Face aux risques induits par d’importantes fragilités structurelles d’un immeuble d’habitation datant du tout début du XXe siècle, la municipalité de Thorigny-sur-Marne (77) a fini par avoir recours à des travaux d’office. Une procédure coercitive, engagée à la suite du blocage des travaux par plusieurs copropriétaires, qui a finalement porté ses fruits. Le tout au cœur d’un îlot lui-même engagé dans une opération de rénovation urbaine.
Par Paul Turenne
Situé juste en face de la gare de Thorigny-sur-Marne, l’immeuble au n° 6 de la bien nommée rue de la gare aurait pu disparaître si d’importants travaux n’avaient été réalisés à l’initiative de la municipalité. Construit entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, le bâtiment s’était en effet progressivement dégradé, faute d’entretien régulier, jusqu’à un point critique. En septembre 2010, les pompiers procèdent à l’évacuation d’un des quatorze logements de l’immeuble. Ces derniers craignent un risque électrique pour les occupants, l’enveloppe du bâtiment ne s’avérant plus étanche à la suite à d’importantes précipitations.
La ville décide alors de prendre un arrêté de péril imminent puis ordinaire, en découvrant que les infiltrations avaient fortement fragilisé les planchers. «Ce premier péril a pu être levé en direct par la copropriété qui était encore gérée à ce moment-là par un syndic», précise Gaïd Pires, directrice générale adjointe du service “juridique urbanisme techniques” de la ville de Thorigny-sur-Marne. «Elle a en effet réussi à collecter les fonds, en dépit de frictions entre les copropriétaires, dont certains – disposant d’une majorité de tantièmes – ne souhaitaient pas faire les travaux.»
Problème : un diagnostic technique réalisé entre temps par l’intercommunalité révèle d’autres dysfonctionnements sur les planchers et plafonds de deux appartements. Un deuxième arrêté de péril est donc pris. «Comme les relations s’étaient vraiment envenimées entre les copropriétaires, il y a eu un blocage total en assemblée générale et les travaux n’ont pas été votés. C’est à ce moment là que l’on a commencé à suivre ce problème d’un peu plus près…»
Flou juridique après la démission du syndic
S’ensuit alors la publication d’un arrêté de péril, puis de mise en demeure, avant l’enclenchement d’une procédure contradictoire, permettant d’engager des discussions d’abord amiables, puis le début des travaux d’office. Mais la démission du syndic professionnel en mars 2012 n’arrange pas la situation. «Cela a été compliqué à gérer, car nous n’avions plus d’interlocuteur, se souvient Gaïd Pires. Il y a eu un flou juridique jusqu’à ce que l’administrateur judiciaire soit désigné».
Prenant alors acte que la procédure contradictoire avait été infructueuse et non suivie d’effet, la commune décide alors l’inscription des privilèges spéciaux à titre provisoire tant pour les frais à devoir sur les travaux, que pour les frais à devoir sur le relogement. En effet, les logements concernés par le péril étaient occupés par des locataires et les travaux qui devaient être engagés ne pouvaient se faire en site occupé.
«La ville s’est un peu prémunie en procédant à des inscriptions provisoires et en envoyant des titres exécutoires», estime Gaïd Pires qui a entièrement porté le projet à la ville, en lien direct avec un architecte et l’administrateur judiciaire. «Nous nous sommes ainsi substitués à la copropriété défaillante en prenant nous-même la maîtrise d’ouvrage des travaux et en lançant un marché public». A la fin des travaux, la ville a ensuite confirmé les inscriptions qui avaient été faites au service de la publicité foncière sur les frais à devoir par les copropriétaires en remboursement des travaux d’office exécutés par la ville. Des montants dûs qui ont été répartis au prorata des tantièmes de chacun des copropriétaires, sur la base des factures réelles.
50.000 euros de subventions par l’ANAH
Parallèlement à sa démarche de marché publics, la ville a effectué une demande de subvention auprès de l’ANAH. Celle-ci subventionne en effet les collectivités qui se substituent aux copropriétés défaillantes en prenant la maîtrise d’ouvrage des travaux en vue de remédier à une situation de péril. L’ANAH de Seine-et-Marne, en l’occurrence, a ainsi subventionné le projet à hauteur de 50 % du montant des travaux engagés.
Précision d’importance : quand bien même la ville réussit à se faire rembourser par les copropriétaires les frais engagés, la subvention lui reste tout de même acquise, en compensation du risque assumé et du temps passé à gérer ce dossier. «Au final, tous les copropriétaires nous ont remboursé ce qu’il nous devaient et nous avons alors fait des mainlevées d'hypothèque», se félicite Gaïd Pires, qui, de fait, a été fortement monopolisée par ce dossier.
Et pour cause, c'était la première fois que la ville s'engageait dans une telle procédure. « Cela aurait pu être compliqué car nous ne disposons pas de personnels dédiés aux situations de péril ou d'infractions au règlement sanitaire départemental. C'est donc moi qui ait pris en main le dossier et j'ai passé un temps extrêmement important à rechercher des informations auprès d'instances comme le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne. » Une vraie mine d'informations sur laquelle Gaïd Pirès a pu s'appuyer, avec des modèles de documents juridiques à utiliser par les communes : modèle d'arrêté de péril imminent, de péril ordinaire, de mise en demeure de réaliser les mesures prescrites, de décisions motivées d'engager les travaux d'office, de délibération pour autoriser le maire à lancer les travaux dans le cadre d'une procédure de substitution etc.
