[N°622] - Nouveaux étalons en copropriété

par Nathalie FIGUIERE-BROCARD
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Le statut de la copropriété offrait jusqu’à récemment une matrice sécurisante des droits de chacun, largement marquée par l’ordre public (cf. art. 43 de la loi du 10 juillet 1965). Cependant, il est frappant de constater la prolifération de nouvelles prescriptions assorties de dérogations aux contours indéterminés. Ceci conduira les avocats, les juristes et les experts à débattre sur des critères inédits qui deviendront de nouveaux étalons à suivre une fois qu’ils auront été validés par les magistrats.

 Les travaux équivalents

Les travaux d'économies d'énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre «peuvent comprendre des travaux d'intérêt collectif réalisés sur les parties privatives …» sauf dans le cas où le copropriétaire concerné «est en mesure de produire la preuve de la réalisation de travaux équivalents dans les dix années précédentes» (art. 25 f de la loi de 1965, décret n° 2012-1342 du 3 décembre 2012, art. R. 138-3 du Code de la construction et de l’habitation - CCH).
Sans autre précision, il est prévisible que la preuve des «travaux équivalents» sera discutée et appréciée in concreto.


La technique, le juridique et le bilan

• Le chauffage.-

«Quand la technique le permet», tout immeuble collectif pourvu d'un chauffage commun doit comporter une installation permettant de déterminer la quantité de chaleur et d'eau chaude fournie à chaque local occupé à titre privatif. Néanmoins, cette règle ne s’applique pas aux «immeubles dans lesquels il est techniquement impossible de mesurer la chaleur consommée par chaque local pris séparément ou de poser un appareil permettant aux occupants de chaque local de moduler la chaleur fournie par le chauffage collectif», ni aux «immeubles dont l'individualisation des frais de chauffage entraînerait un coût excessif résultant de la nécessité de modifier l'ensemble de l'installation de chauffage» (art. L. 241-9 et R. 241-8 du Code de l’énergie, décret n° 2016-710 du 30 mai 2016 et arrêté du même jour).
Ces pondérations multiples à une obligation de principe vont être à l’origine d’interprétations variées.
La théorie du «coût excessif» n’est pas sans rappeler celle du bilan «coût-avantages» développée en droit administratif depuis l’arrêt Ville nouvelle Est du Conseil d’État (C.E., 28 mai 1971, Jean-François Lachaume, Hélène Pauliat, Stéphane Braconnier, Clotilde Deffigier, Droit administratif, Les grandes décisions de la jurisprudence, 16e édition, Thémis droit PUF). Le raisonnement, bien connu, connaîtra un regain d’intérêt auprès des praticiens.
Cette construction en rhizome du droit de la copropriété est à l’image du récent foisonnement des sources du droit de la copropriété. En effet, si le creuset historique du statut se trouve dans la loi de 1965 et son décret d’application du 17 mars 1967, la tendance des technocrates est de disperser de nombreuses règles dans de multiples autres textes ou codes.

• Les travaux «embarqués».-

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte impose aux syndics de proposer plusieurs types de travaux à l’occasion du vote de travaux importants dans les copropriétés existantes. Sont concernés, les travaux d’isolation lors de travaux de ravalement de bâtiments existants, les travaux d’isolation de toiture lorsque des travaux importants de réfection de toiture sont prévus et l'installation d'équipements de contrôle et de gestion active de l'énergie à l’occasion de travaux de rénovation importants. Cependant, ces travaux dits «embarqués» n’ont pas lieu d’être s’ils ne sont pas réalisables techniquement ou juridiquement, ou lorsqu'il existe une disproportion manifeste entre leurs avantages et leurs inconvénients de nature technique, économique ou architecturale (art. 14 de la loi de 2015, art. L. 111-10 du CCH et décret n° 2016-711 du 30 mai 2016).
Instaurer de nouvelles règles avec pour corolaire autant d’exceptions, n’atténue-t-il pas l’objectif recherché ?
En pratique, le syndic doit se réserver la preuve d’avoir recherché si les conditions dérogatoires sont réunies avant de soumettre les travaux au vote de l’assemblée, le cas échéant. Le conseil syndical peut être d’une aide précieuse pour qu’il mène cette mission à bien.

• L’accessibilité.-

La loi du 11 février 2005 pour l'Égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, a posé les jalons de l'accessibilité des bâtiments. Des dérogations exceptionnelles ont été admises pour les établissements recevant du public après démonstration de l'impossibilité technique de procéder à la mise en accessibilité ou lorsqu'il y a disproportion manifeste entre les améliorations apportées et leurs coûts et effets (art. L. 111-7-3, al. 4, du CCH ; Pascale Burdy-Clément, Handicap et copropriété Entre l’universalité proclamée et la réalité des ERP, Inf. rap. copr. juillet-août 2016, p. 17). Avec le temps, la jurisprudence permettra de dégager les solutions à suivre.

Pour conclure.-

Derrière chacun de ces thèmes se profilent des enjeux sociétaux.
La construction des repères jurisprudentiels nécessitera du temps, au risque de déstabiliser certains copropriétaires dans l’intervalle. Le recours à la justice prédictive avec l’exploitation par l’intelligence artificielle de données croisées aura-t-elle sa place pour guider les magistrats (Laurine Tavitian, Justice prédictive : où en est-on ?, www.village-justice.com)? S’éloigne-t-on progressivement d’un droit de la copropriété aux lignes épurées pour tendre vers un raisonnement casuistique propre aux pays de common law ? Est-ce dans cette maïeutique que l’on trouvera un droit objectif, garant des libertés constitutionnelles ?