[N°648] - Partager plus que les parties communes

par Sophie JUGE - Avocat associé au barreau de Lyon
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Les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires ; leur administration et leur jouissance sont organisées conformément aux dispositions de la loi du 10 juillet 1965.
De plus en plus, se développe l’idée de répartir et de gouverner autrement la copropriété : aller au-delà de la stricte répartition de l’article 10 relatif aux charges ; impliquer les résidents dans la gestion de leur immeuble.

Intervention lors du dernier congrès organisé par la Chambre Nationale des Experts en Copropriété sur l’évolution sociologique de la copropriété. Le style oral a été conservé.

Les résidences-services

La loi ENL du 13 juillet 2006 a fait un premier pas dans cette direction en introduisant dans la loi du 10 juillet 1965 les articles 41-1 à 41-5 «Résidence-services», afin de réglementer les particularités de ces copropriétés.
L’objet du syndicat des copropriétaires est étendu à des services liés aux occupants et non pas à l’immeuble lui-même (restauration, surveillance, aide ou de loisir).
Il s’agit de services intégrés ou conventionnés.
La loi du 28 décembre 2015, dite «d’adaptation de la société au vieillissement», applicable aux résidences-services en copropriété dont les règlements de copropriété ont été publiés après le 29 juin 2016, sécurise le régime juridique de résidences avec services, en modifiant la loi du 10 juillet 1965 et en intégrant de nouvelles dispositions au Code de la construction et de l’habitation.
Ainsi, la loi permet de répartir et de gouverner autrement.
Les nouvelles résidences-services en copropriété doivent désormais distinguer :
• les charges de copropriété ;
• les charges liées aux services elles-mêmes décomposées :
> en charges liées aux services non individualisables supportés par tous les résidents ;
> en charges liées aux services individualisables qui ne sont dus que par les résidents qui les consomment.
En cas de services intégrés, il y a une comptabilité améliorée.
La loi a créé un conseil de résidents permettant aux occupants de la résidence-services de participer aux décisions relatives à la gestion des services.
Ce n’est pas un réel bouleversement mais on fait un pas vers une répartition différente de celle de l’article 10 de la loi de 1965, même s’il ne s’agit pas de parties communes mais de services ; on implique les résidents dans la gestion.

Habitat participatif

La loi ALUR a créé l’habitat participatif : «l’habitat participatif est une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant, avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis».
Dans le cas de la coopérative d’habitants, la propriété est collective. Les coopérateurs ont donc un double statut : celui de locataire (versant une redevance mensuelle) et celui d’associé de la société (solidarité non marchande).
Comme d’autres innovations de la loi ALUR, l’idée est bonne mais sa mise en œuvre est lourde et compliquée : un projet met 10 ans à voir le jour.
Cependant, à ce jour, 320 projets ont abouti ou sont en cours de réflexion sur tout le territoire national. 85 de ces projets sont en copropriété.

Exemple d’habitat participatif.-
Les Mûriers à Anse (69) [Présentation accessible sur Internet – Ndlr]. Il s’agit d’un bâtiment qui a fait l’objet d’une réhabilitation pour la création de six logements soumis au régime de la copropriété.


Le principe est l’accession en aménagement d’anciens appartements : cinq appartements ont été aménagés en 1983 et en 1988, un sixième.
Les locaux et espaces communs (cuisine, chambre d’accueil, chambres, laverie, caves, ateliers et espaces de rangement, salle de réunion/salle polyvalente, jardin/espace vert) constituent des parties communes.
La copropriété est organisée en syndicat coopératif (une personne = une voix) et les locaux communs sont répartis par 1/6ème.
Le groupe participe directement : partage des tâches routinières (poubelles, tontes, suivi des machines à laver et chaufferie…) et des charges communes (approvisionnement bois, lessive pour machines à laver, eau, taxe foncière).
Un président-syndic et un trésorier sont élus et/ou reconduits, chaque année au cours d’une réunion, parmi les membres du groupe qui se portent volontaires pour ces fonctions.
Ce projet a également été l’objet de réalisations écologiques et environnementales  : récupérations des eaux de pluie, compostage, capteurs solaires pour la production d’eau chaude depuis 2006.
Là encore, le mode de répartition est différent de celui de la règle de l’article 10 ; celle des voix aussi. Le mode de gouvernance est original.
Mais il semble que ces projets soient limités à de petites copropriétés avec peu de résidents et, en tout état, le nombre de projets soumis au régime de la copropriété est relativement faible (85/320).

