Entretien avec J.-F. de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau, sur l’ordonnance ELAN

par Sophie Michelin-Mazéran, journaliste
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Réforme de la copropriété : «On a le sentiment d’être parvenu  à des points de consensus sur de nombreux sujets»

La publication de l’ordonnance réformant le droit de la copropriété est imminente. Riche d’une quarantaine d’articles, ce texte va modifier en profondeur les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété. Sans oublier une redéfinition du champ d’application de la loi de 1965. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau, dévoile les grands axes de cette réforme, sorte de fusée à plusieurs étages, qui va embarquer en juin 2020 les quelque 10 millions de logements en copropriété.

Propos recueillis le 22 octobre

 

Quels sont les grands objectifs ayant guidé la réforme ?


«L’ambition principale de cette réforme, telle qu’elle figure dans l’article 215 de la loi ELAN, est de moderniser le statut de la copropriété pour améliorer la gestion des immeubles et prévenir les contentieux, tout en veillant à préserver l’équilibre subtil entre un collectif nécessaire au bon fonctionnement de l’immeuble et le respect des droits individuels de chaque copropriétaire.

Au-delà de ce fil directeur de modernisation du modèle, cette réforme entend redéfinir le champ d’application de la loi de 1965 au regard des caractéristiques, de la destination ou de la taille des immeubles. En particulier, des mesures spécifiques sont introduites pour les ensembles immobiliers à usage exclusif de bureaux et/ou de commerces, qui ne seront plus obligatoirement soumis au statut de la copropriété. Toutefois, l’ordonnance n’impose pas de modèle alternatif aux propriétaires concernés ; c’est la liberté contractuelle qui prévaudra.


Moderniser le statut de la copropriété

Autre avancée significative de cette réforme : clarifier et simplifier les modalités de prises de décision, pour remédier notamment à l’inertie de certains copropriétaires. Il s’agit donc d’instaurer plus de fluidité dans la copropriété.

La prévention des contentieux, dont le nombre a augmenté de 24 % entre 2007 et 2017 en première instance, est également une source de préoccupation majeure. Un travail d’amélioration de la lisibilité du droit de la copropriété nous a, dès lors, semblé nécessaire. Cela passe par la clarification de certaines notions, telles que les parties communes générales, spéciales ou encore le droit de jouissance privatif sur parties communes. On ne fera pas disparaître le contentieux, mais une élévation du niveau de précision des concepts fondamentaux de la copropriété pourrait utilement réduire les litiges.

Des outils d’accompagnement à la bonne compréhension de cette réforme devraient être mis en ligne sur les sites du ministère de la Cohésion des territoires et de la Chancellerie (focus, dossiers thématiques ou tableaux), une fois la réforme entrée en vigueur en juin 2020».



La consultation des professionnels et des associations a-t-elle influencé la réécriture du statut de la copropriété ?


«Cette réforme n’a pas été conçue dans l’isolement d’une administration centrale. L’ensemble des parties prenantes a été associé à l’élaboration du projet de réforme.

Un questionnaire, portant sur des thématiques précisément identifiées, a été adressé début 2018 aux professionnels du secteur. Les contributions recueillies ont ensuite été discutées dans le cadre de plusieurs réunions de restitution, organisées entre avril et septembre 2018. Celles-ci ont permis d’enrichir une réflexion sur un projet de texte. Enfin, un avant-projet d’ordonnance a été soumis cet été au Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), sous la présidence du professeur Périnet-Marquet. Pas moins de cinq réunions de travail ont été menées dans ce cadre. La consultation de cet organisme représentatif de la profession immobilière a été déterminante. Pour l’essentiel, elle a conduit à modifier le projet dans le sens des propositions ou des observations du CNTGI. Par exemple, l’application de manière supplétive de la loi de 1965 aux immeubles ou groupes d’immeubles bâtis à destination totale autre que d’habitation est une proposition émanant du CNGTI. Idem pour certaines mesures d’assouplissement des modalités de résiliation du contrat de syndic. Enfin, certains dispositifs de simplification concernant le régime dérogatoire des petites copropriétés ont été modifiés en tenant compte des observations du CNTGI.


Prévenir les contentieux

On a le sentiment d’être parvenu à des points de consensus sur de nombreux sujets. Toutefois, une fois l’ordonnance publiée, le débat n’est pas terminé. Il se prolongera devant le Parlement dans le cadre du projet de loi de ratification de l’ordonnance. Le premier semestre 2020 va ainsi permettre aux parlementaires, s’ils le souhaitent, de réexaminer, voire de modifier, le texte, dans le délai qui sera ouvert par l’ordonnance elle-même».

 


Quelle place occupe le conseil syndical dans la copropriété de demain ?


«L’ordonnance ne modifie pas les missions du conseil syndical, qui continuera à assurer une fonction consultative, d’assistance et de contrôle du syndic. En revanche, le texte renforce ses pouvoirs dans deux directions. D’une part, en facilitant sa mission de contrôle à l’égard du syndic par divers dispositifs. Une possibilité sera notamment offerte au président du conseil syndical, sur délégation expresse de l’assemblée générale, d’introduire une action en justice contre le syndic défaillant en réparation du préjudice collectif subi par le syndicat des copropriétaires.

