Voilà bientôt deux mois que je ne suis pas sorti de chez moi et j’avoue m’être quelque peu habitué à cette nouvelle vie.
Mon jardin est beau, on fait des parties de football avec les enfants après le goûter.
Je travaille doucement mais sûrement, le nombre des mèls a fondu du jour au lendemain et se sont recentrés sur l’essentiel : on traite les urgences et l’administratif depuis la tablette.
Je téléphone à mes présidents de conseils syndicaux exilés en Normandie, à l’île-de-Ré ou à Cassis.
Il faut dire que depuis le début du grand confinement, tous mes copropriétaires sont d’une extrême bienveillance. «Portez-vous bien, prenez soin de vous». Je n’avais jamais vu autant de sollicitude. Moi aussi, j’ai écouté notre Président nous parler de la guerre, j’en avais des frissons partout, de la concorde nationale, je voyais des héros partout. Mon plombier était un héros, mon dégorgeur un héros, même le syndic a eu droit à un répit. On s’applaudissait tous les soirs. Sur les réseaux, je lisais ces philosophes prédicateurs nous annoncer un nouveau monde. Quelle époque historique nous vivions !
Le gouvernement nous faisait grâce tous les jours d’une myriade de dates, 12 mars, 24 mai, 24 juin, 10 juillet, 24 novembre, 24 janvier -et encore on ne sait jamais si c’est 23 ou 24- nos contrats en étaient tout retournés, les frises chronologiques fleurissaient sur la toile. Des webinaires à foison : le digital allait devenir incontournable cette fois-ci, c’est sûr. Les startups en sweat-shirt nous l’assénaient avec humilité -«connecte-toi ou crève». Sur les AG en “visio”, on a tout entendu : on faisait parler les textes, comme on fait tourner les tables. Alors moi aussi, je me suis mis aux réunions Zoom. C’est vrai que c’était sympa de se voir entre collègues, on parlait de tout sauf boulot, on voyait les enfants passer, on démarrait avec une demi-heure de retard -«On a perdu Micheline ? Jean-Louis, tu nous entends ?». Oui, drôle de période ! Je bossais pendant les vacances et même le dimanche. Tout se confondait, l’école, le travail et l’apéro au même endroit, le soir venu on décomptait les morts et les nouveaux chômeurs, on écoutait les savants et les sachants, je voyais cette chaîne de solidarité humaine, ces milliards qui pleuvaient du ciel.
Voilà, à quelques jours de la délivrance du 11 mai, je suis empreint d’appréhension pour mes gardiennes, j’ai fait livrer le kit avec son gel, ses masques et sa visière de CRS ; pour mes équipes, j’ai fait le planning de télétravail qui volera sans doute en éclats dans une semaine. Je sens déjà la vie reprendre son cours, les mèls aux paroles aigres sont de retour, les demandes de badges, urgent, les demandes des états-datés, la veille pour le lendemain. Les frictions d’avant sont là, intactes, mais à vrai dire aujourd’hui je n’ai qu’une seule crainte, une seule angoisse, une seule véritable interrogation : vais-je encore rentrer dans mon costard ?
Gilles Frémont, directeur copropriété / Président ANGC
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