[CCED N°5] - Le reportage : Clichy-sous-Bois : Lancement d’une ORCOD d’intérêt national

par Julie HAINAUT
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Dégradation du bâti, appauvrissement des habitants, manque de services publics... En Seine-Saint- Denis, Clichy-sous-Bois – une commune enclavée à 15 kilomètres de Paris – compte deux grosses copropriétés cumulant de nombreuses et importantes difficultés : l’Etoile du Chêne Pointu et le Chêne Pointu. Une Opération de Requalification des Copropriétés Dégradées (ORCOD) a été lancée.

 


Rappel historique

Bâties dans les années 60 par l’architecte Bernard Zehrfuss, ces deux copropriétés du Bas-Clichy sont composées de 647 logements pour l’Etoile du Chêne Pointu et de 875 logements pour le Chêne pointu, répartis respectivement sur 8 et 10 bâtiments. Elles cumulent depuis le début des années 2000 les difficultés urbaines et sociales : près des deux-tiers des ménages vivent sous le seuil de pauvreté ; une mauvaise isolation ; les équipements et installations (comme l’électricité, par exemple) ne sont pas aux normes ; les ascenseurs sont constamment en panne...
En 2005, ces copropriétés ont été mises sous administration judiciaire. En 2010, le préfet de la Seine-Saint-Denis, le maire de Clichy-sous-Bois et les syndics de copropriété ont signé des plans de sauvegarde.
Claude Dilain, le maire PS de Clichy-Sous-Bois exprimait dans Le Monde du 12 avril 2010 sa honte : «Les jeunes comparent le Chêne-Pointu aux favelas. En tant qu’élu républicain, je ne peux me résigner à cette comparaison et j’évoque, devant eux, les ”plans de sauvegarde” signés en janvier dernier, qui doivent nous permettre enfin de financer les travaux d’urgence et des équipes de travailleurs sociaux chargés d’accompagner les familles, dont 70% - oui vous avez bien lu: 70% - vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Ces explications ne convainquent pas les jeunes. Elles ne me satisfont pas non plus en réalité. Depuis des années, j’alerte les différents ministres compétents, les préfets, le conseil général, le conseil régional, j’ai été jusqu’à l’Elysée pour parler de la situation de ces copropriétés devenues des ”bidonvilles verticaux”, portes d’entrée en Ile-de-France de nombreuses familles immigrées, de plus en plus précaires, qui viennent se loger à Clichy-sous-Bois faute de trouver un logement social accessible ailleurs.»


Une première ORCOD-In

Créées par la loi ALUR, les ORCOD sont un dispositif partenarial réunissant l’Etat et tous les acteurs d’un territoire dans le but d’agir sur l’ensemble des leviers permettant de répondre aux enjeux des collectivités dégradées. Ce nouvel outil, conçu pour enrayer le processus d’insalubrité et de dégradation des copropriétés, doit permettre de traiter un cadre global : les dysfonctionnements internes des copropriétés et les causes de ces problèmes, en ayant recours notamment au portage foncier massif. «Lorsqu’un site est caractérisé par une forte concentration d’habitat dégradé et que la résolution des problèmes est complexe et nécessite un investissement financier lourd, l’ORCOD peut être déclarée d’intérêt national par décret en Conseil d’Etat. Sa mise en œuvre est alors confiée à un Etablissement public foncier, qui pilote l’ORCOD-IN, assure la mission de portage foncier, concède l’opération d’aménagement et coordonne l’ensemble des actions (plan de sauvegarde, projet urbain, relogement, accompagnement social, lutte contre l’habitat indigne, etc.)» précise le ministère. Le 7 juillet 2015, Sylvia Pinel, alors ministre du logement, de l’Egalité des territoires et de la ruralité et Myriam El Khomri, secrétaire d’Etat chargée à l’époque, de la politique de la Ville, ont lancé la première Opération de requalification des copropriétés dégradées d’intérêt national sur le quartier du Bas Clichy (ORCOD-In), mise en place par le décret du 28 janvier 2015 [Lire notre article dans le numéro 02 des Cahiers parus en septembre 2015]. «Ce nouveau dispositif va permettre de passer à la vitesse supérieure, en disposant de moyens exceptionnels. Le budget d’ensemble est de plus de 200 millions d’euros, sans compter les investissements qui seront nécessaires en termes d’infrastructures et de construction de logements» explique l’Etablissement Public Foncier (EPF) de l’Ile de France qui pilote l’opération. Ses engagements : mise en place d’un dispositif d’intervention immobilier et foncier (acquisition et portage de lots de copropriétés dégradées) ; création d’un plan de relogement et d’accompagnement social des habitants, sous l’égide des services de l’État ; accomplisse- ment des démarches nécessaires pour lutter contre l’habitat indigne, en articulation avec les services de l’État, la Ville de Clichy-sous- Bois et l’Agence régionale de Santé (ARS) ; création de plans de redressement et de sauvegarde des copropriétés en mobilisant les outils mis en place par l’ANAH (plans de sauvegarde, Opération programmée d’amélioration de l’habitat – OPAH, Programmes opérationnels de prévention et d’accompagnement en copropriété – POPAC).


