Réforme de la copropriété : « L’ordonnance a bouleversé des secteurs entiers du droit de la copropriété »
Daniel Tomasin, professeur émérite de l’Université Toulouse I et spécialiste du droit de la copropriété, commente pour les Informations Rapides de la Copropriété, l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019.
Dans quelle mesure la publication de l’ordonnance du 30 octobre 2019 était-elle attendue ?
«La dernière loi de réforme ELAN n° 2019-1021 du 23 novembre 2018 avait dans son article 215 autorisé le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, «les mesures relevant du domaine de la loi visant, à compter du 1er juin 2020, à améliorer la gestion des immeubles et à prévenir les contentieux, destinées à :
1° Redéfinir le champ d’application et adapter les dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété, d’une part, et modifier les règles d’ordre public applicables à ces copropriétés, d’autre part ;
2° Clarifier, moderniser, simplifier et adapter les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété, celles relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires ainsi que les droits et obligations des copropriétaires, du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic».
Cette ordonnance devait être prise dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi ELAN, ce qui a été respecté. Un projet de loi de ratification doit être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de cette ordonnance.
L’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 était donc très attendue de tous les milieux attentifs à l’évolution du droit de la copropriété. Elle a été publiée dans les temps et prévoit sa mise en application. Les textes de l’ordonnance ne sont pas, en général, applicables immédiatement ; pour les contrats de syndics en cours, ils continuent à être régis par la loi applicable au moment où ils ont été conclus.
Sinon la mise en vigueur des textes est fixée au 1er juin 2020.
On doit avertir cependant que le Parlement devra ratifier cette ordonnance, ce qui pourra le conduire à modifier certains textes, voire en supprimer certains autres (ce qui est rare).
Il faut aussi noter qu’est reportée au 31 décembre 2020, la suppression de la dispense de compte séparé pour les petites copropriétés. Sont aussi visées les petites copropriétés qui en avaient été dispensées»
Quelles sont les grandes tendances de la réforme de la copropriété opérée par l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 ?
«La lecture de l’ordonnance laisse une impression de modernité. On garde ce qui est bon dans la loi du 10 juillet 1965 et on modifie ce qui pourrait être plus performant, ou plus populaire. Ce qui est bon dans la loi du 10 juillet 1965, c’est la structure qui a été donnée à la copropriété, fondée sur la division de l’immeuble collectif en lots de copropriété. De ce point de vue l’ordonnance n’apporte rien de bien nouveau et les avancées de la loi précédente n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (loi dite ELAN) ne sont pas remises en cause, sauf peut-être dans la définition du lot dit «transitoire» qui reste une particularité peu répandue.
Ainsi, les lots de copropriété, qu’achètent chaque année des milliers de copropriétaires français, européens et étrangers, seront toujours composés, chacun d’une partie privative dont le copropriétaire a la propriété et d’une quote-part de parties communes qu’il possède en indivision avec les autres copropriétaires et qui seront gérées par un syndic, mandataire du syndicat. Alors direz-vous, c’est comme avant ? Presque, répondra-t-on, sauf que l’ordonnance a bouleversé par touches successives des secteurs entiers du droit de la copropriété.
D’abord, l’ordonnance se veut libérale. C’est une tendance à la mode. On ne veut plus du caractère d’ordre public des textes de papa, qui date des années 65. Le statut de la copropriété, qui était contenu dans une loi du 10 juillet 1965, évoquait une époque d’ordre et un droit de la copropriété impératif.
L’ordonnance manifeste aussi son caractère pratique avec la création d’un statut juridique des petites copropriétés de cinq lots, maximum. C’est un évènement juridique capital qui s’attache, enfin, à donner des solutions pratiques aux cas des petites copropriétés, et notamment des copropriétés à deux. Les praticiens étaient impuissants à élaborer une solution de gestion. L’ordonnance du 30 octobre 2019 apporte ses solutions pratiques pour sortir les copropriétaires de l’embarras».
L’ordonnance a modifié le champ d’application obligatoire du statut de 1965, en le recentrant sur l’immeuble à usage partiel ou total d’habitation. Quel est votre sentiment sur ce point ?
«La nouveauté de l’ordonnance consiste à réduire son champ d’application. La loi de 1965 n’est plus générale. Sa généralité est revisitée puisque l’ordonnance réduit son domaine d’application. La loi sur la copropriété n’est plus obligatoire que pour les copropriétés d’immeubles bâtis ou groupe d’immeubles bâtis à usage total ou partiel d’habitation. Pour les immeubles ou groupe d’immeubles bâtis à destination totale autre que d’habitation, la loi de 1965 n’est que facultative, ce qui libère les milieux d’affaires des règles impératives du statut de la copropriété.
