[Parole d'expert] Mise en conformité des règlements de copropriétés

par Publi-information
Affichages : 4227

 Entretien* avec 3 experts

Professeur Daniel TOMASIN, Maître Patrick BAUDOUIN et Monsieur Olivier SAFAR

Daniel Tomasin, Patrick Baudouin et Olivier Safar 

Trois experts en droit de la copropriété : M. Daniel TOMASIN, professeur émérite de l’Université Toulouse I ; Maître Patrick BAUDOUIN, avocat au barreau de Paris spécialiste du droit de la copropriété et Olivier SAFAR, président de la société SAFAR notamment en charge de gestion de copropriétés, nous livrent leur interprétation de la loi ELAN et de la problématique épineuse de la mise en conformité des règlements de copropriété.

 

1. Confirmez-vous que l’article 209-II de la loi ELAN du 23 novembre 2018 est un texte impératif ? Quelles sont les implications ?

M. TOMASIN : La loi n°2018- 1021 du 23 novembre 2018 dite ELAN a créé deux cas de mise en conformité. Celle de l’article 206-II et celle de l’article 209-II. L’un vise la mise en conformité du règlement de copropriété relatif au lot transitoire (art. 1er al.3) l’autre la mise en conformité des dispositions relatives aux parties communes spéciales et les parties communes à jouissance privative (art. 6-4)

Dans les deux cas précédemment cités, ces articles posent des règles d’ordre public sanctionnées par l’article 43 de la loi.
Dans ces conditions, les textes de l’article 206-II et 209-II empruntent le caractère d’ordre public des textes qu’ils sanctionnent.

Cela signifie que toute clause d’un document qui disposerait du contraire serait considérée comme « non écrite », donc dépourvue de toute efficacité juridique.
Il en ressort que ni le syndicat ni le syndic ne peuvent éviter cette obligation.

Me BAUDOUIN : Le caractère impératif implique l’obligation pour le syndic d’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée générale des copropriétaires la question de la mise en conformité du règlement de copropriété seulement s’il y a lieu de le faire.
Cela signifie que si le règlement de copropriété nécessite cette mise en conformité, le syndic est tenu de mettre à l’ordre du jour de chaque assemblée générale des copropriétaires la question de la mise en conformité. »

 

pexels-paulo-marcelo-martins-24126072. Est-ce que la seule mission propre du syndic est de mettre à l’ordre du jour la question de la « mise en conformité » du règlement de copropriété ?

M. TOMASIN : La loi ELAN n’a pas été complétée, en ce qui concerne ce sujet, par un décret ou un arrêté d’application définissant les moyens que le syndic devrait mettre en place. En l’absence de toute règlementation, le syndic doit obéir à l’obligation formelle que lui impose la loi dans l’article 209-II. Tel que décrit par la loi, il doit inscrire la question de la mise en conformité à l’ordre du jour de chaque assemblée générale et doit faire voter l’assemblée générale sur un projet de mise en conformité.

 

3. Tous les règlements de copropriété ne sont pas concernés par cette mise en conformité imposée par la loi. Il convient donc de lever cette incertitude.
Est-ce au syndic de réaliser l’analyse juridique du règlement de copropriété qui permettra de lever l'incertitude liée à la nécessité d’une mise en conformité du règlement de copropriété ?

M. TOMASIN : Oui et non. Le syndic doit se faire assister du notaire, du géomètre expert ou de l’avocat qui a rédigé le règlement de copropriété ou faire examiner ce dernier par un notaire qui a rédigé des actes de cession de lot sur ce sujet de façon à pouvoir poser la question lorsqu’il y a des incertitudes.

Ce n’est pas la spécialité du syndic d’effectuer l’analyse juridique du règlement de copropriété qui pose problème.

M. SAFAR : Il y a peut-être une mise en conformité à effectuer pour le règlement de copropriété, on ne sait pas laquelle. La question est de savoir si le syndic a le droit de rédiger un modificatif au règlement de copropriété, de vérifier les répartitions de charges, ou de se positionner sur tout autre point juridique complexe.

Si un syndic envisageait de le faire, il devrait prendre en considération le fait que l’article 18 de la loi, modifié par l'ordonnance du 30 octobre 2019, n’attribue pas une telle prérogative au syndic. Ce ne sont pas des prestations dévolues par la loi au syndic. Il existe un autre obstacle à cette mission de vérification des règlements de copropriété : les syndics ne sont pas assurés pour cela. La rédaction des modificatifs au règlement de copropriété, l’établissement d’une répartition de charges, ou toute autre action juridique propre ne sont pas couverts par l’assurance responsabilité civile du syndic.

 

4. On sait qu’il est difficile pour le syndic de démontrer son rôle de conseil sur des projets aussi abstraits. Que préconisez-vous ?

