[CCED - N°15] - Entretien avec Michel POLGE, directeur du Pôle national de lutte contre l’habitat indigne

par YS
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«Le marchand de sommeil prospère dans les copropriétés en difficulté»
Michel Polge dirige le Pôle national de lutte contre l’habitat indigne (PNLHI). Cette structure interministérielle joue un rôle d’expertise au service des acteurs de terrains intervenant sur la lutte contre l'habitat indigne, qui recouvre toutes les situations de logements exposant leurs occupants ou des tiers à des risques pour leur santé ou leur sécurité.

Qu’est-ce que l’habitat indigne ?
«Sont passés dans le vocabulaire commun des mots tels qu’insalubrité ou péril. L’habitat indigne est un concept regroupant ces situations et d’autres encore dont le dénominateur commun est la présence d’un risque pour la santé ou la sécurité d’occupants ou de tiers. Par habitat, nous entendons tout bien habité, quel que soit le statut des occupants, la situation géographique et le statut du bien -mono-propriété, copropriété- et indépendamment de toute autre réglementation (urbanisme, copropriété, etc.), le lieu du risque (logement, parties communes, logement voisin, fut-il vacant) dès lors qu’il porte un risque pour le voisinage, etc. La notion de risque pour la santé ou la sécurité n’est pas limitative et il n’est pas besoin d’accident préalable pour le démontrer. A noter que le distinguo entre risque pour la santé et la sécurité a quelque chose d’artificiel : il résulte non pas de la réalité de terrain mais de l’accumulation de textes attribuant des responsabilités aux maires ou aux préfets et désormais à certains présidents d’EPCI (la loi ELAN doit simplifier le jeu d’acteurs).
Toute situation de risque connue par la puissance publique impose une action pour y mettre fin. La première chose à faire au lendemain d’un signalement ou d’une plainte est de s’assurer de la réalité du risque et, dans cette hypothèse, mesurer son degré d’urgence. Cette analyse préalable permet le calibrage de l’action : la puissance publique dispose d’une série de polices générale et spéciales tirées des Code général des collectivités territoriales, Code de la construction et de l’habitation et Code de la santé publique.»
«Exemples : installation électrique induisant un risque d’électrocution et d’incendie, revêtement de parois défectueux ou humidité et moisissures provoquant des risques respiratoires, radon provoquant des cancers, installation à combustion avec risque d’intoxication au monoxyde de carbone, escaliers branlants menaçant effondrement, etc.»

Quid de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) et du Pôle national de lutte contre l’habitat indigne (PNLHI) ?
«L’action publique contre l’habitat indigne se déploie à travers des Pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne (PDLHI) mettant en synergie services de l’Etat, des collectivités, partenaires parapublics,... appelés, à un titre ou à un autre, à traiter l’habitat indigne - repérage, prise des arrêtés, leur suivi jusqu’à la réalisation de travaux ou hébergement/relogement d’office en cas de défaillance des propriétaires, accompagnement humain des publics les plus fragiles, lien avec le magistrat référent présent dans chaque Parquet si marchands de sommeil supposés, etc. Chaque PDLHI est animé par un sous-préfet référent.»
«Le PNLHI est l’un des métiers de la DIHAL. Son rôle premier est l’appui juridico-technique des services de terrain pour la mise en œuvre de la part coercitive de la lutte contre l’habitat indigne : conduite des arrêtés des maires, préfets et présidents d’EPCI issus des trois codes cités. Cet appui se fait au quotidien par questions/réponses aux services, et de façon générale, par diffusion de guides opérationnels, formations, journées d’échanges de bonnes pratiques des PDLHI pour diffuser de la méthode».

Pouvez-vous nous préciser vos actions contre l’habitat indigne dans les copropriétés ?
«Comme dit, les situations d’habitat indigne concernent non seulement les logements mais leurs abords, donc les parties communes de copropriétés et mono-propriétés collectives. L’action contre tel ou tel copropriétaire dont, par exemple, le logement est insalubre, est diligentée contre lui. Si les désordres concernent les parties communes, l’action est conduite contre le syndicat représenté par le syndic. La phase contradictoire des arrêtés hors urgences est conduite avec les syndics ; les arrêtés seront pris contre la copropriété, etc.
C’est là que le caractère d’urgence de la mise en sécurité du bien est un sujet important. Si ce risque est immédiat -par exemple dans l’heure ou la journée pour évacuer un immeuble menaçant de s’effondrer ou urgence sur quelques semaines, ou en cas de péril imminent face à un risque d’effondrement pour mettre fin non au péril mais à l’imminence du péril-, l’urgence prime et il n’y pas de phase contradictoire à proprement parler. Une information est faite à la copropriété ou aux copropriétaires identifiés, au syndic s’il y en a un, un affichage de l’arrêté en mairie et sur l’immeuble, et la publicité de l’arrêté est réputée faite.»
«Une difficulté apparaît ensuite dès lors que la copropriété est désorganisée : l’absence de syndic.
Un exemple : le chauffage collectif d’une copropriété menace pour quelque raison la sécurité des occupants. On est en août, il n’y a pas urgence extrême pour remettre l’installation en marche ; en revanche, il faut sécuriser rapidement. La puissance publique va pouvoir agir par exemple, de la façon suivante :
- elle peut, si nécessaire, prendre toute mesure immédiate ;
- ensuite, ou en se dispensant de ce préalable si la situation le permet, par arrêté d’urgence de la police dite des équipements communs des immeubles à usage principal d’habitation, elle ordonne toute mesure pour sécuriser l’installation à court terme, par exemple une semaine. Une information simple est faite sans phase contradictoire ;
- puis, arrêté ordinaire avec obligation de réparer définitivement avant la saison de chauffe. Cet arrêté ordinaire impose, lui, une phase contradictoire passant par le syndic. Pas de syndic, pas de possibilité d’avancer.
A la suite des arrêtés précités, en cas d’inertie de la copropriété, la puissance publique agit en ses lieu et place et exécute les travaux imposés en substitution et aux frais avancés de la copropriété. Mais, là aussi, on achoppe, pour la part arrêté ordinaire sur l’absence de syndic.
Dans ce cas, l’autorité publique en charge de l’arrêté, au constat de l’absence de syndic, agit pour les urgences comme dit précédemment et, en prévision de ses arrêtés ordinaires, saisit le président du tribunal de grande instance à fin de désignation d’un administrateur provisoire de la copropriété qui sera alors l’interlocuteur normal de la puissance publique.»

«Les copropriétés en difficulté sont un vivier privilégié où prospère le marchand de sommeil louant soit des logements indignes par eux-mêmes, soit en bon état mais dans des conditions inacceptables de sur-occupation notamment. Il est d’autant plus indispensable que, comme le prévoit la loi ELAN, les gestionnaires de copropriété signalent systématiquement les situations potentielles de marchands de sommeil au PDLHI et/ou au magistrat référent habitat indigne du Parquet dans le ressort duquel est située la copropriété.»