Ce vendredi matin, je me délectais d’avoir passé une semaine agréable, un déjeuner-terrasse-rayon-de-soleil m’attendait, un silence inhabituel régnait dans l’agence. J’étais particulièrement confiant, et même la fuite du vendredi n’avait aucune chance de me contrarier. Rien ne pouvait m’atteindre, j’étais serein... jusqu’à ce que mon collègue déboule dans le bureau : «- Chef, on a un problème - Ah ? - Sur la tour 2, le gardien, la gardienne et le technicien sont enfermés dans la loge, un locataire les menace avec une barre de fer. On fait quoi ? »
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 668 de mai 2021
Ok. Je laisse passer un petit silence (ça fait celui qui est sage et qui réfléchit), mais en vrai je n’en sais rien du tout. «- Dis-leur d’appeler la police et, on va peut-être y aller ? - Tu es sûr ? - On est syndics, on va dialoguer». Arrivé sur site, j’aperçois les gardiens dans le hall d’entrée. «- Ben ! Je vous croyais séquestrée Madame Rodriguez ? - Oui mais le malfaiteur s’est enfuit à l’arrivée de la police».
Je tente alors de la rassurer, je suis syndic, je sais y faire : «- Alors Madame Rodriguez, comme ça on s’enferme dans la loge avec son mari et le technicien le jour de son anniversaire ?». Je taquine, mais la blague tombe à l’eau. «- Bon, dites-moi, pourquoi vous a-t-il menacé ? - C’est à cause des nouvelles boîtes aux lettres, celle qui a été attribuée à son propriétaire est trop haute, et la femme de Monsieur ne mesure qu’ 1m 50 ; de plus elle est enceinte - Ah, c’est pour ça ? - Oui, et donc Monsieur est venu demander des explications à mon mari ; la conversation a dégénéré ; il a dit qu’il allait nous casser les dents et que ça ne le dérangeait pas de retourner en prison. Il était furieux ; il criait très fort, avec un accent croate, on a eu très peur, pourtant à travers la porte on lui a bien dit que c’était le syndic qui avait choisi les boîtes, on lui a même donné votre nom - Oh c’est gentil il ne fallait pas - Il passera vous voir à l’agence».
Mon délicieux vendredi s’assombrissait. Vaillant mais un peu fébrile, je m’apprêtais à retourner à mon véhicule, lorsque je vois l’individu revenir. Baraqué, tatoué, débardeur en haut, jogging en bas, mocassins. La police est partie. De loin, il m’interpelle : «Monsieur le syndic ! - Oui c’est moi». Il s’approche : «Je voulais vous expliquer, et désolé pour les placards cassés dans le hall d’entrée ; j’étais un peu énervé ; je les remplacerai demain, mon cousin a une société - Monsieur je comprends, mais on ne peut pas se comporter ainsi - Oui je sais pardon ; je vais reprendre rendez-vous avec mon psychiatre, mais sachez que je n’ai jamais menacé Madame Rodriguez ; jamais je ne toucherai à un cheveux d’une dame, parole de Géorgien». Me voilà rassuré, je lui fais une dernière petite remontrance avant de remonter dans ma voiture. Mais d’un geste brusque, mon nouvel ami retient la portière et me fixe : «Par contre Monsieur le syndic, on fait comment pour ma boîte aux lettres ?».
Gilles Frémont, directeur copropriété / Président ANGC
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