Un programme d’envergure

Le 12 avril, Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable, a participé au comité directeur (CODIR) de l’ORCOD de Clichy-Sous-Bois. Réuni sous l’égide de l’EPF Ile-de-France, le CODIR a validé le projet urbain pour le Bas-Clichy sur une durée de 10 ans. Il est prévu en trois temps et s’articule autour de trois grandes orientations correspondant «aux solutions les plus réalistes en termes de délai, de coût et d’efficacité» : une ville parc (articulation avec l’arc paysager de Seine-Saint-Denis, développement des espaces verts), une ville active (aménagement du nouveau centre-ville, développement de voies publiques), et une ville populaire (diversification du parc de logement, développement d’activités économiques et d’équipements publics). L’opération prendra vingt-cinq ans, dont dix ans de démolition et de reconstruction. Le CODIR a également permis de s’engager dans une démarche partenariale en faveur du relogement des ménages concernés par l’ORCOD, préalable indispensable à la réussite de l’opération à court, comme à long terme. «Parce que la réussite du projet suppose que le quartier puisse retrouver une véritable mixité sociale mais aussi fonctionnelle, ces relogements ne pourront pas intervenir uniquement à Clichy-sous-Bois et la solidarité départementale et régionale sera indispensable» indique le ministère. Emmanuelle Cosse précise qu’elle veillera «à la mobilisation des contingents de logements réservés par les préfets de départements de la Région. En parallèle, les bailleurs sociaux seront in- cités à s’engager dans cette démarche et mobiliser leurs propres contingents de logements. En contrepartie, ils pourront bénéficier de droits à construire dans les opérations de construction portées par l’État et ses établissements publics à savoir : dans les communes carencées où la production de logements sociaux est très insuffisante au regard des objectifs fixés par la loi SRU et dans les nouvelles opérations d’intérêt national qui seront lancées à l’échelle de la région Ile-de-France.» Le quartier du Bas-Clichy compte plus de 10 000 habitants, soit le tiers de la population de Clichy-sous-Bois. 1 500 familles seront relogées dans le cadre de ce projet.


Caractéristiques de ces copropriétés d’une extrême fragilité

- 26 % de propriétaires occupants et 74 % de locataires au Chêne Pointu.
- 46 % de propriétaires occupants et 56 % de locataires à l’Etoile du Chêne Pointu.
- 40 % des occupants de ces logements ont moins de 15 ans.
- Les personnes de référence du ménage sont en majorité des actifs en emploi (52 %, supérieur à la moyenne nationale), occupant des postes peu qualifiés.
- Taux de chômage de la population active estimé à 29 %.
- Environ 1 logement sur 5 recèle une occupation complexe (plus d’un ménage par logements).
- 1 logement sur 6 est « sur-occupé », 1 logement sur 8 est en mauvais état.
- Niveau élevé des charges et des impayés.