[N°641] - Entretien croisé Jean-François Dalbin / Agnès Lebatteux

par YS
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De l’état descriptif de division et du monopole de l’Ordre des géomètres-experts

À la suite de l’avis de l’Autorité de la concurrence (n° 18-A-02, du 28 février 2018, www.autoritedelaconcurrence.fr) qui ne reconnaît pas aux géomètres-experts le monopole de réaliser les états descriptifs de division, la rédaction a décidé d’interroger Jean-François Dalbin, président du Conseil de l’Ordre et Agnès Lebatteux, avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit immobilier.
Pour rappel, c’est la Chambre nationale syndicale des géomètres-topographes (CNSGT) qui est à l’origine de la saisine de l’Autorité de la concurrence. Le CNSGT l’interrogeait sur le point de savoir si «l’inclusion éventuelle des plans annexés aux états descriptifs de division de copropriété entrait dans le champ du monopole des géomètres-experts».


Jean-François Dalbin :
«Ce n’est pas une extension de notre monopole mais une juste interprétation de nos textes.»

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs en quoi consiste le principe dit «de La Rochelle» ?

Consacré lors du 41e congrès des géomètres- experts à La Rochelle en 2012, par Daniel Labetoulle, Commissairedu gouvernement et président d’honneur de la section du contentieux du Conseil d’Etat, ce principe reconnaît le fait que relève de la compétence exclusive accordée au géomètre-expert par la loi de 1946, l’établissement des plans joints à un état descriptif de division de copropriété et les modificatifs. Ce principe n’est pas une extension de notre monopole mais une juste interprétation de nos textes, confirmée par l’évolution jurisprudentielle qui reconnait le lot de copropriété comme un bien foncier à part entière.

À noter que le bureau des politiques foncières de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) a confirmé par écrit cette interprétation à l’Autorité de la concurrence qui n’a pas trouvé utile de s’y référer.

Après l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence le 28 février 2018, quelle est la position de l’Ordre des géomètres-experts ?

A la demande de la Chambre syndicale nationale des géomètres-topographes (CSNGT), syndicat minoritaire, l’Autorité de la concurrence a rendu le 28 février 2018 un avis mettant en cause le monopole et la loi ordinale des géomètres-experts. La profession est sereine
face aux attaques.
Cet avis n’est que consultatif et il ne lie ni le gouvernement ni le Parlement. Le ministère de la Cohésion des Territoires, notre ministère de tutelle, par la voix de son ministre Jacques Mézard, à l’occasion d’une rencontre le 2 mai dernier, nous a informé de son intention de ne pas y donner suite. Aussi, nous restons sereins, sans toutefois cesser de dénoncer à la fois les procédés utilisés par l’Autorité de la concurrence et les contre-vérités martelées par la CSNGT. Dans le droit fil de la jurisprudence constante qui nous est favorable, nous continuerons à faire sanctionner par les juridictions pénales l’exercice illégal de notre profession par les géomètres topographes. Ce qui est, à notre grand regret malheureusement, encore très courant.
J’ai dénoncé fermement l’instruction à charge menée par l’Autorité de la concurrence en l’absence de tout contradictoire. En effet, la profession n’a jamais pu se défendre sur un pied d’égalité puisque toutes les questions qui nous ont été posées, de la phase préliminaire jusqu’à l’audition étaient totalement orientées, remettant même en cause l’existence en France des Ordres professionnels.
Un courrier témoignant des errements de l’instruction a été adressé à la Présidente de l’Autorité de la concurrence avec copie au Premier ministre et au ministre de la Cohésion des territoires en charge de la tutelle de la profession.

Pouvez-vous préciser les points sur lesquels l’Autorité de la concurrence a porté son examen ?

L’avis de l’Autorité de la concurrence revient sur quatre problématiques :

• Les documents d’arpentage annexés aux actes translatifs de propriété.
«L’abondante jurisprudence témoigne de difficultés récurrentes d’interprétation de la définition légale du monopole des géomètres-experts. L’Autorité recommande au législateur, au regard notamment de la nécessité d’assurer aux acteurs économiques un niveau de sécurité juridique compatible avec un exercice serein de leurs activités concurrentielles, de réécrire la définition actuellement fixée aux articles 1eret 2 de la loi n° du 7 mai 1946 précitée.»

Ce point a fait l’objet d’une jurisprudence constante claire des plus hautes juridictions (Conseil d’Etat et Cour de cassation) et reprise depuis dans plusieurs arrêts, les tribunaux reconnaissant que cela relève du monopole du géomètre-expert. Cette abondante jurisprudence n’a qu’une unique source : les procédures liées à l’exercice illégal de notre profession par les géomètres topographes. Cela en dit long sur ce qui les animent.

• Les états descriptifs de division de copropriété et les plans annexés
L’Autorité de la concurrence, sans aucune analyse juridique, balaye le principe de La Rochelle en suggérant en cas de réécriture des textes législatifs, de poser clairement dans la loi que lesdits plans et esquisses n’entrent pas dans le champ du monopole des géomètres-experts.

