Un ton rageur, des récriminations, des mises en accusation par des copropriétaires – plutôt jeunes – apparaissent sur le réseau social Twitter … à l’encontre de copropriétaires – plutôt âgés.
Ces derniers s’opposeraient aux décisions écoresponsables de leur copropriété. Nous avons voulu en avoir le cœur net : assiste-t-on à la naissance d’une fracture générationnelle dans les copropriétés ?
«La fracture générationnelle n’est pas nouvelle», répond Bertrand Esposito, président du syndic Loiselet & Daigremont, gestionnaire de 1 500 copropriétés.
«En revanche, concède-t-il, elle s’accentue.» Le Covid a «amplifié les tensions» ; les personnes, plutôt âgées, veulent profiter des jardins dans la journée, les télétravailleurs réclament le silence … sauf lorsque leurs enfants jouent dehors.
Autre point de friction selon lui : la question énergétique. «La fracture générationnelle apparaît de façon aigüe quand il s’agit d’engager des frais élevés pour des travaux de long terme, notamment les travaux de rénovation dont la rentabilité se joue à dix ans et plus», confirme Anaïs Rodriguez, directrice «métiers copropriété» chez Syneval, courtier en syndic. «D’un côté, la tranche des 30 / 40 ans, visionnaire, qui pense à la revente ; de l’autre, la génération retraitée des 70 ans et plus, qui ne veut pas investir», ne se sentant pas concernée par des fruits qu’elle ne récoltera pas.
Fracture plutôt financière
Vue depuis le conseil syndical, la ligne de rupture n’est pas aussi tranchée. Aurélie Vadel, 40 ans, suppléante de l’association syndicale libre regroupant trois copropriétés et un immeuble social (Le champ de courses) à Eaubonne (95), illustre l’opposition entre générations par la résolution proposée à l’assemblée générale de 2021 de réduire la température de chauffage de 20 à 19°C. «Les plus de 60 ans [ndlr : 55 % des droits de vote] ont voté contre par crainte d’avoir froid dans nos immeubles mal isolés de la fin des années 60. L’argument de la baisse du montant des charges n’a pas été entendu.» En revanche, elle note qu’il n’y a eu «aucune grosse opposition sur la décision de ravalement avec isolation extérieure». La fracture est ici «davantage financière qu’écologique», estime-t-elle. Un avis partagé par Rémi Chataignier, 40 ans, membre du conseil syndical d’une des copropriétés membre de l’ASL, Eaubonne 2 (240 logements) : «j’échange facilement avec les aînés ; la fracture n’oppose pas les jeunes et les vieux. Elle est fonction des revenus et des priorités de chacun».
Pour Véronique Collon, présidente du conseil syndical, c’est le niveau de ressources qui a clivé lors de la rénovation énergétique de la résidence La Cerisaie (56 lots) à Clamart (92). Idem à Saint-Ouen (93), dans une copropriété proche de la porte de Clignancourt (40 logements aux 2/3 loués). Les cinq bâtiments construits entre 1900 et 1960, dont trois constitués de logements, nécessitent de gros travaux et l’argument environnemental «ne fait pas mouche». A l’assemblée générale ayant voté le stade 1 d’une rénovation – la conception des travaux –, la fracture est financière ; le coût des travaux est un réel handicap pour les copropriétaires-occupants les plus modestes. Quant aux copropriétaires-bailleurs, ils ne veulent pas investir et paient déjà difficilement leurs charges… «Le problème des impayés va freiner le lancement des travaux», estime Lucas Jourdain, 37 ans, président du conseil syndical.
Consensus sur l’écoresponsabilité
«L’écoresponsabilité, avec des jardins partagés, des bacs de compostage, des rénovations énergétiques, des bornes de recharge électriques des voitures électriques, l’agrandissement du local à vélo, … portée par de jeunes copropriétaires soucieux du climat et de la planète, arrivent dans les copropriétés», note Renaud Franchet, associé du syndic Franchet & cie. Mais les plus âgés ne sont pas forcément contre. A la résidence Le Nymphéa de Lyon (2003), le président du conseil syndical ne relève aucun conflit de ce type. Plusieurs de ces décisions, instiguées par les plus jeunes, ont été votées sans opposition, les moins d’accord se contentant de s’abstenir. Peut-être parce que la copropriété est «jeune» : quatre lots seulement sont occupés par des retraités sur les 46 logements qu’elle compte.
À Eaubonne, les familles ont été moteur pour faire voter, à 70 %, l’expérimentation du compostage en mai 2022 ; dans la résidence où les espaces verts, haies et grands arbres, sont nombreux, le ré-engazonnage a été accepté à 65 %. A Clamart, où «la copropriété a tendance à rajeunir», l’installation des bornes de recharge a été décidée à 80 %. Mais ces décisions ne sont pas fortement consommatrices de budget. Ceci explique sans doute cela.
Le fossé est ailleurs
La fracture entre seniors et jeunots porte davantage sur les usages et la façon de vivre. A Eaubonne, les plus âgés ont voté pour des caméras, et, sauf exception, la fermeture de la résidence. A Sèvres (92), Florence Guérin, membre des conseils syndicaux des deux copropriétés (250 lots chacune) de la résidence des Hauts-de-Sèvres depuis 1982, note «un manque d’éducation des enfants» et «un gros décalage» avec les jeunes copropriétaires. Elle se désole du «non-respect des pelouses : les jeunes y sortent les piscines en plastique, pique-niquent et laissent leurs enfants cueillir les fleurs».
Pour Lucas Jourdain, le gap générationnel s’inscrit «dans l’envie de s’investir au conseil syndical et l’attention portée au collectif». Les jeunes sont trop occupés par ailleurs et ont «peur de ces responsabilités ; les personnes plus âgées sont davantage présentes à l’assemblée générale ou à la fête des voisins».
La vie en copropriété n’est pas un long fleuve tranquille ! Pour devenir un endroit de vivre-ensemble, de décisions discutées et comprises pour être appliquées sans tensions entre habitants différents ; la copropriété doit être vue d’un œil neuf. A son arrivée au conseil syndical en 2017, Véronique Collon a, par exemple, agi pour rendre sa cohésion à un ensemble immobilier fractionné «par immeuble» et non par âge.
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