Ce matin, j’ai reçu une lettre. Une longue lettre. Elle m’était adressée en recommandé avec accusé de réception par la copropriétaire du 5ème droite, Madame Dubois.
Après avoir écumé mes cinquante mails, je me plonge avec un café serré dans la lecture du récit manuscrit. Elle me racontait les innombrables nuisances que lui infligeait son voisin du dessus et «l’enfer» dans lequel elle vivait depuis son emménagement. La lettre était particulièrement descriptive et me voilà désormais, moi syndic, mieux que quiconque, informé de la vie privée de son voisin, Monsieur Dupont. Je savais maintenant à quelle heure il rentrait chez lui le soir puisque «la porte claque très fort sans aucune retenue», je savais qui étaient ses amis et de quoi ils parlaient puisqu’ils «rient à gorge déployée dans ses soirées festives fenêtres grandes ouvertes sur la courette», je savais à quelle heure il se disputait avec sa conjointe puisque «leurs éclats de voix traversent les murs porteurs», et je savais enfin à quelle heure ils se réconciliaient puisque «leurs ébats traversent les planchers».
Oh, bien sûr, je n’avais pas très envie de répondre à ce courrier qui sentait fort la poudre, mais Madame Dubois me sommait d’intervenir dans cette affaire en me rappelant fermement que, moi syndic, je devais faire respecter le règlement de copropriété et qu’il en irait de ma propre responsabilité.
Alors, après un bref rappel à Madame Dubois sur la notion juridique des troubles anormaux du voisinage, sur la différence entre préjudice individuel et préjudice collectif, et sur le rôle du syndic, je lui confirme que son courrier a retenu toute mon attention, que je déplore cette situation, que je me charge d’écrire à ce copropriétaire, mais que je n’irai pas plus loin dans ce dossier qu’un rappel au règlement.
Puis, je m’attelle à la tâche. Quelques secondes d’hésitation et un léger soupir devant cette page blanche. Comment commencer ? Quoi dire ? Première règle d’or : employer le conditionnel. Deuxième règle : faire bref. Pas de brûlot. Je tape, je signe, j’expédie.
La réponse de Monsieur Dupont électrisé ne tardera pas à me revenir comme le boomerang. Il me dira que tout ceci n’est que mensonge et calomnie, que j’accuse sans vérifier (le conditionnel n’a pas marché), que je cède à de sombres manipulations et petits jeux d’influence qui sévissent dans cet immeuble, qu’il sait beaucoup de choses mais ne le dit pas encore, que c’est lui au contraire qui va porter plainte contre sa voisine qui le harcèle, et contre moi maintenant puisque je le harcèle aussi.
Et me voilà à nouveau pris à partie. Me voilà encore pris dans l’embûche du conflit de voisinage où, moi syndic, je fais office de maire du village. Tout cela je le savais un peu d’avance à vrai dire.
Et je savais aussi qu’à cet instant précis, avec mon café serré, je refermerais le dossier.
Pour de bon ?
Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriétéMembre de l'ANGC ? Abonnez-vous à la revue à un tarif préférentiel !
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