Maître Agnès Lebatteux :
«Cette décision ignore également l’évolution récente de la jurisprudence.»
Selon vous, quels sont les avantages retirés de l’annexion à l’état descriptif de division des plans établis par un géomètre-expert ?
Le plan annexé à l’état descriptif de division est le seul élément qui permette de définir avec certitude la limite entre les parties communes et les parties privatives. En effet, la plupart des titres ne comportent pas de plan, et, même quand c’est le cas, ces plans sont limités à la partie privative du lot et ne sont pas publiés. Ils ne peuvent donc être opposés aux tiers – voisins ou syndicat des copropriétaires.
Or, la plupart des procès en «revendication», en milieu urbain, portent soit sur des annexions de parties communes réalisées au fil du temps (paliers, wc communs …), soit sur des occupations irrégulières de lots annexes liés à une méconnaissance de l’emplacement réel du lot (caves, parkings…). Seuls les plans annexés au règlement de copropriété permettront de trancher le litige, ou de le prévenir.
En outre, les plans de copropriété permettent d’établir les superficies réelles des parties privatives, lesquelles servent obligatoirement de base au calcul des charges communes générales.
Dès lors, il est indispensable que les plans joints au règlement de copropriété soient d’une très grande fiabilité. Les plans de géomètres-expert apportent cette garantie de fiabilité.
Comment percevez-vous la position adoptée par l’Autorité de la concurrence dans son avis du 28 février dernier relatif à la profession de géomètre-expert ?
Les géomètres-experts exercent un monopole légal pour : « [fixer] les limites des biens fonciers et, [lever et dresser …], les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière […]» (art. 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946).
L’intégration des plans de l’état descriptif de division dans ce monopole n’est pas évidente : ils ne peuvent constituer une véritable «délimitation de la propriété foncière» comparable à un bornage, puisque les lots sont composés d’une partie privative et d’une quote-part indivise de partie communes, et sont tous édifiés sur une seule et même parcelle «foncière», le terrain de la copropriété.
L’autorité de la concurrence a opté pour une vision restrictive du monopole légal, faisant fi du «principe de la Rochelle». Cependant, cet avis est purement consultatif et pourrait être contredit par la jurisprudence.
Or, cette vision libérale ne tient pas compte de l’objectif poursuivi par le législateur en instaurant le monopole. Elle a pour effet de mieux protéger la propriété d’un fermier que le bien d’un copropriétaire en zone urbaine, lequel doit pourtant établir une attestation de superficie lors de la vente du bien. Et le mètre carré parisien peut représenter dix fois la valeur d’un mètre carré de terrain agricole…
Cette décision ignore également l’évolution récente de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, d’une part, admet que des lots privatifs constituent bien des «fonds distincts» qui peuvent être grevés de servitudes l’un au profit de l’autre et, d’autre part, admet que l’état descriptif de division peut, dans certains cas, avoir une valeur contractuelle.
Enfin, cette décision semble contraire aux potentialités ouvertes par le développement des maquettes numériques (BIM). Les plans de copropriété ont vocation à être dématérialisés, et à passer en trois dimensions. La notion de «division au sol» paraît dès lors quelque peu dépassée, et il serait regrettable de ne pas donner de valeur légale à ces plans de division «dans l’espace».
C’est pourquoi il est souhaitable que la réforme du droit de la copropriété reconnaisse les plans annexés à l’état descriptif de division comme délimitant la «propriété» des parties privatives et communes et consolide le monopole des géomètres-experts.
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