Copropriété | Griefs ou discordes : procès ou médiation ?

par Nathalie LEVRAY, journaliste
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copropriétéLes lois n’empêchent ni les mésententes ni le non-respect des règles. L’intervention d’un tiers neutre peut éviter le recours à un juge et s’avérer payante.

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 704 de décembre 2024

Nuisances sonores et/ou olfactives, perte de tranquillité et insécurité causées par les locations de type Airbnb, trouble esthétique causé par la dégradation des parties communes, stockage sauvage de déchets ou présence d’objets plus ou moins insolites sur les balcons, impayés d’un copropriétaire de mauvaise foi, désaccord avec un prestataire extérieur, malversation ou erreur administrative de la part du syndic, mésentente avec lui, les déclencheurs de griefs, querelles ou, plus grave, de violences entre résidents d’une copropriété ou des alentours, ou encore avec des fournisseurs ou artisans sont pléthores.

Pour résoudre ces discordes, le tribunal judiciaire peut être saisi. La procédure sera longue, coûteuse, chronophage et son résultat, aléatoire. Et, «dans ce ménage à trois, composé d’un syndic, d’un conseil syndical et de copropriétaires»1, il faudra vivre aux côtés de la partie avec laquelle le fer aura été croisé : les relations risquent de rester tendues et de nuire à la vie en communauté imposée par l’organisation en copropriété.

Une base légale …

Eviter le procès peut être un choix : se mettre autour d’une table et discuter pour tenter de solutionner un conflit. Pas vraiment la culture française… et pourtant la réforme de la procédure civile a donné un coup d’accélérateur à la justice amiable en imposant le recours obligatoire aux modes alternatifs de règlement des différends (MARD). Depuis le 1er janvier 2020, l’article 750-1 du Code de procédure civile impose de faire précéder toute demande en justice, «au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros». Une règle qui s’applique également à tous les litiges relatifs à un trouble anormal de voisinage, au bornage, à la mitoyenneté, aux plantations, à l’élagage, aux servitudes de passage de canalisation ou d’écoulement des eaux, au curage des fossés et canaux d’irrigation.

Le recours à la conciliation, gratuit, s’organise en mairie. Le conciliateur est chargé de suggérer des solutions amiables, que les parties aient saisi ou non un juge. Marie-Hélène Martial, médiatrice copropriété et gestion immobilière et experte près la cour d’appel de Paris [auteure de la revue] précise : «la médiation est payante, le médiateur peut être compliqué à trouver et il ne doit pas orienter les parties».

En revanche, la procédure participative, confiée aux seuls avocats des parties et en l’absence de tiers, est une négociation assez peu développée «pour des raisons de responsabilité», confie Marie-Hélène Martial, la considérant «mal maîtrisée».

… pour un accord …

Selon la médiatrice, «plus la question est complexe, plus l’opportunité d’aller vers la médiation est réelle». D’autant que le médiateur peut s’adjoindre un expert technique ou un comédiateur. Isabel Pais y Gosende, avocate à la cour, explique : «les parties se rencontrent et se parlent et sont alors en état de comprendre qu’il existe peut-être une autre histoire que celle qu’elles imaginent. Le rôle du tiers qu’est le médiateur permet ce que ne permet pas un face à face». Véronique Bacot-Réaume, médiatrice, experte près la cour d’appel de Versailles et agréée par la Cour de cassation, confirme : «dans un procès les parties en cause sont dépossédées de leur défense. On reste, ce qui est légitime, sur le domaine du droit mais l’affect et le respect de l’autre ne sont pas envisagés car ce ne sont pas des notions qui relèvent d’un code».

Marie-Hélène Martial ajoute : «la médiation présente un intérêt si le différend est basé sur une méconnaissance, une incompréhension du mode de fonctionnement de la copropriété». Le médiateur est donc alors là pour arrondir les angles et expliquer ce qui n’aurait pas été connu ou compris ; un atout fort dans la construction de ce qui pourront être les bases d’un accord.

… avec des bémols

Avantageuse par rapport à un procès en termes de délais (trois mois, renouvelable une fois), de coûts (de l’ordre de 250 € par heure, à diviser par le nombre de parties) et d’humanisation des conflits, la médiation «est souvent synonyme de compromis ; elle ne sera pas la solution lorsqu’une personne veut absolument avoir raison et le faire savoir», tempère Véronique Bacot-Réaume. Les parties doivent avoir vraiment envie de régler leur conflit. Isabel Pais y Gosende met d’ailleurs en garde contre l’instrumentalisation de la médiation : «dans le cadre d’une médiation judiciaire, certaines personnes, syndic ou copropriétaire, ont intérêt à utiliser cette pratique pour retarder l’issue du procès».

Marie-Hélène Martial alerte : «tous les litiges ne relèvent pas d’une résolution amiable. La médiation est efficace dans un dossier sur 4 ; pour les 3 autres, elle ralentit la résolution du litige». Par son injonction adressée aux parties de rencontrer un médiateur, le juge ne contrevient-il pas au principe du volontariat de ce mode alternatif de résolution des différends ?

La question mérite d’être posée au regard de la désorganisation et de l’engorgement des tribunaux. Les MARD et la justice amiable voulue par les pouvoirs publics seraient, en partie du moins, une façon de faire face à la situation critique de la justice et de dévier une partie des litiges civils vers un autre canal.

Un nouveau paradigme ?

Si développer la connaissance de la médiation auprès des syndics et des copropriétaires peut participer à sa diffusion, «cette culture du dialogue et de la discussion est à mettre en place dans une France plutôt cartésienne», constate Marie-Hélène Martial. Isabel Pais y Gosende parle de son côté «d’un changement des mentalités et de l’adoption d’un principe de coopération en matière de justice». Alors une célèbre maxime pourrait être adaptée pour rappeler que, finalement, mieux vaut un bon arrangement qu’un mauvais procès.