[N° 599] - Coup de froid entre syndics et associations : ALUR au centre de vives polémiques

par Edilaix
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Index de l'article

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR) constitue l’une des réformes majeures du statut de la copropriété des immeubles bâtis. Une controverse vive est née de l’application ou de la non-application de la loi ALUR, depuis sa promulgation, entre les syndics d’une part et les associations UFC Que choisir ? et l’Association des responsables de copropriété (ARC) d’autre part.

Il est apparu avec évidence que les nouvelles règles de la loi ALUR se sont orientées résolument dans le sens d’une immixtion des pouvoirs publics dans les relations entre le syndicat et son syndic, une méfiance envers la profession et un alourdissement des tâches du syndic. Il est vrai que l’activité de certains syndics a été régulièrement pointée du doigt ces dernières années, tant par les associations de consommateurs que par les organes consultatifs ou de contrôle (Commission des clauses abusives, Autorité de contrôle prudentiel, DGCCRF).
Ajoutons à cela des dispositions, issues de la loi nouvelle, qui n’ont pas fait l’objet, selon certains, d’une véritable concertation et des décrets d’application dont on attend beaucoup de précisions, mais qui n’interviendront peut-être pas rapidement, et vous avez un cocktail détonnant qui commence à engendrer de vives polémiques.


Chapitre 1 : Quelques dispositions de la loi

Mais, avant de faire état de la position des uns et des autres, rappelons les dispositions qui font débat :

L. 1965, art. 18-I
« …le syndic est chargé… : …
- de proposer, à compter du 1er janvier 2015, lorsque le syndic est un syndic professionnel, un accès en ligne sécurisé aux documents dématérialisés relatifs à la gestion de l’immeuble ou des lots gérés, sauf décision contraire de l’assemblée générale prise à la majorité de l’article 25 de la présente loi. Cet accès est différencié selon la nature des documents mis à la disposition des membres du syndicat de copropriétaires ou de ceux du conseil syndical. »

L. 1965, art. 18-II
«  Le syndic… est chargé : …
- d’ouvrir, dans l’établissement bancaire qu’il choisit, un compte séparé au nom du syndicat, sur lequel sont versées sans délai toutes les sommes ou valeurs reçues au nom ou pour le compte du syndicat. L’assemblée générale peut décider, à la majorité de l’article 25, que ce compte est ouvert dans un autre établissement bancaire de son choix. Ce compte bancaire ne peut faire l’objet ni d’une convention de fusion, ni d’une compensation avec tout autre compte. Les éventuels intérêts produits par ce compte sont définitivement acquis au syndicat. La méconnaissance par le syndic de ces obligations emporte la nullité de plein droit de son mandat à l’expiration du délai de trois mois suivant sa désignation. Toutefois, les actes qu’il a passés avec des tiers de bonne foi demeurent valables. Le syndic met à disposition du conseil syndical une copie des relevés périodiques du compte, dès réception de ceux-ci. Toutefois, lorsque le syndicat comporte au plus quinze lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces, l’assemblée générale peut, à la majorité de l’article 25 et, le cas échéant, de l’article 25-1, dispenser le syndic soumis à la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, ou dont l’activité est soumise à une réglementation professionnelle organisant le maniement des fonds du syndicat, d’ouvrir un compte bancaire séparé au nom du syndicat. Le compte unique fait apparaître dans les écritures de l’établissement bancaire un sous-compte individualisant comptablement les versements et prélèvements afférents au syndicat. Le syndic effectue sur ce sous-compte, sans délai, les versements des sommes et valeurs appartenant au syndicat et y reporte les dépenses effectuées pour son compte. Le syndic transmet au président du conseil syndical une copie des relevés périodiques bancaires du sous-compte, dès réception de ceux-ci. Dans ce cas, le syndic ne peut pas proposer une rémunération différenciée en fonction de la décision de l’assemblée relative à la dispense de compte bancaire séparé ; …»

