aux avantages que l’on en retirerait, eu égard à la situation actuelle.
Un autre moyen d’anéantir l’attraction du sol sur le dessus et le dessous est le recours aux baux de longue durée, que l’on qualifie parfois en droit français de baux superficiaires.
Après le «bail réel immobilier»16 qui, lui aussi, dissocie le sol des constructions, une ordonnance n° 2016-985 du 20 juillet 2016, relative au bail réel solidaire, introduit dans le Code de la construction et de l’habitation (CCH) les articles L. 255-1 et suivants. Ce bail réel solidaire puise son origine dans les community land trusts des Etats-Unis des années 1970.
L’article L. 255-1 du CCH le définit de la manière suivante : «constitue un contrat dénommé “bail réel solidaire” le bail par lequel un organisme de foncier solidaire consent à un preneur (…) pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans, des droits réels en vue de la location ou de l’accession à la propriété de logements, avec s’il y a lieu obligation pour ce dernier de construire ou réhabiliter des constructions existantes» ; «les constructions et améliorations réalisées par le preneur demeurent sa propriété en cours de bail et deviennent la propriété de l’organisme de foncier solidaire à l’expiration du bail» (CCH, L. 255-7, al. 3)17.
L’idée est de dissocier durablement - et même sans limite de durée au profit de preneurs successifs - le foncier et le bâti. Foncier, qui demeure la propriété d’un organisme foncier solidaire. Bâti, sur lequel les occupants de condition modeste vont détenir un droit réel de longue durée.
Le preneur ne finance donc que le bâti ; le foncier est extrait de sa contribution financière pour être assumé par un organisme foncier solidaire (bénéficiant, quant à lui, de subventions publiques).
L’inspiration est, on l’a dit, celle des Community Land Trusts.
Le site www.comunitylandtrust.fr : exprime l’esprit qui anime ces promopteurs :
«Les Community Land Trusts (CLT) constituent une approche opérationnelle alternative à la propriété privée du sol et à l’appropriation individuelle de la ressource foncière sous forme de rente ou de plus-value, source d’inflation des prix de l’immobilier et d’inégalités dans l’accès au logement et au territoire.
Les principes du Community Land Trust sont inscrits dans les trois termes qui en composent le nom : extraire le sol –LAND – des liens de la propriété privée, et le placer, en dehors du marché, entre les mains d’une entité vouée à en être le dépositaire perpétuel – TRUST – qui l’administrera de manière participative et non lucrative dans l’intérêt commun – COMMUNITY. C’est-à-dire en ne cédant que le bâti et en y retranchant une fois pour toutes le coût du terrain, en garantissant l’accessibilité permanente des constructions au fil des reventes, quelle que soit leur vocation, en sécurisant le parcours résidentiel des acquéreurs de logements constitués prioritairement de ménages modestes, et en veillant indéfiniment au bon entretien du patrimoine bâti sur son foncier».

Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à ce schéma ?
Parce qu’il s’agit là d’un mode d’habitat collectif alternatif à la copropriété, voire concurrent, mais aussi parce que, parmi les dix «caractéristiques opérationnelles» dégagées pour ces CLT, il est prévu une «diversité des réalisations : destination variée des terrains et multiplicité des statuts d’occupation du bâti (monopropriété, copropriété, coopérative)».
Ce qui signifie que parmi les formes «modernes» de la copropriété, il faudra sans doute compter le bail réel solidaire.