Ces milieux réclamaient cette libération depuis longtemps et avaient trouvé des techniques innovantes d’évitement, notamment les divisions en volumes. L’ordonnance est bonne mère et permet à ces copropriétés de rester dans le champ de la loi de 1965 si elles le désirent par une application supplétive de volonté. On ne peut que se réjouir de cette liberté offerte aux opérations immobilières hors de la destination d’habitation. La réforme opérée se signale donc par son caractère pratique».
L’une des innovations majeures concerne le régime des «petites copropriétés». En quoi est-ce une avancée ?
«Pendant plus de cinquante ans, une des critiques permanente et majeure faite à la loi du 10 juillet 1965 reposait sur l’absence de textes applicables à la question des petites copropriétés. Ces copropriétés étaient délaissées par les syndics professionnels et, pire, elles posaient des problèmes juridiques insolubles quand elles n’avaient que deux copropriétaires. L’ordonnance apporte des solutions pratiques à la gestion de ces syndicats. Il s’agit là d’une avancée du droit notable tournée vers la recherche d’un droit plus efficient et moins théorique. Désormais, l’ordonnance ajoute à la loi de 1965 deux parties très importantes. D’une part, elle prévoit des dispositions particulières aux copropriétés qui comportent au plus cinq lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces ou dont le budget prévisionnel moyen du syndicat des copropriétaires sur une période de trois exercices consécutifs est inférieur à 15 000 € ; ce sont les articles 41-8 à 41-12 de la loi de 1965 et, d’autre part, elle crée des dispositions particulières aux syndicats dont le nombre de voix est réparti entre deux copropriétaires avec les articles 41-13 à 41-23.
Pour cela, les rédacteurs de l’ordonnance n’ont pas hésité à briser des tabous. Ils valident, par exemple, dans l’article 41-12 les décisions prises à la suite d’une consultation écrite hors de toute assemblée générale. Ils consacrent aussi, dans l’article 41-16, un avantage accordé au copropriétaire majoritaire. Il s’agit de dérogations aux principes sacro-saints du droit de la copropriété. Ces avancées seront-elles révolutionnaires dans la mesure où elles pourront aboutir à des atteintes au droit de propriété des copropriétaires qui ne bénéficient pas de ces dérogations ? Un contrôle légal pourrait conduire à de telles qualifications mais aujourd’hui, la Cour de cassation nous fait craindre que les dispositions de la loi (ou des ordonnances) relatives à la propriété ne soient l’objet d’un contrôle de la proportionnalité généralisé».
Les nouveaux textes prévoient qu’une délégation de l’assemblée générale pourra être attribuée au conseil syndical afin qu’il puisse prendre des décisions. N’y a-t-il pas mélange des genres ?
«La question est très délicate car elle pourrait remettre en cause la conception de la hiérarchie des pouvoirs au sein du syndicat des copropriétaires. Dans la loi du 10 juillet 1965 d’origine, fortement imprégnée des nouveaux principes constitutionnels issus de la Constitution de 1958, le pouvoir émanait de la volonté des copropriétaires, seuls propriétaires. Il faut rappeler que les parties communes appartiennent en indivision aux copropriétaires et qu’eux seuls peuvent en disposer. Ni le syndic ni le syndicat n’ont, en principe, la propriété de ces parties communes. Seul le syndic reçoit de l’article 18, alinéa 3, de la loi de 1965 un pouvoir propre en cas d’urgence pour faire exécuter des travaux. Dans cette distribution des pouvoirs, le conseil syndical a toujours été écarté car il n’est pas un organe au sens plein de la copropriété. L’article 17, alinéa 1er, résume cette présentation en affirmant que «les décisions du syndicat sont prises en l’assemblée générale des copropriétaires, leur exécution est confiée à un syndic placé éventuellement sous le contrôle d’un conseil syndical». Le conseil syndical a simplement un rôle de contrôle, pas de décision. D’autant qu’il n’est pas un sujet de droit, n’ayant pas de personnalité juridique. Il ne peut donc pas avoir, en principe, de pouvoir propre. Il doit tenir son pouvoir de la seule source de pouvoir qui est l’assemblée générale et qui lui en donne délégation. On explique ainsi que l’article 21 de l’ordonnance insère dans la loi de 1965 cinq articles nouveaux pour permettre à l’assemblée générale de donner une délégation conventionnelle au profit du conseil syndical.
