[CCED - N°17] - L'actu - Le signalement imparfait des marchands de sommeil

par Thierry Poulichot - directeur des Garanties Citoyennes
Affichages : 2084

Les loueurs indélicats subissent de nombreuses condamnations morales. Pourtant, les difficultés persistent. La rigueur juridique n’est, en effet, pas toujours au rendez-vous dans les dispositifs forgés pour lutter contre ce phénomène.

Une intéressante innovation a pourtant été introduite dans la loi n° 2018-1021, dite ELAN, du 23 novembre 2018, au sein du titre relatif à la lutte contre les marchands de sommeil. Une obligation de signalement a été imposée aux syndics professionnels et aux professionnels de l’immobilier. Un article 18-1-1 a été inséré dans la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 relative à la copropriété. Un article 8-2-1 a également été introduit dans la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 dite loi Hoguet.

Dans ces deux nouveaux articles, les activités à signaler sont les infractions que peuvent commettre les marchands de sommeil. Il s’agit d’abord, de la violation de l’article 225-14 du Code pénal (sur la soumission de personnes vulnérables ou dans un état de dépendance à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine). Doivent également être signalées les infractions prévues aux articles L. 1337-4 du Code de la santé publique et L. 123-3, L. 511-6 et L. 521-4 du Code de la construction et de l’habitation. Ces textes sont relatifs aux biens frappés d’un arrêté d’insalubrité, de péril ou constatant la sur-occupation lorsque des personnes louent, refusent d’effectuer des travaux ou dégradent volontairement des locaux pour faire partir les habitants, le tout en contravention des arrêtés pris.

Malheureusement, cette énumération des infractions qui peuvent être commises par les marchands de sommeil n’est pas exhaustive. Un arrêt du 20 février 2019 (n° 18-82.743) rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le montre. La Haute juridiction rappelle, en effet, qu’il ne faut pas confondre deux infractions. D’un côté, on a la soumission de personnes vulnérables ou dans un état de dépendance à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, réprimée par l’article 225-14 du Code pénal. De l’autre, on a l’aide au séjour irrégulier d’étrangers soumis à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine (art. L. 622-5 3° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et de l’asile).

Or, il est beaucoup plus facile de démontrer l’infraction aux règles du séjour des étrangers que la vulnérabilité ou l’état de dépendance. L’oubli de cette infraction par le législateur affaiblit fortement l’efficacité de l’obligation de signalement. Le marchand de sommeil n’a plus qu’à exploiter des étrangers en situation irrégulière, ce qu’il ne se prive pas de faire dès à présent, comme le montre une affaire ayant abouti à la saisie d’un pavillon à Saint-Brice-sous-Forêt (Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 18-80.027).
Espérons que cet oubli du législateur sera rapidement corrigé… Il conviendra aussi d’assortir de sanctions le non-respect de l’obligation de signalement. Dans le cas contraire, la situation sera similaire à celle du syndic qui refuse d’établir l’ordre du jour de l’assemblée générale avec le concours du conseil syndical, malgré ce qu’impose l’article 26 (al. 5) du décret n° 67-223 du 17 mars 1967. Aucune sanction n’ayant été prévue, aucune conséquence juridique n’est induite par ce manquement du syndic (voir Cass. 3e civ., 1er décembre 2016, n° 15-26.559).