Copropriété : Une pluie de mails

par Gilles Frémont , Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriété
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Ils arrivent toutes les deux minutes trente-cinq secondes, montre en main. Tel un petit sablier qui s’égrène inexorablement, une trotteuse qui fait tic-tac-tic-tac toute la journée, sans discontinuité. Oui, je compte les minutes qui séparent les mails entrants. J’ai un nouveau métier : tapeur de mails.

Que je les tape comme un forcené sur mon clavier, ou que je les dicte à Siri qui est devenu mon meilleur ami, mon secrétaire particulier, me voilà chaque matin happé dans le tourbillon infernal des mails, inoxydables, infatigables, increvables. J’écope du matin au soir, j’ai peur que le fleuve déborde ; peur d’en perdre une goutte ; peur de perdre le fil ; peur de fermer la petite fenêtre en bas de l’écran ; peur de partir en vacances.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 669 de juin 2021

Combien seront-ils à mon retour de déjeuner ? Le lundi matin, ils sont là, ils m’attendent de pied ferme, gonflés à bloc, remontés comme jamais et impatients d’en découdre. Je les sens avec leurs petites mains crochues m’attirer dans les flammes de l’enfer. Le dimanche soir, ce n’est plus un coup de blues, c’est carrément l’angoisse. Attention, j’appuie sur le bouton ouvrir. Ouch ! Je me prends une vague, un torrent, une tornade, je m’accroche à la rive pour ne pas me noyer, l’instinct de survie. Seul face à la locomotive lancée pleine balle, je suis un guerrier. Non, vous ne passerez pas !

Ma journée est une course contre la montre, je vis dans ma bulle Outlook. Ce soir, ma boîte sera vide, propre, nettoyée, inbox zero, je me le suis juré. C’est un défi permanent, une mission, une quête. Je suis devenu expert de la messagerie, docteur ès courriers électroniques, champion du Cci [Copie carbone invisible - ndlr]. Mes réponses sont de plus en courtes, bref pour tenir la cadence : «Ok c’est noté» ; «Bien reçu je m’en occupe» ; «Parfait je vous remercie». Moins on en dit, mieux c’est, si je renvoie la balle, je me prends un revers du droit, un uppercut. J’esquive les piques, je zappe les polémiques. Parfois je recadre ; parfois je vois rouge ; parfois je ne comprends rien. Souvent, je prends sur moi. Souvent, je rappelle.

J’aime les mails qui disent juste «merci», même si ça en fait un de plus dans la charrette. Quand c’est un spam [courriel indésirable ou pourriel - ndlr], me voilà, soulagé. Je suis affable avec les gentils, sévère avec les méchants. Je “checke” mes mails vite fait, toujours, tout le temps, dans le train du matin avant de débarquer, sur le deux-roues avant de démarrer, au feu rouge si c’est long, en rendez-vous si ça traîne, en AG si je m’ennuie : «Monsieur Frémont qu’est-ce que vous en pensez ? - Pardon vous disiez ?».

C’est mon fil à la patte, ma drogue, ma maîtresse, je n’en veux plus mais j’y reviens encore. Maintenant, je fais des jaloux, les textos me titillent, les notifications m’excitent, les applis miracles m’éblouissent. Et le petit robot du registre qui vient me réveiller au milieu de la nuit. Donnez-moi de vrais clients, qu’ils rentrent sans frapper. C’est grave docteur ?

Gilles Fremont

Gilles Frémont, directeur copropriété / Président ANGC

 

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