À compter du 1er octobre 2019, la Cour de cassation modernise la rédaction de ses décisions pour les rendre plus claires et intelligibles. Cette réforme participe de la dynamique générale tendant à renforcer l’accessibilité de la justice.
Fini les formules obscures et ramassées des arrêts, sources parfois de divergences d’interprétation au sein même des juridictions ; place à un style direct, sans «attendu» ni phrase unique.
Mais ce n’est pas tout : les décisions les plus importantes vont bénéficier de façon plus systématique d’une motivation enrichie.
Dire le droit et être compris, telles sont désormais l’abscisse et l’ordonnée du juge.
La nouvelle présidente de la Cour de cassation, Chantal Arens
Accessibilité et intelligibilité du droit : deux objectifs cardinaux poursuivis par la réforme
Quelques mois après le Conseil d’État, la Cour de cassation change le mode de rédaction de ses arrêts. Le but de cette réforme : renforcer la clarté et enrichir la motivation des décisions de justice. La motivation, qui montre quel est le raisonnement du juge, est en effet tout aussi essentielle que le dispositif de l’arrêt (ce qu’il décide).
Cette petite révolution répond aux attentes des citoyens qui, en matière de justice comme de médecine, exigent dorénavant de comprendre les décisions qui les concernent. Sans oublier que les juridictions de premier et second degrés (tribunaux de grande instance et cours d’appel) ont également besoin de décisions qu’il n’est nul besoin de réinterpréter.
Or, jusqu’à maintenant, ce sont des formules lapidaires et impénétrables qui gouvernaient la rédaction des arrêts. À tel point que la Cour européenne des droits de l’Homme, dans une affaire Quilichini du 14 mars 2019, est venue reprocher à la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français l’insuffisance de motivation de ses décisions. Pourtant, c’est bien la Cour suprême, dotée de ses six chambres (trois chambres civiles stricto sensu auxquelles s’ajoutent une chambre commerciale, économique et financière, une chambre sociale et une chambre criminelle), qui trace les grandes lignes de la jurisprudence à travers de près de 30 000 litiges dont elle est saisie chaque année.
Une adaptation et une gradation de la motivation des arrêts semblaient donc plus que nécessaires. C’est pourquoi à compter du 1er octobre 2019, la Cour de cassation passe en style direct pour l’ensemble de ses décisions.
Néanmoins, la nouvelle rédaction des arrêts ne conduit pas à abandonner l’exigence de rigueur du raisonnement juridique, véritable marque de fabrique de la Cour suprême. Le souci du syllogisme juridictionnel, qui traduit la logique déductive du juge, demeure donc. Idem pour l’usage de certains termes techniques, utiles à la précision de la décision, tels que «adjudication», «quorum» ou encore «dommage décennal». Le travail de vulgarisation du juge rencontre donc ses limites.
Une rédaction en style direct pour toutes les décisions
La phrase unique, introduite par des attendus, est remisée au profit d’une rédaction en style direct (sujet, verbe et complément), accompagnée d’une numérotation des paragraphes. Autrement dit, plutôt que de vouloir faire tenir en une phrase interminable les réponses des juges à plusieurs questions des demandeurs, la Cour de cassation procède par paragraphes numérotés. L’idée directrice est de consacrer un paragraphe à une seule idée. Il était temps, oserait-on dire.
Surtout, toutes les décisions de la Cour de cassation vont devoir comporter trois parties bien distinctes, organisées selon un plan-type. Les titres des parties ne seront pas numérotés, mais les divisions de l’arrêt seront identifiées par un graphisme différencié de chaque niveau de titre.
En pratique, le séquençage de l’arrêt se présentera ainsi dès octobre 2019 :
- La première partie : Faits et procédure, introduit par la formule : «Selon l’arrêt attaqué… » ;
- Deuxième partie : Examen des moyens du pourvoi (critique de la décision attaquée), introduit par la formule : «Monsieur X… [La société Y…] fait grief à l’arrêt de (suivi du verbe à l’infinitif) … alors que…» ;
- Troisième partie : Dispositif de l’arrêt (ce qu’il décide), introduit par la formule : «Par ces motifs, la Cour…» suivi, à la ligne, de l’énoncé de chaque branche de la décision.
Les visas des textes ou principes généraux du droit, que la loi impose en matière de cassation, continueront à figurer en tête de la discussion de chacun des moyens qui y donne lieu.
Autre élément inchangé, les chapeaux (énoncé d’un texte ou d’un principe de référence) seront conservés.
Une motivation enrichie au bénéfice des arrêts les plus importants
La motivation en forme développée constitue l’autre grand axe de cette réforme. Ainsi, les arrêts les plus importants (revirement de jurisprudence, solution de droit nouvelle, unification de la jurisprudence ou garantie d’un droit fondamental, à l’instar du droit de propriété) bénéficieront, plus systématiquement, d’une motivation développée.
En pratique, il s’agira de mettre en évidence la méthode d’interprétation des textes pertinents retenue par la Cour, d’évoquer les solutions alternatives écartées lorsque celles-ci ont été sérieusement discutées au cours du délibéré, en mettant en évidence les raisons pour lesquelles elles ont été écartées. Autrement dit, la décision doit se suffire à elle-même. Les arrêts “Maison de la poésie” 1 et 2 auraient gagné à bénéficier de ce nouveau dispositif.
Et, en cas de revirement de jurisprudence, dont on sait qu’il met à mal des stratégies juridiques établies, il est essentiel que la Cour s’explique sur les raisons même du changement opéré. C’est ainsi que la modification des circonstances, du contexte juridique ou même économique devra être mise en avant.
Le cas échéant, il sera fait état des études d’incidences, lorsqu’elles ont joué un rôle conséquent dans le choix de la solution retenue.
Ultime bénéfice attendu de cette réforme et non des moindres, la motivation en forme développée est un gage de sécurité juridique pour les justiciables, car la lisibilité de la décision devrait participer de la prévisibilité du droit.