Porter un nouveau regard sur le métier, son utilité sociale et son intérêt technique, demande au syndicat des copropriétaires de passer d’une logique de coûts à une logique de prestations, en gardant en ligne de mire l’objectif de mieux gérer et de valoriser son ensemble immobilier.
Les statistiques de l’Insee comptabilisent 64 500 gardiens d’immeubles (37 992 en région parisienne) en 2019, contre 68 724 (40 128 à Paris) en 2017, soit une diminution d’un peu plus de 6 % en trois ans. Il n’est malheureusement pas possible de comparer aux chiffres édités précédemment par ce même institut faute de données comparables.
Selon le syndicat UDGE (Union nationale pour la défense des gardiens d’immeubles et employés de maisons), la profession des gardiens d’immeubles et concierges aurait perdu un quart de ses effectifs en vingt-cinq ans pour la seule région parisienne.
Rachid Laaraj, fondateur du courtier en syndic Syneval, confirme : «à notre échelle, nous constatons que le nombre des concierges décroit de manière forte. Les syndicats de copropriétaires saisissent l’opportunité du départ à la retraite de leur gardien pour ne pas le remplacer, supprimer purement et simplement le poste et vendre le lot rendu disponible».
Or, cette échéance concerne de nombreux gardiens. Déjà en 2016, une étude Tripalio estimait que «la branche des gardiens d’immeubles est […] de loin, la plus âgée de France», avec un âge médian de 56 ans.
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 681 de septembre 2022
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Logique de coûts
Cette tendance à la raréfaction des concierges perdure malgré les efforts entrepris pour valoriser le métier à la suite du rapport rédigé en 2008 à la demande de la ministre du logement par un groupe de travail réuni sous la présidence conjointe de Philippe et Françoise Pelletier, avocats. Ce rapport avait conduit à la création d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) «Gardien, concierge et employé d’immeuble» et d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) en 2010, d’une école des gardiens (Egérie) soutenue par les professionnels de l’immobilier l’année suivante ainsi qu’à une campagne de communication.
Salaire moyen d’entrée : entre 1 132 et 1 705 € brut mensuel (Source https://bouge-ton- avenir.fr/metiers/gardiens- concierges/gardien-concierge)
Florence Viguerie, responsable du service Personnel d’immeuble au cabinet Loiselet & Daigremont, y voit «une logique de coûts» portée par des copropriétaires qui achètent leur logement «au prix fort». Le poste du gardien est alors rapidement ciblé, d’autant que les mutations sociales et technologiques, notamment les dispositifs automatiques d’accès ou l’accessibilité directe aux boîtes-aux-lettres individuelles par les services postaux, ont progressivement restreint l’intérêt des services de base rendus par le gardien. Le concierge passe alors du statut de personnage indispensable à la vie de l’immeuble à celui de charge, pesant sur les finances du syndicat.
«Globalement les copropriétaires sont de plus en plus vigilants aux charges à payer» témoigne Anaïs Rodriguez, directrice des métiers de la copropriété chez Syneval. «La problématique économique l’emporte, notamment quand l’immeuble appartient à des investisseurs, soucieux de rentabilité». C’est bien souvent «le deuxième poste de dépenses dans une copropriété après celui du chauffage», précise-t-elle. Si le coût par appartement varie selon le nombre de lots, le poste représente «en moyenne 45 000 € par an, plus 10 % pour le remplacement lors des congés du gardien».
Selon un article du Parisien, l’Association des responsables de copropriété (ARC) évaluait le coût de gardiennage à 10,60 € à Paris et à 8,60 € en Île-de-France en 2016. «Plus la copropriété est petite, plus c’est cher car la répartition s’effectue sur un nombre moindre de copropriétaires», selon Syneval.
20 à 40 % d’économie
Le poste «gardien» inclut le salaire qui varie en fonction des compétences et expériences, des tâches et des heures effectuées, les cotisations sociales salariales et patronales ainsi que la charge foncière représentée par l’attribution de la loge / logement [lire encadré], la taxe foncière afférente, les travaux, voire les avantages en nature accordés tels que les consommations d’électricité, de gaz et d’eau. Le concierge est, en effet, hébergé dans un appartement, habituellement localisé au rez-de-chaussée, constitué, d’une part, par son logement de fonction et, d’autre part, par la loge à laquelle l’ensemble des résidents peuvent accéder.
