La vie de gestionnaire de copropriété est passionnante, rocambolesque et truffée d’histoires vraies.Laissez-moi vous compter celle-ci, avec recul et nulle rancœur.
Un matin d’automne, il y a fort longtemps, à l’époque où le téléphone sonnait en continue, je reçois un appel de cette dame, une très vieille dame, charmante au demeurant, inoffensive en apparence, une copropriétaire ne laissant présager aucune menace, à qui j’aurais donné le bon Dieu sans confession. «Monsieur le syndic, il y a une fuite au plafond de mes wc, cela fait des années, je suis désespérée il faut venir me voir absolument !», me dit-elle d’une voix frêle et aiguë. En tant que nouveau syndic de l’immeuble voulant montrer toute mon implication et, j’admets, un peu pris par les sentiments, je me déplace et me rends dans l’appartement de la vieille dame. La porte s’ouvre, un agent de la mairie d’arrondissement est déjà là, ambiance. Je me faufile jusqu’au bout de ce long couloir haussmannien, exigu et jauni, et je pousse la porte des wc.
«Madame, votre plafond est totalement sec, regardez la peinture est craquelée et cassante, c’est un ancien dégât des eaux, votre assurance vous indemnisera». Tout à coup sur ces mots, allez savoir pourquoi, ma vieille dame se raidit, comme si elle refusait d’entendre qu’un compagnon l’avait quitté. Le ton monte et, en baissant les yeux, je vois la pipe de son wc enroulé d’un énorme scotch. Une pipe est un tuyau de diamètre 10 cm, souple ou rigide, parfois extensible, droite ou coudée, elle est raccordée à l’arrière de la cuvette pour l’évacuation des eaux usées vers le réseau, à paroi intérieure lisse, la pipe permet un écoulement optimal. «Madame, vous avez vu ? Vous provoquez une fuite chez le voisin du-dessous !». La dame s’énerve et conteste l’évidence, j’insiste : «Je serai obligé de vous adresser une mise en demeure !». À cet instant précis, ma vielle dame se met à vaciller, cligne de l’œil et s’effondre au sol, dans son couloir haussmannien. Le corps est inerte mais il respire encore, je gère ma panique et j’appelle les pompiers de toute urgence, ils arrivent, ils montent, soulèvent la dame et la portent jusqu’à son canapé. Allongée, l’air étrangement revigoré, du coin de l’œil et la voix chevrotante elle chuchote au pompier : «Le syndic a été ignoble avec moi». Consterné, je salue tous ces gens et m’en retourne à mon bureau.
Quelques jours plus tard, je reçois une lettre : convocation au commissariat de police. «Monsieur l’inspecteur qu’ai-je donc fais donc ?»; «Madame a déposé une plainte, vous l’auriez poussé et sa tête aurait heurté le radiateur». Les bras m’en tombent. «Monsieur l’inspecteur, voici ma version, l’agent de la mairie vous la confirmera». Classement sans suite.
La moralité de l’histoire est double : ne jamais se fier aux apparences, et toujours se faire accompagner. Je m’en souviendrai longtemps de cette pipe.
Gilles Frémont, directeur copropriété / Président ANGC
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