L. 1965, art. 18-1 A
« La rémunération des syndics est déterminée de manière forfaitaire. Toutefois, une rémunération spécifique complémentaire peut être perçue à l’occasion de prestations particulières, définies par décret en Conseil d’Etat.
Le décret prévu au premier alinéa fait l’objet d’une concertation bisannuelle en vue de son éventuelle révision. Cette concertation est organisée par le ministre chargé du logement et associe notamment le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières créé en application de l’article 13-1 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce.
Le contrat de syndic respecte un contrat type défini par décret en Conseil d’Etat.
Les travaux mentionnés à l’article 14-2 et votés par l’assemblée générale des copropriétaires en application des articles 24, 25, 26, 26-3 et 30 peuvent faire l’objet d’honoraires spécifiques au profit du syndic. Ces honoraires sont votés lors de la même assemblée générale que les travaux concernés, aux mêmes règles de majorité.
Le syndic ne peut en aucun cas mentionner, dans le contrat de syndic soumis au vote de l’assemblée générale de la copropriété, de barème relatif à ces honoraires spécifiques, même à titre indicatif. Une telle rémunération fixée dans le projet de résolution soumis au vote de l’assemblée générale doit être exprimée en pourcentage du montant hors taxes des travaux, à un taux dégressif selon l’importance des travaux préalablement à leur exécution.»

Ces dispositions préalablement rappelées, nous livrons aux lecteurs dans un ordre chronologique le communiqué des deux associations précitées, puis celui de trois organisations professionnelles. 


Chapitre 2 : Associations : ALUR, une aubaine pour augmenter les tarifs ?

«Alors que s’ouvre la période des assemblées générales de copropriétés, […] les syndics usent et abusent de la loi ALUR comme argument pour justifier des augmentations tarifaires», l’UFC-Que Choisir ? et l’ARC se sont unies pour publier le 15 mai «à destination des copropriétaires un vrai/faux pédagogique sur la loi ALUR.» :

Le syndic dit qu’il est contraint d’augmenter d’ores et déjà le forfait annuel du fait que la loi ALUR a introduit de nouvelles obligations lui incombant.
FAUX, aucune nouvelle obligation du syndic issue de la loi ALUR ne justifie une augmentation du forfait annuel car les décrets d’application concernant les pratiques tarifaires et contractuelles du syndic ne sont toujours pas publiés (notamment celui sur le contrat type), et que la quasi-totalité des obligations nouvelles tirées de la loi ALUR (immatriculation de la copropriété, fiche synthétique), n’est pas encore en vigueur.

Le contrat type prévu par la loi ALUR laissera subsister la possibilité pour le syndic de facturer, en plus du forfait annuel, des prestations particulières ?
VRAI, le contrat type permettra encore au syndic de facturer, en plus du forfait, certaines tâches à l’acte. Cependant une liste limitative des tâches sera précisée par décret. Il s’agira des tâches nécessitant des diligences importantes du syndic telles que la gestion des sinistres exceptionnels et d’une grande ampleur (incendie par exemple) ou les assemblées générales supplémentaires...

Notre copropriété a plus de 15 lots. Le syndic indique qu’il va devoir augmenter son forfait en raison de son obligation nouvelle issue de la loi ALUR d’ouvrir un compte séparé au nom de la copropriété.
FAUX. L’obligation de mise en place d’un compte bancaire séparé, qui concernera les copropriétés de plus de 15 lots, n’entrera en vigueur qu’à partir du 26 mars 2015 au fur et à mesure du renouvellement des contrats de syndic, et la loi précise qu’aucun surcoût ne pourra être facturé aux copropriétés de moins de 16 lots en raison de ce changement.

Le syndicat des copropriétaires d’une copropriété de moins de 16 lots veut mettre fin à la dispense du compte bancaire séparé à la prochaine assemblée générale ordinaire. Le syndic applique dans ce cas la majoration de ses honoraires de base telle que stipulée dans son contrat toujours en cours en 2014.
FAUX. Le syndic ne peut imposer une telle majoration sans une décision favorable de l’assemblée générale l’y autorisant. Par ailleurs, la CCA1 a recommandé que les clauses qui différenciaient le tarif du syndic selon que la copropriété fonctionne en compte séparé ou non soient supprimées des contrats.

Le syndic peut imposer le choix de sa banque pour la gestion du compte séparé.
FAUX. L’assemblée générale peut décider de l’établissement bancaire du compte séparé. Attention, pour que cette faculté soit mise en œuvre, il faut que la question soit inscrite à l’ordre du jour et qu’elle soit votée à la majorité absolue de l’article 25, soit plus de 50 % des copropriétaires composant le syndicat des copropriétaires.