D’autre part, l’ordonnance élargit les possibilités de délégation de pouvoirs données au conseil syndical, quelle que soit la taille de la copropriété. L’assemblée générale pourra dorénavant déléguer au conseil syndical le pouvoir de prendre quasiment toutes les décisions qui se votent à la majorité simple de l’article 24. Toutefois, sont logiquement exclues du champ de cette délégation : l’approbation des comptes, la détermination du budget prévisionnel ou les adaptations du règlement de copropriété faisant suite à une modification légale. On peut espérer que ce dispositif soit un des leviers déterminants pour améliorer le fonctionnement des copropriétés.  

D’autres mesures importantes méritent d’être signalées : l’ordonnance supprime la périodicité triennale de l’obligation de mise en concurrence des contrats de syndic et instaure, a contrario, l’obligation pour les syndics de transmettre des projets de contrat respectant un nouveau formalisme, avec fourniture d’une fiche d’information sur le prix et les prestations proposées. Ce mécanisme devrait permettre une meilleure comparaison des contrats de syndic et la réalisation d’une mise en concurrence éclairée par le conseil syndical. Des dispositions réglementaires détailleront le contenu du futur contrat-type et de la fiche d’information».

 


La rénovation énergétique des copropriétés étant une priorité avérée, l’ordonnance facilite-t-elle l’adoption de mesures en ce sens ?


«L’ordonnance réformant la copropriété n’est pas un texte sur la rénovation énergétique. Nous n’ajoutons pas, au sein de l’arsenal juridique déjà existant, d’obligations aux copropriétés en matière d’économies d’énergie. En revanche, le texte poursuit l’objectif de faciliter un certain nombre de décisions qui, souvent, ne sont pas prises, soit parce que les règles de majorité sont trop contraignantes, soit parce que le coût des travaux retarde leur vote.


Renforcer le conseil syndical

Les mesures de simplification des prises de décision, et en particulier l’extension du mécanisme de la passerelle à toutes décisions relevant de la majorité absolue de l’article 25, devraient être de nature à faciliter le vote des travaux. Cette procédure de rattrapage permet un second vote immédiat à la majorité simple de l’article 24, dès lors que l’assemblée n’a pu se prononcer pour ou contre une décision à la majorité des voix de tous les copropriétaires, mais que le projet a recueilli au moins le tiers de ces voix. C’est à mon sens un levier sensible d’accélération du processus décisionnel.

En complément, le recours à l’emprunt collectif pour financer les travaux concernant les parties communes ou les travaux d’intérêt collectifs sur parties privatives est encouragé. L’assemblée générale devra ainsi se prononcer - dans le même temps - sur les travaux et la question du recours éventuel à un emprunt collectif destiné à les financer. On peut espérer que l’offre bancaire s’étoffe pour s’adapter à la demande des copropriétés qui va nécessairement croître».

 


Des décrets d’application sont-ils prévus et à quelles échéances ?


«En écho à l’ordonnance, il faut désormais procéder à la réécriture et à la création d’une soixantaine d’articles dans le décret de 1967. On y travaille déjà. Il ne faut pas perdre de temps, d’autant que le travail est dense et nécessaire à bref délai. Certaines dispositions de l’ordonnance auraient, en effet, du mal à être effectives si le décret de 1967 n’était pas réformé dans le même temps. Cette entreprise devra être achevée dans le courant du premier semestre 2020. Pour l’instant, on recense le travail d’écriture et la concertation avec les parties prenantes, dont le CNTGI interviendra ensuite.


Faciliter les décisions en faveur de la rénovation énergétique

D’autres textes doivent également être modifiés, par exemple le décret du 14 mars 2005 sur les comptes du syndicat des copropriétaires.

Autrement dit, nous sommes déjà mobilisés sur les étapes d’après qui se clôtureront par la rédaction d’un Code de la copropriété».

 

Le nouveau directeur des affaires civiles et du Sceau (DACS).- Parmi ses missions, la direction des affaires civiles et du sceau élabore ou concourt à la rédaction de textes en matière civile et commerciale. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes au Conseil d’Etat, ancien magistrat, a pris les fonctions de directeur des affaires civiles et du Sceau en juin dernier. Titulaire d’une maîtrise de philosophie, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, il a été juge au tribunal de grande instance avant de rejoindre la direction des affaires civiles et du sceau où il a notamment été chef du bureau du droit des personnes et de la famille. Il a ensuite occupé les fonctions de chargé de mission au service juridique du Conseil constitutionnel, avant de prendre la tête de ce service. En février 2015, il a été nommé maître des requêtes au Conseil d’État.

 

Texte de l'ordonnance à lire ici : https://www.informationsrapidesdelacopropriete.fr/veille-juridique/5047-ordonnance-n-2019-1101-du-30-octobre-2019-portant-reforme-du-droit-de-la-copropriete-des-immeubles-batis