[CCED N°4] - L'entretien avec Philippe Marin

par Edilaix
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«La loi ALUR témoigne de la prise en compte de l’ampleur du phénomène.»


Philippe Marin est avocat associé du cabinet Imavocats, cabinet présent sur Paris et Toulon. Il est également président du groupe Strahémis, union de compétences juridiques de la région PACA regroupant avocats, notaires, géomètres, huissiers, fiscalistes, …

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Dans le cadre des dossiers qui vous ont été confiés, à quels types de problèmes ont été confrontées les copropriétés qui ont recours à la procédure de l’administration provisoire de l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 ?
Je constate que les difficultés des copropriétés qui supposent l’application de l’article 29-1, sont souvent le résultat d’une situation ancienne de négligence dans l’administration et l’entretien de l’immeuble. Faute de recouvrement des charges, les parties communes se dégradent progressivement. Lorsque des travaux deviennent obligatoires, les copropriétaires sont dans l’incapacité d’y faire face. Le syndic, s’il y en a un, n’a alors même pas la trésorerie nécessaire pour engager les procédures de recouvrement des charges impayées que, de toute façon, les débiteurs ne peuvent plus assumer... Il s’en suit une dévalorisation générale des lots, qui ne trouvent plus d’acquéreurs. C’est le cercle vicieux auquel de nombreuses petites copropriétés urbaines sont confrontées.

Quelles sont, selon vous, les principales innovations de la loi ALUR afin de traiter efficacement les problèmes relatifs aux copropriétés fragiles ou en difficulté ?
La loi ALUR témoigne de la prise en compte de l’ampleur du phénomène des copropriétés en difficultés et apporte un dispositif de prévention et de traitement des difficultés complet et cohérent. Elle instaure, pour la première fois dans notre droit, une procédure collective de traitement de la défaillance des syndicats, et professionnalise le traitement de ces difficultés, ce qui facilite la mise en œuvre des mécanismes d’aides publiques.
Le nouveau dispositif favorise la prévention et l’intervention en amont, comme en matière de difficulté des entreprises. Ainsi, la désignation d’un mandataire ad hoc par le président du tribunal de grande instance permet d’analyser la situation financière de la copropriété ainsi que l’état de l’immeuble, puis d’élaborer des préconisations afin de rétablir l’équilibre financier et assurer la sécurité des copropriétaires et des locataires.
Lorsque les difficultés sont là, la loi ALUR a créé une procédure formalisée d’apurement du passif, permettant notamment d’étaler le remboursement des dettes du syndicat et, à titre exceptionnel, d’effacer une partie des dettes du syndicat confronté à des copropriétaires insolvables.
Ce mécanisme permet d’attendre l’aboutissement des procédures de recouvrement contre les copropriétaires débiteurs, condition du retour à l’équilibre des comptes.
Enfin, en conférant à l’administrateur provisoire des pouvoirs très importants, pouvant aller jusqu’à la cession d’actifs ou l’organisation d’une scission dans les grands ensembles, le législateur a privilégié l’efficacité. Ces pouvoirs sont contrebalancés par une plus grande judiciarisation de la procédure. Ainsi, l’administrateur provisoire, qui est au cœur du dispositif, le juge et les pouvoirs publics deviennent les acteurs du redressement des copropriétés en difficulté.


Quelles sont, d’ores et déjà, les interrogations posées par le nouveau régime post-ALUR ?
La première difficulté que je rencontre dans l’immédiat réside dans le fait que le décret du 17 août 2015 n’est pas applicable aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur. Dès lors, les copropriétés en difficulté dont la procédure avait été ouverte sous l’ancien régime, ne peuvent pas bénéficier du nouveau dispositif.
Par ailleurs, en pratique, il existe de nombreuses petites copropriétés dont les difficultés sont la cause ou la conséquence d’une absence de syndic, et qui se voient dans un premier temps désigner un administrateur provisoire dans le cadre de l’article 47.
Cet administrateur, constatant rapidement l’impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble et de rétablir un équilibre financier, n’aura d’autre solution que de «basculer» dans le régime de l’article 29-1.
Or, l’article 62-2 du décret lui impose expressément dans ce cas, en tant que représentant du syndicat, de s’assigner lui-même en la forme des référés, pour saisir le président du tribunal de grande instance et déclencher le mécanisme de l’article 29-1. Cela est difficilement compréhensible et peu approprié à l’urgence des situations et à la faiblesse des ressources des copropriétés concernées...