«Monsieur Frémont, je voulais vous signaler que j’ai eu une altercation avec Monsieur Brune. Il a contesté ma participation au conseil syndical, m’a traité de petit suppléant...et m’a enfermé dans la cave».
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 674 de décembre 2021
On a tendance à l’oublier, mais le suppléant joue un rôle important dans l’organigramme de la copropriété. Il est un remplaçant certes, mais démocratiquement élu, assis sur le banc de touche, il attend son tour.
«Les suppléants siègent au conseil syndical, à mesure des vacances, dans l’ordre de leur élection s’il y en a plusieurs, et jusqu’à la date d’expiration du mandat du membre titulaire qu’ils remplacent».
Les mauvaises langues diront que le suppléant est un bouche-trou. En vrai, il est plutôt un substitut, un réserviste, un agent dormant. Néanmoins, on peut comprendre une certaine frustration de la fonction, voire pour certains, ressentir un complexe. Mais n’est pas doublure qui veut.
Ici, le suppléant, c’est Monsieur Riton, sec comme une trique. J’étais passé une fois chez Monsieur Riton, alpagué à la fin d’une visite. Ça sentait l’ammoniaque et la sciure de chat, chimiste à ses heures perdues. La porte blindée avec son boudin empoussiéré se refermait dangereusement derrière vous. La décoration était minimaliste, une assiette porcelaine clouée au mur, une collection de figurines en plâtre, le sapin de noël en plastique et la crèche en carton dans un coin du salon. Quelques papiers traînaient sur le buffet, j’avais reconnu mon appel de fonds. Je ne me sentais pas à mon aise. Au bureau, Monsieur Riton nous appelait tous les jours, abonnés aux recommandés, et quand il débarquait à l’improviste, on tirait à la courte-paille pour savoir qui allait s’y coller. Il est vrai que ses voisins ne l’aimaient pas trop. Plutôt austère, il mettait son nez partout. Certains l’appelaient le corbeau, d’autres, la fouine. Les affiches anonymes dans les parties communes, tout le monde savait que c’était lui. Si vous aviez le malheur d’organiser une fête d’anniversaire le samedi soir avec quelques amis, il vous envoyait la police à minuit pétante, et vous dénonçait au syndic le lundi à la première heure : bonne semaine Monsieur Frémont. J’avais même le droit aux photos.Toujours mieux que le jus de poubelle, ça c’était pour la société de ménage le mardi. Et ne laissez pas traîner la poussette du bambin dans le couloir, vous la retrouverez à la benne trois jours plus tard. Oui, Monsieur Riton était quelque peu redresseur de torts...
Les sobriquets n’étaient pas très sympathiques, mais Monsieur Riton suscitait clairement l’hostilité. L’ambiance en assemblée générale n’était pas à la fête, et les voir s’entretuer en réunion était toujours un moment de répit, pour une fois que l’opprobre n’était pas jeté sur le syndic.
Mais au fond, les moqueries et toutes ces petites méchancetés qui l’accablaient étaient un peu injustes, car le suppléant était finalement...le seul à s’occuper de l’immeuble. Il était le seul à se soucier des parties communes, quand tous les autres ne s’intéressaient qu’à leur petit appartement. Il avait été président pendant longtemps, et voulait passer le relais. Mais jamais personne ne se manifesta, les regards se baissaient. Le bénévolat n’était pas chose convoitée en copropriété. Désillusion et amertume, peut-être renfermait-il beaucoup de rancœur. Sans successeur, il resta vingt-cinq ans à donner son temps.
Le suppléant était pénible, mais il était généreux.
Gilles Frémont, directeur copropriété