(Assemblée nationale - réponse publiée au JO le 03/12/2019 page : 10559)
Question de Isabelle Rauch au ministre en charge du logement, sur la répartition de la charge de provision obligatoire pour travaux dans le cas d’un démembrement de la propriété.
L’article 58 de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) dispose de la création obligatoire d’un fonds de travaux pour faciliter leur réalisation ultérieure, hors budget prévisionnel. Elle se veut un outil d’épargne contraint, destiné à prévenir la carence des syndicats de copropriétaires en cas de dépenses imprévues ou de mise en application d’obligations légales ou réglementaires non provisionnées. Toutefois, la loi reste muette dans le cas de démembrement de la propriété, entre nu propriétaire et usufruitier ; la définition de la nature des travaux à venir étant, par définition, inconnue. Aussi, l’acception de «grosses réparations» définie par l’article 606 du code civil est-elle à retenir, entraînant la charge de la provision pour le nu-propriétaire ? Ou, à l’inverse, la provision s’assimile-t-elle à une forme d’assurance, entraînant la charge de la provision pour l’usufruitier ? Enfin, dans le cas d’une levée de fonds effectuée à tort à l’encontre de l’une ou l’autre des deux parties, elle lui demande selon quelles modalités juridiques peut s’effectuer la récupération des fonds, la loi ALUR disposant du caractère définitivement acquis au syndicat des copropriétaires des sommes acquittées.
En application des articles 605 et 606 du Code civil, le nu-propriétaire doit contribuer aux grosses réparations telles que les charges exceptionnelles engendrées par les travaux de remise en état du gros œuvre des bâtiments ou les travaux de restauration. L’usufruitier doit quant à lui payer les dépenses relatives à l’administration, la gestion et l’entretien courant de l’immeuble, les primes d’assurance collective ou encore les impôts et les taxes perçus sur l’immeuble, qui se rattachent à la jouissance du bien. Ces règles, qui ne sont pas d’ordre public, s’appliquent uniquement en l’absence de clause de solidarité et dès lors que le syndic a été régulièrement avisé du démembrement du lot de copropriété. Ainsi, la jurisprudence admet la licéité des clauses de solidarité entre le nu-propriétaire et l’usufruitier stipulées dans le règlement de copropriété et prévoyant que le nu-propriétaire et l’usufruitier sont tenus solidairement du paiement des charges de copropriété envers le syndicat des copropriétaires (Civ. 3e, 14 avril 2016, n° 15-12545, publié au bulletin). De telles clauses sont assez fréquentes en pratique, ce qui permet d’éviter au syndic toute difficulté dans le recouvrement des charges de copropriété.
Le fonds de travaux que le syndicat des copropriétaires doit constituer, en application du II de l’article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965, est destiné à faire face aux dépenses résultant de travaux prescrits par les lois et règlements ou de travaux non compris dans le budget prévisionnel et décidés par l’assemblée générale, dont la liste est fixé à l’article 44 du décret du 17 mars 1967, à savoir, de manière générale, tous travaux ne concourant pas à la maintenance ou à l’administration des parties communes ou à la maintenance et au fonctionnement des équipements communs de l’immeuble. De tels travaux peuvent être qualifiés, selon les cas, de grosses réparations incombant au nu-propriétaire ou de dépenses d’entretien incombant à l’usufruitier. A cet égard, les travaux de ravalement sont généralement considérés comme des réparations d’entretien à la charge de l’usufruitier et non de grosses réparations incombant au nu-propriétaire. Au contraire, des travaux de restauration d’une structure essentielle de l’immeuble, tels que la réfection d’un mur pignon ou le rétablissement de poutres ou de couvertures entières, incombent en principe au nu-propriétaire. S’agissant de la cotisation obligatoire annuelle au fonds de travaux, qui constitue en elle-même une masse monétaire indifférenciée tant qu’aucuns travaux n’ont été effectivement adoptés par l’assemblée générale, les dispositions de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965 prévoient son paiement par les copropriétaires selon les mêmes modalités que pour les charges communes générales, c’est-à-dire «proportionnellement aux valeurs relatives des parties privatives comprises dans leurs lots», sans toutefois se prononcer explicitement sur la nature exacte de cette charge.
En conséquence, la question de savoir si son paiement incombe au nu-propriétaire ou à l’usufruitier, en l’absence de clause de solidarité stipulée au règlement de copropriété, relève de l’appréciation souveraine des tribunaux et n’a pas encore été, à ce jour, tranchée par la jurisprudence. Par ailleurs, l’approbation des comptes par l’assemblée générale n’emportant pas approbation de la répartition des charges, un copropriétaire reste toujours recevable à contester le montant des charges qui lui sont imputées sur son compte individuel, dans le délai de prescription des actions personnelles mentionné à l’alinéa 1er de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965, sans avoir à contester l’assemblée générale en elle-même. Dans les rapports entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, l’usufruitier bénéficie d’un recours en fin d’usufruit, dans le cas où il a fait l’avance des fonds (article 609 du Code civil). De même, le nu-propriétaire qui aurait acquitté des charges incombant à l’usufruitier bénéficie d’une action récursoire contre ce dernier, pour toutes les réparations d’entretien tendant à la conservation de l’immeuble (Civ. 1ère, 21 mars 1962, bulletin n° 175). Ces règles ont vocation à s’appliquer également à la cotisation obligatoire au fonds de travaux, indépendamment de l’acquisition définitive des sommes versées à ce titre au syndicat des copropriétaires.