L’adaptation du statut.-
Il faut donc utiliser le statut de la copropriété tel qu’il existe pour l’adapter aux attentes des acquéreurs actuels.

Les solutions originales qui vont voir le jour inspireront peut-être le législateur.
Il existe différents projets qui voient le jour en poursuivant quatre objectifs :
- substituer ou ajouter à la notion de partie commune celle d’espace partagé ;
- réduire de façon drastique les charges de copropriété ;
- impliquer les résidents dans la gestion de leur immeuble ;
- intégrer une démarche environnementale.

Projet Edison Lite

Il s’agit d’un projet lauréat du concours «Reinventer Paris» conçu par Manuelle Gautrand, architecte.

Zéro charges de copropriété.-
Ce projet s’appuie sur un partage des espaces. 25 % des surfaces habitables sont des espaces de vie partagés.

L’objectif annoncé est «zéro charges de copropriété» : «notre vision est qu’un immeuble doit être conçu comme un actif qui génère des recettes pour compenser ses propres charges d’exploitation».
En réalité, les charges ne sont pas inexistantes ; elles sont simplement compensées.
Une idée qui n’est pas nouvelle : location des toitures à des opérateurs télécoms ou à des enseignes, panneaux publicitaires sur les façades ce que le concepteur trouve, à juste titre, «esthétiquement et écologiquement contestables».
De plus, ces mesures ne génèrent que de faibles recettes alors que le projet Edison Lite table sur des recettes pérennes et plus conséquentes.
En conséquence, les parties communes sont créées pour générer des recettes pérennes pour la copropriété :
• une boutique au pied de l’immeuble ;
• une surface commerciale d’environ 76 m2 en rez-de-chaussée, destinée à être loué dès la livraison du bâtiment à une conciergerie 2.0 ;
• des parties communes partagées. Présentées comme des lieux de partage et de création dûment social, elles sont destinées à être louées occasionnellement et ainsi générer des recettes complémentaires : une cave-atelier en sous-sol, des toits-terrasses avec une cuisine ouverte pour inviter des amis et un toit potager,  constituent ces surfaces d’agrément.

Un immeuble éco-responsable.-
Le projet parle de «technologie de pointe en matière de gestion des consommations», de «matériaux et structures adaptés», d’une citerne sur le toit… L’idée est de faire un bâtiment peu énergivore ce qui génère encore des économies.

D’après les estimations du concepteur, les charges de copropriété devraient s’élever à 33 000 euros, soit 23 euros par m2. Elles atteignent 37 euros le m2 à Paris selon une étude de la FNAIM.
Les revenus locatifs, eux, pourraient atteindre 40 000 euros.

Implication des résidents.-
“L’annulation” des charges n’est pas une donnée acquise, mais plutôt une récompense provenant pour partie de la responsabilisation et de la volonté des résidents d’économiser de l’énergie.

Le projet prévoit même un résultat excédentaire, soit des recettes générées qui seraient supérieures aux charges d’entretien et de fonctionnement !
Dans ce cas, il est envisagé d’aborder la constitution d’un prochain fonds de travaux obligatoires en toute sérénité. Le programme est certes ambitieux, peut-être un peu utopique !
Cependant, nous n’avons pas réussi à avoir certaines précisions sur l’objectif «zéro charges de copropriété» notamment, au regard de l’eau qu’il va falloir utiliser pour arroser toutes ces plantes (immeuble végétalisé) et les prévisions en terme de dépenses d’entretien des parties communes d’un immeuble aussi audacieux sur le plan technique et architectural.

La prochaine étape : l’intergénérationnelle

Il existe encore une tendance très forte pour combattre l’isolement de certaines personnes en milieu urbain qui consisterait à mixer les générations, comme on a voulu mixer les catégories sociales.
Il existe aujourd’hui des résidences qui ont fait l’essai - réussi - de cette mixité. Est-il envisageable de l’intégrer ?
Peut-on, pour les immeubles en copropriété, imposer, au stade du projet, un pourcentage de logements avec services gérés par des opérateurs de résidences pour personnes âgées, comme on impose un quota de logements sociaux ?
Peut-on toucher encore au système de gestion et de répartition des charges en intégrant, par exemple, des charges payées en nature pour les plus jeunes qui s’occuperaient des plus anciens ?

Réflexion à suivre….