[N°659] - Le contentieux du mois : L’action oblique en copropriété

par Pierre-Edouard Lagraulet, Docteur en droit
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Connue pour permettre à un créancier de se substituer à son débiteur afin d’empêcher son appauvrissement et de sauvegarder par conséquent son droit de gage, l’action oblique en droit de la copropriété reste assez méconnue et dépasse le cadre classique de cette action.

La jurisprudence a, en effet, ouvert au syndicat des copropriétaires (Civ. 3e, 14 nov. 1985, n° 84-15.577), et aux copropriétaires (Civ. 3e, janv. 1991, n° 89-10.959 ; contra CA Paris, 4 juin 2014, n° 12/12350) cette action prévue à l’article 1341-1 du Code civil contre les locataires des copropriétaires bailleurs, à condition de démontrer leur carence (Civ. 3e, 12 juil. 2018, n° 17-20.680), pour obtenir la résiliation du bail et leur expulsion. Dans ce cas, la jurisprudence exige du syndicat, afin de qualifier son intérêt à agir, qu’il démontre la violation du contrat de bail et du règlement de copropriété et que cette violation cause un préjudice aux autres copropriétaires (Civ. 3e, 22 juin 2005, n° 04-12.540). Ce préjudice sera généralement caractérisé par une dégradation des parties communes ou un trouble de jouissance. La jurisprudence a également ouvert l’action au profit du syndicat contre les occupants sans droit ni titre de leur lot (CA Paris, 6e ch., C, 20 juin 2000).

L’intérêt à agir du syndicat est ici apprécié assez largement au regard des conditions posées par l’article 1341-1 puisque le locataire peut parfaitement être à jour de ses loyers et que la carence du copropriétaire n’entraîne pas son appauvrissement. L’action oblique participe en ce sens à la protection des intérêts légitimes du syndicat des copropriétaires au-delà de son «simple» droit de gage. Il est intéressant à ce sujet de constater que le copropriétaire est ici considéré comme un «débiteur» à l’égard du syndicat, d’une obligation qui serait celle de «respecter le règlement de copropriété» (W. Dross, JcL civil Code, art. 1341-1, § 35). La nature contractuelle du règlement de copropriété est ici indéniable mais cette analyse aboutit à faire du syndicat une partie à ce contrat, ce qui n’est habituellement pas reconnu, ni par la doctrine ni par la jurisprudence… Le droit de la copropriété est décidément revêche aux classifications du droit des obligations et du droit des biens !

Une autre hypothèse d’action oblique intéressant le droit de la copropriété est celle engagée contre un copropriétaire défaillant, parfois qualifié dans ce cas de «sous-débiteur» (Civ. 3e, 7 nov. 1990, n° 88-19.103) par un créancier du syndicat disposant contre lui d’une créance certaine, liquide et exigible. La procédure engagée devra avoir pour objet de désintéresser le syndicat des copropriétaires - c’est-à-dire de recouvrer pour lui la quote-part de charges du copropriétaire - et non, pour le créancier d’obtenir le paiement direct de la créance (Civ. 1er, 4 oct. 2017, n° 12-29.390). Enfin, dans la mesure où l’action oblique consiste en l’exercice des droits du débiteur, le créancier ne pourra agir contre un copropriétaire débiteur qu’à condition que les droits du syndicat ne soient pas prescrits (Civ. 3e, 1er mars 2006, n° 05-11.522). En cas de succès de l’action, le créancier pourra alors procéder à la saisie des sommes sur le compte du syndicat mais sera en concours avec les autres créanciers du syndicat.

 

Pierre-Edouard Lagraulet,
Docteur en droit