Récupérer la loge et la vendre devient souvent un argument à l’heure de payer les indemnités de départ à la retraite du gardien, d’engager les travaux obligatoires d’économie d’énergie ou, plus globalement, de réduire le budget. «Quand le syndicat des copropriétaires se sépare de son gardien» observe Anaïs Rodriguez, «il est en quête de souplesse et ne veut plus être employeur. Il choisit quasiment tout le temps une entreprise de nettoyage».
L’économie réalisée dépend du contenu et de la fréquence des prestations. «A périmètre constant, avec un prestataire qui assure une permanence de quatre heures par jour, cinq jours par semaine, le nettoyage et la sortie des déchets, le gain est de 20 à 25 %. Si la prestation se limite à l’entretien courant avec un nombre de passages réduit, cela peut aller jusqu’à 35 ou 40 %», révèle la directrice.
L’économie sera moins significative si le gardien est remplacé par un employé d’immeuble, non logé dans la copropriété et, le cas échéant, mutualisé avec d’autres syndicats alentours. De plus, le syndicat reste alors un employeur.
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Le logement du concierge
Afin d’assurer ses fonctions de garde et de surveillance, le concierge est, en général, logé dans un logement de fonction, accessoire de son contrat de travail. Le règlement de copropriété peut en prévoir la nature et les conditions de sa mise à disposition.
Ce peut être une partie commune affectée à cet usage, un lot appartenant au syndicat ou le lot d’un copropriétaire affecté temporairement à usage de conciergerie et de logement de fonction. En cas de rupture du contrat de travail, le concierge dispose d’un délai minimum de trois mois pour quitter le logement (art. L. 7212-1 et R. 7212-1 du Code du travail).
La suppression du service de conciergerie et la vente du logement du concierge lorsqu’il appartient au syndicat relèvent, en principe, d’une décision de l’assemblée générale prise à la majorité des membres du syndicat représentant au moins les deux tiers des voix. Ces deux questions sont inscrites à l’ordre du jour de la même assemblée générale.
L’unanimité est requise si cette suppression porte atteinte à la destination de l’immeuble ou aux modalités de jouissance des parties privatives (art. 26 de la loi de 1965). Le projet de modification du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division en résultant, devra être soumis au vote.
Logique de prestations
«Le bon gardien dépend de la personne qui exerce ce métier» note Rachid Laaraj. «Il est souvent impliqué dans la vie de l’immeuble comme s’il lui appartenait, et dans ce contexte de fort engagement personnel, le gardien est sans nul doute un plus pour la copropriété, mais ce principe n’est pas garanti». A cet égard, Anaïs Rodriguez constate un changement générationnel : «par le passé, être gardien, c’était une carrière ; les nouveaux gardiens se projettent moins dans l’avenir, ils s’investissent moins dans l’immeuble et collent davantage aux missions de leur contrat de travail». Un comportement qui pourrait ne pas jouer en faveur du maintien du concierge dans la copropriété.
«Les deux ans de Covid ont fait ressortir toute l’utilité du gardien sur place», plaide Florence Viguerie qui défend «une logique de prestations». Les missions historiques sont la garde et la surveillance des bâtiments, le ménage des parties communes et la gestion des poubelles, l’accueil et l’orientation - voire le filtrage - des visiteurs, la réception et la distribution du courrier.
Le concierge est essentiel dans le bon fonctionnement d’une copropriété. «Surtout dans les grosses copropriétés, c’est un intermédiaire indispensable à une bonne gestion», note Florence Viguerie. Le rapport Pelletier rappelle qu’il veille «au respect du règlement d’un immeuble collectif ou d’un ensemble immobilier».