Il n’y a donc pas de mélanges des genres puisque le conseil syndical exercera le pouvoir de l’assemblée générale par délégation. Ce n’est qu’une délégation. L’ordonnance limite cette délégation «aux décisions relevant de la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou votants par correspondance», c’est-à-dire les décisions de l’article 24 de la loi. C’est déjà une restriction de pouvoir. Théoriquement, il n’y a pas de mélange des genres. Mais, en pratique, ce sera une autre affaire. Cela montre que les rédacteurs de cette ordonnance restent prudents. L’article 21-1 n’ouvre cette possible délégation qu’au conseil syndical composé d’au moins trois membres pour éviter l’émergence de petits dictateurs. Il a même fallu écrire dans le nouvel article 21-1, dernier alinéa, la liste des actes interdits à la délégation, dont l’approbation des comptes. Puis, dans l’article 21-3, on a limité cette délégation à une durée maximale de deux ans. Enfin, sage mesure, l’article 21-4 impose au syndicat de souscrire pour chacun des membres du conseil syndical une assurance de responsabilité civile qui sera d’un grand secours tant cette délégation peut être source de contestations. Toutes ces mesures ont pour but de contenir et limiter les prétentions que les membres du conseil syndical pourraient avoir. Mais il faut le reconnaître, ce conseil syndical pourra, avec toutes ces règles favorables, se parer des plumes du paon car il est composé de copropriétaires. L’ordonnance n’a pas cependant consacré l’idée de transformer le conseil syndical en un conseil d’administration. Cette idée n’est pas dans la tradition historique française de la gestion des biens immobiliers.
Il est néanmoins surprenant, à la lecture de l’ordonnance, de constater l’accumulation des pouvoirs du conseil syndical et de son président. L’article 15 de la loi de 1965 est complété par trois alinéas dont le premier donne au président du conseil syndical le pouvoir d’agir en justice contre le syndic en cas de carence ou d’inaction de ce dernier, mais sur délégation expresse de l’assemblée générale. Ajoutons que même en l’absence de conseil syndical, cette action peut être exercée par un ou plusieurs copropriétaires. Ce n’est pas tout ; en cas d’empêchement du syndic, pour quelque cause que ce soit, le président du conseil syndical peut convoquer une assemblée générale appelée à désigner un nouveau syndic (nouvel article 18 V). Le conseil syndical est donc plus qu’un organe de contrôle du syndic ; il devient un organe de substitution. On voit bien que les rédacteurs de l’ordonnance ont perçu les signes d’un durcissement des copropriétaires à l’égard des syndics négligents. Les genres ne sont pas mélangés mais on assiste à une forte évolution réaliste du droit de la copropriété».
Plusieurs dispositions légales sont destinées à rendre plus facile l’adoption des décisions en assemblée générale (abaissement des majorités, généralisation des « passerelles »…). Est-ce nécessairement un progrès selon vous ?
Il faut d’abord reconnaître que la loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 a apporté des modifications très importantes aux prises de décisions en matière de copropriété. L’ordonnance vient à sa suite. On notera, entre autres, que l’article 17-1 A de la loi de 1965 précise que les copropriétaires peuvent participer à l’assemblée générale par présence physique, par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique ; ils peuvent aussi voter par correspondance. Pour ce qui est de rendre plus facile la prise de décision en assemblée générale. Il faut reconnaître que la tendance de tous les législateurs successifs a été d’abaisser les majorités et l’ordonnance suit, elle aussi, la pente de la facilité. Faisant suite à la loi ELAN, l’ordonnance décide que la majorité de l’article 24 sera celle des «présents, représentés ou ayant voté par correspondance». On facilite, entre autres, l’adoption de décisions en permettant de voter à la majorité de l’article 25 (au lieu de la double majorité de l’article 26) les modalités d’ouverture des portes d’accès aux immeubles. Surtout, le nouvel article 25-2 ouvre à tout copropriétaire le droit de faire réaliser, à ses frais, des travaux pour l’accessibilité des logements aux personnes handicapées. «A cette fin, le copropriétaire notifie au syndic une demande d’inscription d’un point d’information à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale, accompagnée d’un descriptif détaillé des travaux envisagés». L’assemblée pourra alors s’opposer à ces travaux s’ils portent atteinte à la structure de l’immeuble, à ses éléments d’équipement ou à la destination de l’immeuble. C’est donc aux opposants d’organiser leur opposition. Est-ce un progrès ? Certainement car les copropriétaires handicapées ont de la difficulté à faire réaliser des travaux qui leur donnerait plus de mobilité. L’ordonnance modifie aussi les modalités de vote connues sous le nom de «passerelles». Si une décision n’est pas adoptée à la majorité légale dans un premier vote, on peut passer à un second vote à une majorité plus basse. Ici encore, on cherche à faire réfléchir les copropriétaires pour adopter des décisions favorables à la copropriété. Mieux vaut les faire réfléchir ; un second vote permet de débloquer les esprits. Voilà pourquoi la passerelle est étendue aux décisions votées à l’article 25 ou en vertu «de toute autre disposition». L’ordonnance supprime, en revanche, le recours à toute convocation d’assemblée générale lors d’une seconde délibération.
La dernière remarque aura pour objet la protection des copropriétaires puisque l’ordonnance ajoute au dernier alinéa de l’article 26 (un des seuls véritables remparts protégeant les copropriétaires) que «(l’assemblée générale) ne peut, sauf à l’unanimité des voix de tous les copropriétaires, décider l’aliénation des parties communes dont la conservation est nécessaire au respect de la destination de l’immeuble ou la modification des stipulations du règlement de copropriété relatives à la destination de l’immeuble».