Me BAUDOUIN : L’obligation première du syndic est de soumettre la question de la mise en conformité à l’assemblée.
Il faut donner un contenu à cette mise en conformité.
Soit l’assemblée générale est saisie de la mise en conformité après qu’un professionnel qualifié désigné auparavant, par exemple en accord avec le conseil syndical, aura déposé un rapport qui préconise une ou des mises en conformité. Le syndic aura alors rempli son obligation. Il soumettra à l’assemblée générale le projet et l’assemblée - bien éclairée à partir du travail du professionnel - se déterminera sur le profil de la décision à prendre.

Soit le syndic, estimant disposer des éléments suffisants, saisit directement l’assemblée générale d’une mise en conformité portant sur un point bien précis. Le syndic qui a repéré l’anomalie peut proposer à l’assemblée générale de se prononcer en intégrant au règlement de copropriété une définition des parties communes spéciales lorsque cela est assez simple à faire.

Si le syndic n’a pas pu obtenir l’autorisation de recourir à un professionnel, il doit prendre la responsabilité de façon autonome de consulter un avocat par exemple, afin de lui demander de lever l’incertitude liée à une éventuelle mise en conformité du règlement. Cette intervention pourrait se faire au titre des dépenses que le syndic peut engager sur le compte de la copropriété, afin de se présenter en assemblée avec des éléments tangibles.

M. SAFAR : Le rôle de conseil du syndic est de proposer un prestataire qui a la capacité technique et juridique ainsi que l’assurance professionnelle pour le faire. Le rôle du syndic est de trouver les personnes compétentes pour remplir une telle mission et non pas de contracter avec une personne s’estimant capable de livrer l’étude, sans être assurée pour le faire.

 

5. Concernant l’article 6-4 de la loi ELAN , M. TOMASIN a écrit qu’il fallait en déduire que la mention des parties communes spéciales portées uniquement dans l'état descriptif de division ne leur donne aucune existence, et qu’il en allait de même pour les droits de jouissance privative.

Me BAUDOUIN : Par rapport aux propos du professeur Daniel TOMASIN, je distinguerais la jouissance privative de la question des parties communes spéciales. Si les parties communes spéciales sont portées, comme le dit M. TOMASIN, uniquement dans l’état descriptif de division, je partage son avis et pense que la sanction en cas d’absence de mise en conformité est effectivement celle de leur inexistence, faute d’être mentionnées dans le règlement de copropriété comme l’exige désormais la loi ELAN.

Si cette jouissance privative est bien englobée dans le lot, je pense que c’est beaucoup plus difficile de dire oui. Il y a quand même un droit de propriété. Il y a un lot sur l’état descriptif de division qui comporte dans sa désignation ce droit de jouissance. Cela reviendrait à priver un propriétaire de ce qui constitue un élément de la propriété elle-même sur son lot. Il me parait difficile d’admettre que le droit individuel d’un copropriétaire sur ce lot de jouissance qui fait partie intégrante de la définition de son lot, soit supprimé automatiquement parce qu’au bout de 3 ans, on n’aura pas inscrit la jouissance privative de la terrasse en question dans le règlement de copropriété. Je trouve cela plus douteux.

Lorsque des charges spéciales sont détectées sans mention expresse au règlement de copropriété, les syndics doivent inciter très fortement les copropriétaires à mettre en conformité leur règlement de copropriété avec la création des parties communes spéciales correspondantes. C’est quand même la volonté louable du législateur.

M. SAFAR : La difficulté tient dans le fait que le législateur n’a pas voulu donner la même valeur contractuelle à l’état descriptif de division qu’au règlement de copropriété.

 

Copropriété6. Faut-il donc bien distinguer le règlement de copropriété de l'état descriptif de division ?

M. TOMASIN : Il convient de toujours revenir à la formule lancée par l’arrêt de principe de la cour de cassation Civ. 3ème 8 juillet 1992 n°90-11.578 P III n°241 confirmé par l’arrêt de la chambre Civile 3 du 7 sept 2017 n°16-18.331 P. III n°94 selon lequel « l’état descriptif de division dressé seulement pour les besoins de la publicité foncière, n’a pas de caractère contractuel ». Malgré certaines hésitations doctrinales, il faut conseiller cette base.

On doit donc respecter cette règle : l’état descriptif de division n’a pas de valeur contractuelle. Le syndic ne peut pas se fonder sur l’état descriptif de division pour exiger le paiement de charges ou pour permettre à un copropriétaire d’user d’une zone de stationnement sur parties communes. »

M. SAFAR : Il n’est pas rare qu’il existe des divergences entre l’état descriptif de division et le règlement de copropriété. A mon sens, le fait d’intégrer ces éléments dans le règlement de copropriété permet de mettre en cohérence cet ensemble.
Par ailleurs, il faut souligner un point important sur les usages ces dernières années en matière de mise en conformité du règlement. Ce travail n’a pas été fait sur de nombreux immeubles, car le géomètre effectuait son travail de qualification du lot et l’intérêt de faire une publication n’était pas du tout perçu.