Il assure la coordination des services attendus par les résidents. Ainsi, à l’égard des locataires, il peut être chargé, dans le logement social, d’une partie de la gestion locative en assurant le recouvrement des loyers ou la réalisation des états des lieux. A l’égard des propriétaires, il peut remettre des convocations ou procès-verbaux d’assemblée générale ou tenir le registre retraçant les interventions sur site de prestataires, etc.
Au-delà de ces missions traditionnelles, les compétences humaines, administratives et techniques du gardien représentent une valeur ajoutée pour le syndicat des copropriétaires. «C’est un appui pour le gestionnaire», insiste Florence Viguerie pour qui «il demeure nécessaire de dynamiser le métier de gardien d’immeuble». Ainsi, l’école Egérie propose un outil de qualification et de reconnaissance par la validation des acquis de l’expérience.
En complément de ces missions, la présence active du concierge favorise la qualité de vie des habitants et participe du développement social du quartier. A l’heure où le nombre de personnes âgées augmente dans la société, le gardien joue un rôle de garant du lien social et d’alerte en cas d’absence prolongée et visiblement anormale d’un résident.
Les copropriétés gagnent, en outre, à recruter un gardien capable d’effectuer de petits travaux et interventions techniques en interne pour pallier la difficulté à trouver des prestataires, leur coût et les délais d’intervention. Ce peut être l’entretien courant des espaces verts, la petite maintenance (changement des ampoules), le bon fonctionnement des équipements (ascenseur, mise en route et extinction du système de chauffage, gestion du stock et programmation des bips).
Formé aux normes d’hygiène, de sécurité et d’environnement, aux grandes lignes des bilans énergétiques ou des bilans amiantes, un concierge peut superviser et orienter les prestataires intervenant dans l’immeuble pour effectuer une réparation ou un relevé (eau, gaz, électricité, ascenseur, chauffage). Il gère la sécurité collective (sécurité incendie, défibrillateur, secourisme...) et prévient les services de sécurité ou la police en cas de difficultés ou de nuisances. «Les gardiens les plus jeunes sont demandeurs de formation technique pour valoriser leur travail», constate Anaïs Rodriguez.
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Le pour et le contre
Le concierge est un salarié au service de la copropriété. Son employeur, le syndicat des copropriétaires, est tenu au paiement des salaires et des cotisations sociales, charges générales auxquelles tous les copropriétaires doivent participer (art. 10, loi du 10 juillet 1965). C’est le syndic qui l’embauche ou le congédie, fixe ses conditions de travail (horaires, heures supplémentaires, etc.) suivant les usages locaux et les textes en vigueur (art. 31, décret de 1967) et contrôle l’exécution de ses directives.
A l’heure de la décision de maintenir, remplacer ou se séparer définitivement de son concierge, le syndicat des copropriétaires pèsera le pour et le contre d’un passage à la sous-traitance à l’aune de la logique qu’il voudra retenir : coût ou prestations.
«En deçà de quatre-vingts lots, un poste de gardien n’est pas rentable pour une copropriété», considère Anaïs Rodriguez. Ce sont alors les critères du service rendu et de la valorisation de la copropriété qui entrent en ligne de compte. Au-delà, l’équation financière peut être favorable et la question est à étudier sérieusement.
Dans les deux cas, le syndicat établira le portrait-robot de son gardien idéal en fonction du nombre de lots et du standing de l’ensemble immobilier, des qualités humaines et des compétences attendues de la personne ainsi que des missions à lui confier.
Le cas échéant, le syndicat s’aidera grâce à l’utilisation des six critères de classification de la Convention collective nationale des gardiens, concierges et employées d’immeuble (CCN n° 3144) : le relationnel, la technicité, l’administratif, la supervision, l’autonomie et le niveau de diplôme. Ce n’est qu’après évaluation des économies et comparaison que le choix sera objectivé.
«La demande des copropriétaires évolue, comme les profils des gardiens. Il y a moyen de donner un coup de jeune au métier et d’aménager un poste sympa», expose Florence Viguerie. «Ni un agent de nettoyage, ni un employé de maison, ni un agent de sécurité», notait déjà le rapport Pelletier. «Il est autre, différent, polyvalent, complexe et riche»