La loi du 10 juillet 1965 aura soixante ans.
On la dit bouffie à force d’être gavée de textes supplémentaires, trop technique, trop restrictive, infantilisante pour des habitants devenus des consommateurs qu’il faut protéger.
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 705 de janvier/février 2025
Mais, si la loi a changé, c’est d’abord parce que la société a changé. La forme urbaine, les modes d’habitation et effectivement, les modes de consommation ont évolué. Si l’on a coutume de dire que le copropriétaire est propriétaire de sa partie privative et locataire des parties communes pour pointer l’indifférence voire la négligence dans lesquelles elles sont laissées. On pourrait aussi rajouter que le copropriétaire consomme de la copropriété comme il consomme des contenus numériques ou des objets achetés de manière compulsive en quête de la décharge de dopamine provoquée par la satisfaction du tout, tout de suite, maintenant.
Six décennies plus tard, cette loi reste pertinente. Ses concepts fondamentaux que sont la nature du lot, la destination de l’immeuble, le rôle de ses organes et la répartition des charges, demeurent. Ils ont montré leur importance. Mais pour combien de temps ? Dans une société plus individualiste, et aussi en raison des progrès techniques, les répartitions des charges imaginées par le rédacteur de 1965 semblent montrer leurs limites. La valeur relative sur laquelle repose la détermination des charges d’entretien des parties communes et l’utilité objective, qui fixe les quotes-parts des charges particulières, sont des critères qui ont été voulus pérennes, immuables et dépendants des seules qualités objectives des lots. Ils sont indépendants du comportement des copropriétaires car pour le législateur c’est l’immeuble et son parfait entretien qui prime. Force est donnée au patrimoine et au bon fonctionnement de la collectivité devant lesquels le comportement individuel s’efface.
Mais, cette volonté de primauté du bien et du groupe face à l’individu peut elle encore perdurer alors même que l’individualisme érigé au rang de nouvelle valeur assumée semble guider nos sociétés ?
Techniquement, les immeubles ont évolué. Ils sont connectés. Les équipements sont devenus des trésors de technologie qui permettent un pilotage fin de l’ensemble de ses fonctions. Le chauffage, la ventilation, l’arrosage, l’éclairage, la sécurité sont contrôlés et modifiés en temps réel.
Il est possible de compter les passages dans les ascenseurs, les ouvertures des portes des communs, toutes les consommations de chaque utilisateur.
Face à ces avancées technologiques et aux demandes croissantes des copropriétaires de ne payer que ce qu’ils consomment, le critère de l’utilité paraît bien désuet. Et s’il venait à disparaître ?
Aujourd’hui, la loi ne permet pas l’individualisation de toutes les charges. Mais, serait-il possible d’imaginer des charges d’équipements réparties selon les seules consommations ? Des charges d’ascenseur ou de parking réparties au nombre de passages effectifs, des charges spécifiques pour les utilisateurs des locaux vélos ? des consommations d’électricité des parties communes réparties en fonction des allers et venues des occupants ? des charges d’entretien des locaux poubelles calculées au nombre de sacs déposés dans les bacs…
Cela semble techniquement possible et répond à la promesse faite d’habiter un logement individuel dans un immeuble qui n’aura plus de collectif que le nom. Est-ce souhaitable ?
Denis Brachet, Géomètre-expert, expert judiciaire
©Sébastien Dolidon / Edilaix