Au final, la directrice générale adjointe estime que la longueur de l'affaire n'est pas due à des errements ou des problèmes dans la procédure mais bien à la longueur de la procédure en elle-même, qui implique un suivi très précis. Car le risque judiciaire reste bien présent. « Le tribunal administratif nous a donné raison face à un copropriétaire qui avait attaqué notre décision, car nous avions été extrêmement pointilleux et attentifs à bien respecter les différentes étapes de la procédure. Mais il suffit d'en oublier une ou de ne pas respecter un délai pour que du coup, un copropriétaire soit fondé à vous attaquer et fasse s'effondrer toute la procédure… » Bref, mieux vaut prendre son mal en patience et ne pas se précipiter, sous peine de perdre un temps précieux au final.
Retour sur trois ans de procédures au 6 rue de la gare
Septembre 2010.- Prise par la ville d’un arrêté de péril imminent puis ordinaire, préconisé par les pompiers suite à l'évacuation de deux familles dans deux appartements. Identification de travaux à effectuer sur les toitures, chéneau et plancher.
D'octobre 2010 à février 2011.- Transmission par la ville à l’Agence régionale de santé (ARS) de plusieurs plaintes de locataires concernant l’état de leurs logements. Des visites préalables effectuées par les services techniques et juridiques de la ville, à la demande de l'ARS, mettent en évidence un manquement à la salubrité.
Mai 2011.- Visite des logements par l’ARS.
Enquête sociale menée par un cabinet missionné par la Communauté d’agglomération de Marne et Gondoire (CAMG). Audit technique par le cabinet SICAHR missionné par la CAMG. Conclusion de problèmes de salubrité et de péril du fait de la fragilité structurelle de trois planchers dans trois logements. Suite à la réparation de l'un d'entre eux, restent deux planchers défaillants.
Juillet 2011.- Levée de l’arrêté de péril initial par la ville suite à la réalisation de travaux. Lancement par la copropriété d'une action judiciaire contre des copropriétaires défaillants n'ayant pas payé leur part des travaux.
Envoi par la ville au syndic du rapport de SICAHR mettant en évidence la dangerosité des deux planchers défaillants, avec interrogation de la copropriété sur ses intentions quant à ces deux planchers problématiques et envoi du rapport à l’ARS.
Octobre 2011.- En l'absence de retour de la copropriété sur les travaux à engager, un expert auprès du tribunal administratif est missionné par la ville pour donner son avis sur l’état de ces deux planchers.
Janvier 2012.- Confirmation du péril ordinaire par l'expert et préconisation par ce dernier de refaire les deux planchers des salles de bains, dans un délai d’un an maximum.
Février 2012.- Lancement par la ville d'une procédure contradictoire avec les copropriétaires pour les informer de la teneur du rapport et de la prise d’un arrêté de péril dans les deux mois si rien n’est engagé pour réparer les planchers.
Mars 2012.- Démission du syndic professionnel. Lancement d'une action en vue de désigner un administrateur judiciaire.
Avril 2012.- Remise à la ville par l'ARS de son rapport de visite des parties communes et des logements. Les locaux présentent des infractions au règlement sanitaire départemental (RSD), avec des diagnostics plomb positifs dans les cages d’escalier. La copropriété est sommée d'effectuer des travaux dans les trois mois.
Mai 2012.- Désignation d'un administrateur judiciaire. Arrêté de péril ordinaire pris par la ville avec une date limite à fin novembre 2012, suite à l'échec de la procédure contradictoire engagée sur le péril ordinaire des deux planchers.
Juin 2012.- Arrêté d’infraction au RSD pris par la ville pour les parties communes et pour les appartements concernés, suite au rapport de l’ARS, avec une date limite à fin novembre 2012.
De juillet à septembre 2012.- Prise de contact par la ville avec l’administrateur judiciaire en vue de connaître ses intentions pour mettre fin au péril. Convocation d’une AG et relance de l’administrateur en septembre.
Prise de contact de la Direction départementale des territoires (DDT) avec la ville fin septembre pour prévenir de la mise en œuvre prochaine des travaux d’office visant à supprimer l’accès au plomb.
Pour les travaux du péril, préparation par la ville :
- soit de faire procéder à exécution, après le délai limite, des travaux d’office,
- soit à se substituer, après le délai limite, aux copropriétaires défaillants.
Décembre 2012.- Rejet des travaux pour lever le péril au cours de l'assemblée générale des copropriétaires.
De janvier à avril 2013.- Arrêté de mise en demeure de réaliser les mesures prescrites par l’arrêté de péril ordinaire ;
Décision motivée d’enclencher les travaux d’office pour l’exécution des mesures prescrites par l’arrêté de péril ordinaire ;
Délibération municipale autorisant le maire à lancer les travaux et à recouvrir créances ;
Constitution d'un dossier de demande de subventions à l'Anah. Lancement par la ville d’un marché à procédure adaptée pour réaliser les travaux.
Eté-automne 2013.- Attribution du marché et réalisation par la ville des travaux pour lever le péril ;
Transmission au procureur et au commissaire de police des infractions au RSD non levées ;
Fin des travaux en octobre 2013.
Hiver 2013-2014.- Calcul par la ville des sommes dues par les copropriétaires ;
Inscriptions définitives par la ville au service de la publicité foncière (hypothèques) pour garantir le recouvrement des sommes dues par les copropriétaires ;
Arrêté de mainlevée du péril.