"Loi ELAN et copropriété"
Hugues Périnet-Marquet est professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) et président du GRECCO (Groupe de RECherche en COpropriété).
Vous avez été, avec le GRECCO, en grande partie à l’origine de la réforme opérée par la loi ELAN en matière de copropriété. Les dispositions qui viennent d’être votées correspondent-elles aux propositions que vous aviez formulées ?
«Le GRECCO se réjouit, effectivement, de ce que le Sénat ait repris un certain nombre des dispositions de son projet. Ainsi, l’article 204, qui rajoute un 5e alinéa au II de l’article 14-2 II de la loi de 1965 en précisant que «cette affectation doit tenir compte de l’existence de parties communes spéciales ou de clé de répartition des charges», reproduit mot à mot l’alinéa 2 de l’article 67 du projet du GRECCO et vise à résoudre une difficulté pratique qui n’avait pas été vue lors de la mise en œuvre du fonds de travaux. De même, l’article 206 reprend les dispositions de l’article 3 du projet du GRECCO en définissant les lots transitoires dans deux nouveaux alinéas de l’article 1, avec deux précisions bienvenues, relatives à la détermination du terrain et à la nécessité d’une stipulation dans le règlement de copropriété.»
«La question de la mise en conformité des règlements existants n’avait pas été abordée par le GRECCO. Sans doute le législateur vise-t-il l’existence de lots transitoires indéterminés quant aux constructions à réaliser et qu’il faudra donc, pour mettre en conformité avec la loi, encadrer dans un délai de trois ans. La majorité de l’article 24 peut surprendre dans la mesure où la mise en conformité ne suppose pas simplement une modification formelle du règlement, mais dans l’hypothèse où aurait été créé un droit de construire ouvert, à en déterminer avec précision les limites et les modalités, c’est-à-dire à réduire ce que l’on pouvait considérer comme un droit acquis.»
«L’article 209 reprend l’article 7 du projet du GRECCO avec cependant une modification. S’il précise que les parties communes spéciales impliquent l’existence de charges spéciales, il ne dit rien en ce qui concerne la réciproque, ce qui suscitera, sans doute des interrogations. De même, les travaux du GRECCO ont été repris en ce qui concerne les parties communes à jouissance privative, dans les articles 6-3 et 6-4. La modification de l’article 19-2 est également directement inspirée d’une proposition du GRECCO ayant souhaité que les pouvoirs du juge s’appliquent tant aux dépenses du budget prévisionnel qu’à celles hors budget prévisionnel. Egalement, la réduction de la prescription de 10 ans à 5 ans proposée par le GRECCO se retrouve dans l’article 213 modifiant l’article 42 de la loi de 1965.»
«Ainsi donc, même si quelques modifications ont été faites, un certain nombre de propositions du GRECCO, sans doute les plus consensuelles et celles qui n’étaient pas susceptibles d’obérer la future réforme envisagée, ont été reprises à l’initiative du Sénat que l’on peut remercier.»
La loi ELAN a également prévu qu’une réforme du statut de 1965 soit également opérée par voie d’ordonnance. Selon vous, quels seraient les axes privilégiés de la future ordonnance ?
«Il est difficile de prévoir quel sera le contenu de la future ordonnance qui doit réformer le droit de la copropriété. Cependant, la rédaction de l’article 215-II de la loi ELAN donne un certain nombre d’indications précieuses.»
«L’ordonnance devra, en effet, redéfinir le champ d’application et adapter les dispositions de la loi de 1965 au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété, et modifier les règles d’ordre public applicables à ces copropriétés. On voit donc que le législateur semble se diriger nettement vers une modulation beaucoup plus grande qu’aujourd’hui des règles d’ordre public. Il y a fort à parier que beaucoup moins de textes de la future ordonnance seront d’application générale et obligatoire et que des règles différentes vont être instaurées pour certaines catégories de copropriétés selon leur affectation et leur taille. L’ordonnance doit aussi clarifier, moderniser, simplifier, adapter les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété, celles relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires, ainsi que les droits et obligations des copropriétaires, du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic. Les termes choisis sont suffisamment larges pour englober tous les aspects de la loi de 1965, laquelle pourrait donc faire l’objet d’une réforme profonde. Si l’on combine les deux éléments visés par l’article 215, il y a fort à parier que des règles spécifiques de gouvernance seront adaptées en fonction du type particulier de copropriété et que les majorités et modes de gouvernance seront également revus. Il est possible que, au moins dans certaines hypothèses, les pouvoirs de l’assemblée générale soient réduits et que corrélativement, le conseil syndical puisse se voir attribuer certaines prérogatives nouvelles.»
«Mais il est difficile d’aller plus loin dans la prospective car le gouvernement est très discret sur ses grandes orientations, ce qui est d’ailleurs prudent, compte tenu de l’aspect très sensible de toute réforme en matière de copropriété.»
Il est question d’une autre ordonnance visant à codifier le droit de la copropriété. Que pourrait apporter cette codification ?
«La codification est une forme de consécration et, de ce point de vue, codifier la copropriété ne peut que donner du lustre à une institution parfois méprisé par la doctrine qui n’y voit qu’un avatar du droit des biens réservé aux praticiens. On pourrait, certes, regretter que la copropriété ne réintègre pas le Code civil. Tel est d’ailleurs le choix qui a été fait lors de la récente réforme du droit de la copropriété dans l’Ile Maurice, votée fin octobre, où le Code Civil très inspiré de celui de 1804 intègre désormais, dans une centaine d’articles numérotés 664-1 à 664-94 sur la copropriété, une version modernisée de la loi de 1965 et du décret de 1967. Tel est également le choix du droit belge dans le projet de réforme de droit des biens qui vient d’être présenté à la Chambre. Cependant, le choix d’un code autonome peut trouver deux justifications. Tout d’abord, il permet d’y intégrer les dispositions éparses relatives à la copropriété, absente de la loi de 1965. Ensuite, le droit de la copropriété est aujourd’hui partagé, quant à son élaboration, entre le ministère du logement et celui de la Justice et un code spécifique est sans doute un moyen élégant d’éviter que l’un des deux ne s’octroie un monopole en ce domaine. Il sera cependant intéressant de voir à qui est, finalement, rattaché ce code».
Propos recueillis par la rédaction