Bientôt 18 heures, c’est la fin de semaine. Le standard va fermer, je range mon bureau et j’enfile mon manteau, l’ordinateur finit de s’éteindre.
Ça sent bon le week-end, mes pensées sont déjà ailleurs.
À cet instant, le téléphone sonne comme un cri strident. Je le fixe du regard, j’hésite à décrocher.
Est-ce la fuite du vendredi ? Ma conscience professionnelle me fait tendre le bras, fébrilement …
«Bonjour Monsieur le syndic, c’est la dame du 2ème, il pleut chez moi, c’est catastrophique, qu’est-ce qu’on fait ?». Et voilà j’en étais sûr. Je rallume l’ordinateur, j’enlève le manteau. «Ça fuit comment Madame ? Un goutte-à-goutte ou en continu ? De l’eau claire ou de l’eau sale ? Ça fuit où ? Au plafond ? Êtes-vous allée voir votre voisin du dessus ?». Les réponses sont confuses et désordonnées, mais je comprends tour à tour, que le propriétaire du dessus n’habite pas l’immeuble, que je n’ai pas les coordonnées de son locataire, que la vanne d’arrêt est dans son appartement fermé à double tour, que ça fuyait depuis hier, et qu’on a attendu ce soir pour m’appeler. La totale.
Ça commence à perler sur mon front, mais pas de panique, on gère. Un coup de fil au propriétaire du dessus, pas de réponse évidemment. Je lui envoie un mail, un peu comme on jette une bouteille à la mer. J’espère que son locataire n’a pas fait un malaise dans sa baignoire ?
Je rappelle Madame et tente d’une voix apaisée de la rassurer : «Ne vous inquiétez pas, on va trouver une solution, mettez un seau d’eau déjà». Mais la petite dame s’affole et s’énerve : «appelez les pompiers !», me crie-t-elle. Je voudrais bien, mais les pompiers ne se déplacent plus. «Appelez la police alors !». Oui, on va essayer. Le dialogue dévie, je reprends le contrôle : «Descendez à la cave et coupez la colonne, Madame, c’est sur la nourrice, vous voyez ce que c’est ?». «Mais je n’ai pas le droit de faire ça Monsieur le syndic !». «Faites-le quand même, c’est temporaire, vous mettez un mot sur la porte, et puis faudrait savoir ce que vous voulez !». La fin justifie les moyens.
Mais pourquoi ai-je décroché ? Ça commence à fuir deux étages en dessous, le Monsieur du 1er m’appelle à son tour. Me voilà débordé et tout seul au bureau, souriant mais crispé, téléphone coincé sur l’épaule, je salue d’un petit signe mon collègue qui s’en va. Réfléchissons, je n’ai pas le droit de forcer la porte, on va m’accuser de violation de domicile, et il paraît que c’est déjà arrivé à un collègue d’un collègue dans un autre cabinet. La hantise du copropriétaire procédurier. J’appelle le commissariat pour leur demander de venir constater. Je dois insister et tout réexpliquer, c’est lourd mais je finis par avoir mon rendez-vous. On y est presque, j’appelle le plombier d’astreinte, le serrurier, et on file à l’immeuble. J’enfile mon manteau, une deuxième fois. «On arrive Madame…».
Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriétéMembre de l'ANGC ? Abonnez-vous à la revue à un tarif préférentiel !
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