Il existerait des faux ”comptes-séparés“.
VRAI. La jurisprudence a précisé que certaines conditions doivent être remplies pour que l’on puisse être en présence effective d’un compte séparé, plus particulièrement quant à l’identité du titulaire du compte. Il faut que le syndicat des copropriétaires, ou son représentant le conseil syndical, demande à la banque2 ou au syndic la convention de compte, afin de vérifier si le titulaire du compte est bien le syndicat des copropriétaires et non le syndic de la copropriété (la seule mention SDC ne suffit pas car elle créé la confusion, le nom de ses deux entités s’épellent de la même manière) ; le mieux étant de choisir un compte bancaire différent de celui où le syndic centralise les autres comptes des copropriétés qu’ils gèrent.

Le contrat de syndic soumis prochainement à l’assemblée générale indique des honoraires pour la gestion des travaux exceptionnels. La copropriété est liée par ces montants.
FAUX. C’est une des rares dispositions de la loi ALUR qui est entrée en vigueur dès la promulgation de la loi. Désormais, les honoraires que le syndic est susceptible de percevoir au titre des diligences qu’il pourrait avoir à accomplir, ne peuvent plus figurer dans le contrat de syndic, même à titre indicatif. Ainsi, le montant qui y figure n’est en aucun cas opposable à la copropriété qui reste libre de décider ou non, lors du vote sur ces travaux hors budget prévisionnel, d’une rémunération spécifique au syndic, aux vus des éventuelles tâches qu’il aura à accomplir dans le cadre de ces travaux. Cela l’obligera à justifier les honoraires réclamés, et permettra à l’assemblée générale de retrouver tout son pouvoir de négociation sur leur montant.

La loi ALUR a introduit l’obligation pour les syndics professionnels de mettre à disposition du syndicat des copropriétaires un espace sécurisé, permettant la consultation à distance des documents de gestion de la copropriété.
VRAI. A compter du 1er janvier 2015, tous les syndics professionnels devront mettre en place un accès en ligne sécurisé aux documents dématérialisés relatifs à la gestion de l’immeuble ou des lots gérés, sauf décision contraire de l’assemblée générale prise à la majorité de l’article 25 de la présente loi. Attention, la liste précise des documents consultables n’est pas définie et les modalités de consultation non plus. L’UFC Que Choisir et l’ARC militent pour obtenir un arrêté afin de définir précisément la liste obligatoire de documents (incluant notamment les factures de la copropriété) à retrouver dans cet espace afin d’éviter la mise en place d’extranets vides de contenu, et donc inutiles pour les copropriétés. De même, l’ARC et l’UFC-Que Choisir demandent que cette mise en place se fasse gracieusement, c’est-à-dire ne soit pas une prestation facturable aux copropriétés.

Le montant de l’état daté a augmenté et le syndic indique que c’est dû aux nouvelles obligations de la loi ALUR du syndic à l’égard du copropriétaire vendeur.
FAUX. Si la loi ALUR a prévu que les informations relatives à l’état daté soient désormais fournies dès le compromis et non plus au moment de l’acte authentique elle ne rajoute pas de «nouvelles» obligations au syndic. La liste des documents3 à fournir par le vendeur à l’acquéreur concerne soit des documents déjà en la possession du copropriétaire vendeur, soit des documents qui étaient déjà obligatoires avant la loi ALUR. Par ailleurs, il n’y a pas d’obligation de réactualisation de ses informations au moment de l’acte authentique.

Le contrat de syndic arrive à échéance, une mise en concurrence de ce dernier s’impose avec la loi ALUR.
VRAI. Si votre copropriété a un conseil syndical. En effet, le nouveau texte impose au conseil syndical ou aux copropriétaires que « plusieurs contrats » - au minimum un en sus de l’ancien et deux en cas de nouvelles copropriétés - soient présentés à l’assemblée générale amenée à se prononcer sur un nouveau syndic, en cas de nouvelle copropriété, ou le renouvellement de l’ancien pour les autres. A défaut le syndic ne peut être maintenu, et l’absence de syndic peut coûter cher à la copropriété.»

