Ludovic LE DRAOULLEC, Avocat au barreau de Québec

par La rédaction
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Ludovic LE DRAOULLECUn tournant dans la lutte des syndicats contre les locations saisonnières ?

Ludovic Le Draoullec, avocat associé au sein du cabinet De Grandpré Jolicoeur, exerce au barreau de Québec. Il est aussi porte-parole de l’Association des syndicats de copropriété du Québec. Il commente la récente décision de la Cour Supérieure du Québec de maintenir un règlement venant interdire une activité de location de courte durée de moins de 30 jours dans une copropriété résidentielle. Si elle devait être réaffirmée, cette position des juges outre-Atlantique marquerait un tournant dans la lutte des syndicats des copropriétaires contre le développement des locations saisonnières de type AirBnb.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 700 de juillet 2024
©DR

Pouvez-vous présenter les faits de cet arrêt de la Cour ?

Il s’agissait d’un syndicat situé dans la ville de Mont-Tremblant, centre de villégiature par excellence et très convoité non seulement des québécois mais également des touristes américains. Ski, golf, tennis, plage, lac : les activités autant hivernales qu’estivales se conjuguent aisément avec toutes les infrastructures de restauration et de culture du site. Construit dans les années 1980, l’immeuble regroupait seulement dix-sept unités dont de nombreuses avaient été mises en location pour de courts séjours dès le début. Puis, progressivement, plusieurs copropriétaires en ont fait leur résidence secondaire, alors que certains continuaient leurs activités de locations pour des termes plus ou moins courts. L’essor des plateformes de location pour courts séjours, comme AirBnb, à la fin des années 2010, a permis à plusieurs copropriétaires de louer leurs unités ainsi. Le syndicat, préoccupé, décida alors de les interdire, par simple règlement d’immeuble (modification non notariée à la déclaration de copropriété), pour limiter les locations à des séjours de plus de 31 jours. La question en litige était de savoir si cette limitation constituait ou non une modification de la destination de l’immeuble, et donc si elle requérait une majorité plus élevée qu’un simple règlement d’immeuble. La Cour est arrivée à la conclusion que cette modification pouvait être décidée à la majorité absolue (majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée) en rejetant la théorie majoritaire (au Québec) de la destination d’immeuble dynamique et caractérisée par les lieux et usages (en plus du texte de la déclaration).

Selon votre analyse, s’agit-il d’une décision d’espèce ou de principe de la Cour ?

Selon nous, il s’agit plutôt d’une décision d’espèce liée aux faits et aux circonstances du dossier. Cependant, la rédaction de la décision a été pensée en des termes si généraux qu’elle inquiète :

«[42] Devant ces enseignements, le tribunal conclut que les demandeurs L… ainsi que L… exercent une activité commerciale qui était prohibée par la déclaration de copropriété, avant même son amendement, car :

A) la CITQ [Corporation de l’industrie touristique du Québec – il s’agit d’une organisation non gouvernementale, ndlr] qualifie d’activité commerciale ce genre de location et avise le locateur de dénoncer à son assureur l’exercice de cette activité commerciale : «Les exploitants d’établissements appartenant aux catégories gîtes et résidences de tourisme doivent aviser leur assureur que leur établissement sert à des fins commerciales.»

B) les services offerts accessoires se rapprochent et sont assimilables à un service d’hébergement ;

C) le taux d’occupation, la fréquence et le nombre de nuitées louées à court terme ;

D) la perception des taxes (…), vu le grand nombre de locations ; et

E) l’interprétation par les tribunaux appliquant les lois municipales quant à la destination des lieux loués pour de courts séjours. Le tribunal ne peut concevoir que l’on interpréterait la destination des lieux en droit de copropriété différemment de l’interprétation faite en droit municipal, et ce, en l’absence d’une définition claire et précise dans la déclaration de copropriété».

La Cour conclut donc qu’en louant leur unité à court terme, les copropriétaires exercent une activité commerciale qui était prohibée par la déclaration de copropriété, avant même sa modification. Ainsi, la Cour est d’opinion que, de facto, une location court terme est interdite dans un immeuble à destination résidentielle.

Existe-t-il une législation spécifique sur la location meublée de courte durée au Québec ?

La loi québécoise qui régit la location meublée de courte durée (en copropriété ou non) est la loi sur l’hébergement touristique (L.Q. 2021, c. H-1.01). Cette loi est régie par la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) [dont il est fait mention au paragraphe 42 de la décision, reproduit ci-dessus].  Il est obligatoire pour tout exploitant d’un hébergement touristique d’obtenir une certification afin de s’adonner à la location à court terme pour une durée inférieure à 31 jours.

Jusqu’à présent, quels sont les moyens pour les syndicats québécois de se protéger des nuisances générées par la location saisonnière ?

Les syndicats québécois possèdent plusieurs outils à leur disposition. Il suffit de penser à l’octroi de pénalités exigées aux copropriétaires fautifs par le syndicat lui-même, tel que le prévoit certains règlements de copropriété. Une telle solution a comme objectif de pénaliser pour dissuader. Il faut donc que la pénalité soit suffisamment salée pour décourager les contrevenants. Toujours dans la même optique, le syndicat pourrait entreprendre un recours injonctif pour obtenir un jugement de la Cour exigeant que cessent les comportements nuisibles (…). Aucun de ces moyens n’avait été entrepris par le syndicat dans le dossier sous étude.

Quelles sont les conséquences de cette décision judiciaire sur la gestion de la copropriété résidentielle ?

L’adoption d’une résolution interdisant la location pour du court terme serait devenue inutile pour les syndicats résidentiels. Ceux-ci devraient désormais plutôt faire la démarche d’adopter des clauses permettant expressément la location court terme si tel est le choix de certains copropriétaires. L’interdiction deviendrait le principe et la permission l’exception.