• L’accès simplifié des géomètres-experts à la certification en géoréférencement
«L’accès simplifié des géomètres-experts à la certification en géoréférencement est justifié au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette mesure (améliorer la cartographie des réseaux et accroître la sécurité sur les chantiers) et des contraintes réglementaires qui pèsent déjà sur les géomètres-experts.»
L’Autorité de la concurrence reconnaît la justesse des textes règlementaires accordant une certification aux géomètres-experts au regard de leur formation et de l’obligation de géoréférencement de nos travaux fonciers. Ces textes avaient été attaqués par la CSNGT qui avait été déboutée. La sagesse des magistrats ne semble pas avoir eu raison des ambitions de la CSNGT.

• Les conditions d’accès à certains marchés publics de prestations topographiques
 «Les difficultés rencontrées par les géomètres-topographes dans l’accès à certains marchés publics sont des cas isolés de méconnaissance de certains acheteurs publics de leur obligation d’allotissement.»
Ces difficultés liées à l’accès à certains marchés publics de prestations topographiques, qui ne dépendent ni de la profession ni de notre Ordre, n’en sont plus depuis le début des années 2000, date à partir de laquelle les maîtres d’ouvrages ont alloti les marchés comprenant à la fois des prestations topographiques et des prestations à incidence foncière.

© DR


Maître Agnès Lebatteux  :
«Cette décision ignore également l’évolution récente de la jurisprudence

Selon vous, quels sont les avantages retirés de l’annexion à l’état descriptif de division des plans établis par un géomètre-expert ?
Le plan annexé à l’état descriptif de division est le seul élément qui permette de définir avec certitude la limite entre les parties communes et les parties privatives. En effet, la plupart des titres ne comportent pas de plan, et, même quand c’est le cas, ces plans sont limités à la partie privative du lot et ne sont pas publiés. Ils ne peuvent donc être opposés aux tiers – voisins ou syndicat des copropriétaires.
Or, la plupart des procès en «revendication», en milieu urbain, portent soit sur des annexions de parties communes réalisées au fil du temps (paliers, wc communs …), soit sur des occupations irrégulières de lots annexes liés à une méconnaissance de l’emplacement réel du lot (caves, parkings…). Seuls les plans annexés au règlement de copropriété permettront de trancher le litige, ou de le prévenir.
En outre, les plans de copropriété permettent d’établir les superficies réelles des parties privatives, lesquelles servent obligatoirement de base au calcul des charges communes générales.
Dès lors, il est indispensable que les plans joints au règlement de copropriété soient d’une très grande fiabilité. Les plans de géomètres-expert apportent cette garantie de fiabilité.

Comment percevez-vous la position adoptée par l’Autorité de la concurrence dans son avis du 28 février dernier relatif à la profession de géomètre-expert ?
Les géomètres-experts exercent un monopole légal pour : « [fixer] les limites des biens fonciers et, [lever et dresser …], les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière […]»  (art. 2 de la  loi n° 46-942 du 7 mai 1946).
L’intégration des plans de l’état descriptif de division dans ce monopole n’est pas évidente : ils ne peuvent constituer une véritable «délimitation de la propriété foncière» comparable à un bornage, puisque les lots sont composés d’une partie privative et d’une quote-part indivise de partie communes, et sont tous édifiés sur une seule et même parcelle «foncière», le terrain de la copropriété.
L’autorité de la concurrence a opté pour une vision restrictive du monopole légal, faisant fi du «principe de la Rochelle». Cependant, cet avis est purement consultatif et pourrait être contredit par la jurisprudence.
Or, cette vision libérale ne tient pas compte de l’objectif poursuivi par le législateur en instaurant le monopole. Elle a pour effet de mieux protéger la propriété d’un fermier que le bien d’un copropriétaire en zone urbaine, lequel doit pourtant établir une attestation de superficie lors de la vente du bien. Et le mètre carré parisien peut représenter dix fois la valeur d’un mètre carré de terrain agricole…
Cette décision ignore également l’évolution récente de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, d’une part, admet que des lots privatifs constituent bien des «fonds distincts» qui peuvent être grevés de servitudes l’un au profit de l’autre et, d’autre part, admet que l’état descriptif de division peut, dans certains cas, avoir une valeur contractuelle.
Enfin, cette décision semble contraire aux potentialités ouvertes par le développement des maquettes numériques (BIM). Les plans de copropriété ont vocation à être dématérialisés, et à passer en trois dimensions. La notion de «division au sol» paraît dès lors quelque peu dépassée, et il serait regrettable de ne pas donner de valeur légale à ces plans de division «dans l’espace».
C’est pourquoi il est souhaitable que la réforme du droit de la copropriété reconnaisse les plans annexés à l’état descriptif de division comme délimitant la «propriété» des parties privatives et communes et consolide le monopole des géomètres-experts.

© Edilaix / G. Hecht

 


[N°639] - L’état descriptif de division ne relève pas du monopôle des géomètres-experts