1 - Commission des clauses abusives, recommandation n° 11-01 relative aux contrats de syndic de copropriété  (IRC, n° 573, p. 12).
2 -   Avec l’arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2014 n° : 13-12151, la banque ne peut opposer le secret bancaire au syndicat de copropriétaire qui a demandé l’ouverture d’un compte bancaire séparé.
3 -  La liste des documents concernés est disponible sur le site officiel de l’administration française en cliquant sur ce lien : http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F2604.xhtml.

 


Chapitre 3 : Syndics : «Les syndics font l’objet d’une cabale»

Les trois organisations professionnelles de syndics et d’administrateurs de biens, la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), l’Union nationale des syndicats de l’immobilier (Unis) et l’association Plurience, ont répondu, le 23 mai, aux accusations de l’UFC Que Choisir ? et de l’ARC. Les présidents des trois organisations, Jean-François Buet pour la Fnaim, Étienne Ginot pour l’Unis, François Davy pour Plurience, ont signé, fait inhabituel, un communiqué conjoint, dont nous livrons le contenu ci-après :
«Une nouvelle fois, la profession des syndics de copropriété vient de faire l’objet d’une cabale et d’une stigmatisation de l’ARC, à laquelle s’est associée l’UFC.
Tout copropriétaire averti en aura compris les raisons.
Nous sommes en période de tenue des assemblées générales de copropriété et l’ARC, qui n’est pas une association de consommateurs agréée contrairement à ce qu’elle laisse entendre, mais qui tire son chiffre d’affaires de cette ambiguïté, a un intérêt commercial évident à créer, à cette époque de l’année, confusion et amalgame. Les professionnels se réservent d’ailleurs le droit de poursuivre certaines de ses pratiques inacceptables.
Il n’est nullement dans l’intention des professionnels responsables que nous sommes, de nous laisser entraîner à répondre à des assertions aussi grossières que mensongères.
Nous nous en tiendrons à l’essentiel.
La loi ALUR qui vient d’être promulguée fin mars […], doit donner lieu à de nombreux décrets d’application dont aucun n’a été publié à ce jour.
Il est pour le moins étonnant de constater que les critiques conjointes de ces deux associations à l’encontre de contrats de syndics de copropriété nient cette évidence.
Les nouvelles mesures législatives sont en cours de prise en compte par les professionnels qui, pour nombre de leurs décisions, sont dans l’attente des directives gouvernementales.
Il est d’ailleurs paradoxal que les propos tenus par ces associations sur les comptes séparés condamnent des postures qui seraient prises alors même qu’elles reconnaissent dans des documents publiés simultanément par elles, que «cette mesure n’est pas applicable immédiatement».
En effet, le législateur dans sa sagesse et ayant pris en compte la grande complexité de mise en œuvre de la généralisation d’une telle mesure, a laissé un délai pour que les professionnels, syndics et banques, puissent s’adapter.
Comment affirmer dès lors que le passage en compte séparé se traduirait, dès à présent, par des augmentations d’honoraires de syndics de 20 à 29% !
Il en va de même des critiques faites sur les facturations de travaux.
Là aussi, les nouvelles mesures législatives sont et seront respectées par les professionnels au fur et à mesure que des travaux seront réalisés dans des copropriétés. Mettre en exergue et sortir de leur contexte certains chiffres montre une volonté de nuire et relève d’affirmations mensongères.
Le montant des travaux, qui sont votés par les assemblées générales, tient compte de la nature de la prestation apportée, qui, dans certains cas, intègre des prestations techniques complémentaires aux prestations administratives et financières. C’est faire injure aux copropriétaires que de laisser entendre qu’ils seraient abusés par des facturations inadaptées.
En revanche, la profession est dans l’attente de la nomination, par madame la ministre du logement, du Conseil national de la transaction et gestion immobilières qui va instituer la contractualisation des relations entre professionnels et associations de consommateurs agréées.
Il s’agit d’une revendication des professionnels à laquelle madame Duflot avait adhéré.
On comprendra mieux la vindicte et la diatribe de l’ARC qui, n’étant pas une association agréée, n’a pas été retenue par le législateur comme membre de cette instance qui aura à statuer sur tous les textes relevant de l’application de la loi Hoguet.
Nous souhaitons que toutes les associations agréées de bonne volonté y participent et acceptent l’échange et la confrontation des points de vue au sein de ce Conseil.
Le débat n’en sera que plus fructueux et le consommateur en sera le grand et seul gagnant.»