Il faut savoir que tous les petits modificatifs n’ont en majeure partie pas été publiés. Concrètement, une autorisation était donnée à un copropriétaire en assemblée générale. De nombreux copropriétaires ont reporté cette mise à jour au moment de la cession de l’appartement. Or, cette formalité, dans la majeure partie des cas, a été oubliée au moment de la vente.

M. TOMASIN : Désormais, il convient de préciser dans les règlements de copropriété les parties communes qualifiées de « parties communes spéciales » et les charges visant les « charges spéciales » pour que les copropriétaires des parties communes générales puissent refuser de payer ses charges spéciales.

 

7. Est-ce à dire que si les « parties communes spéciales » ou les « charges spéciales » ne sont pas présentes dans le règlement de copropriété alors lesdites « charges spéciales » doivent être requalifiées, au moins temporairement, en charges générales ?

M. TOMASIN : J'ai eu connaissance d’une décision de la Cour d’Appel de Paris qui s’est positionnée sur les faits suivants : un couloir était une partie commune spéciale à laquelle étaient rattachées des charges spéciales pour son entretien. Or, cette partie commune spéciale ne figurait pas dans le règlement de copropriété. Dans son arrêt, la Cour d’Appel de Paris a requalifié les charges dues pour l’entretien du couloir en charges générales, car la partie commune n’était pas référencée au règlement de copropriété comme étant une partie commune spéciale.

M. SAFAR : Certains avocats conseillent le maintien de l’application de ces charges tant que personne ne demande de faire réputer non écrites les dispositions figurant dans l’état descriptif de division, parce que n’ayant pas la même valeur contractuelle que celle du règlement de copropriété. Cela signifie que si une grille de charges spéciales est formalisée dans l’état descriptif de division, mais pas de parties communes spéciales, l’application de la grille de charges spéciales sera maintenue jusqu’à ce qu’un copropriétaire assigne et demande à voir réputer non écrite la clause figurant dans l’état descriptif de division. C’est une vraie difficulté qui signifie qu’il y a toujours un risque de remise en cause des répartitions de charges.

 

8. Si la consultation de l’avocat précise que la mise en conformité est nécessaire, notamment du fait des parties communes spéciales qui doivent être en accord avec les charges spéciales et que le syndicat décide de ne pas mettre en conformité, le syndic doit-il continuer à appliquer les charges spéciales ?

M. TOMASIN : Non, dans ce cas le syndic ne doit pas appliquer les charges spéciales et prélever les charges générales.

Me BAUDOUIN : Le syndic n’a pas à se faire juge de la validité des dispositions du règlement de copropriété, notamment en matière de charges. Donc il doit appliquer les charges spéciales.
Par exemple, si on a une répartition qui est manifestement irrégulière au regard du critère d’utilité de l’article 10-1 de la loi, le syndic doit continuer à appliquer les charges spéciales tant que l’assemblée générale ou le tribunal n’aura pas décidé d’une modification du règlement de copropriété.

M. SAFAR : Il convient de maintenir cet état de fait en l’absence de toute demande d’annulation. Le syndic n’a pas à supprimer un document ou une façon de faire qui existe depuis des années tant qu’un copropriétaire n’aura pas saisi le tribunal pour réputer non écrite la clause correspondante de l’état descriptif de division car dans le règlement de copropriété il n’y est pas fait mention. Ce copropriétaire obtiendra d’ailleurs probablement gain de cause devant le tribunal. »

 

9. Si le délai de 3 années prévu à l’article 209-II de la loi ELAN ne devait pas être prorogé, les syndics pourraient-ils faire voter les décisions de mise en conformité en assemblée générale en application de l’article 24 F de la loi du 10 juillet 1965 pour faciliter la continuité de cette mission ?

Me BAUDOUIN : En étant dans le cadre de modifications législatives et réglementaires intervenues depuis la loi de 1965, l’application de cet alinéa sera possible au terme du délai prévu par la loi ELAN. Mais la question soulève un autre problème : le délai de 3 ans est-il couperet ?
Si le délai n’est pas couperet, il me semble possible d’utiliser ensuite la majorité décrite à l’article 24f de la loi du 10 juillet 1965, sans prolongation expresse du premier délai de 3 ans.

Le texte étant impératif, les syndicats de copropriétaires disposent d’un délai de 3 ans à compter de la promulgation de la présente loi pour mettre le cas échéant le règlement de copropriété en conformité. Cela semble dire qu’ils n’ont que 3 ans pour ce faire.

 *Article publié sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engageant pas les rédactions des Informations Rapides de la Copropriété